Comment retrouver la ferveur des premiers chrétiens dans les célébrations dominicales ?

Beaucoup de fidèles se plaignent de célébrations tristes et d’assemblées peu nombreuses. Faut-il réfléchir à un renouvellement de nos célébrations eucharistiques ? Pour Sylvaine Landrivon, théologienne (1), des assemblées plus petites où les femmes auraient plus de place seraient une chance pour les communautés chrétiennes.

  • Propos recueillis par Sophie de Villeneuve dans l’émission Mille questions à la foi sur Radio Notre-Dame.,
Comment retrouver la ferveur des premiers chrétiens dans les célébrations dominicales ?

Sophie de Villeneuve : En quoi les célébrations des premiers chrétiens étaient-elles différentes des nôtres ?

S. L. : Au début du christianisme, les églises telles que nous les connaissons n’existaient pas. Comme l’explique l’historienne Marie-Françoise Baslez (2), les premières commémorations du repas du Seigneur se tenaient à la maison. Ces maisonnées, qui étaient aussi des entreprises, agricoles ou artisanales, rassemblaient la famille, ses esclaves et ses employés, un cercle de personnes qui se connaissaient bien, plus large que la simple cellule familiale.

Cela se passait donc dans la maison du maître…

S. L. : Du maître ou de la maîtresse. Dans l’Évangile de Jean, il est raconté que Jésus allait rendre visite à ses amis de Béthanie. L’auteur précise : « dans la maison de Marthe ». Marthe a une sœur, Marie, et un frère, Lazare, mais c’est elle qui est à la tête de la maison. Dans cette maison, il est dit que « Marthe servait ». Luc (10,41) utilise pour décrire l’activité de Marthe le mot « thorubazè », du verbe thorubazo qui veut dire « s’agiter, causer du trouble ». Ce n’est pas cette exubérance que Jean dépeint au chapitre 12. Quand il écrit « Marthe servait », il ne laisse pas penser que sa tâche se résume à la part domestique du service. Il emploie le verbe « diaconei », qui désigne le service au sens plein du mot français « diaconie », le haut service de l’amour du prochain.

Marthe n’était donc pas seulement à la cuisine…

S. L. : Elle n’était même probablement jamais à la cuisine. Je crois qu’il faut se pencher sur ce que faisaient vraiment Marthe et Marie. À la mort de son frère, Marthe aperçoit Jésus sur la route, court à sa rencontre et s’entretient avec lui. Leur conversation est un vrai cours de christologie. Elle sait qu’il est Jésus, le Fils de Dieu, qu’il est le Christ, tout y est. C’est une intellectuelle, mais Jean écrit qu’elle « servait ». Cela rappelle le chapitre 22 de l’Évangile de Luc où Jésus dit : « Lequel est le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? Moi je suis au milieu de vous, à la place de celui qui sert. » Cette disponibilité à autrui dans l’action, c’est ce que demande l’Évangile de Jean, avec l’épisode notamment du lavement des pieds.

Comment se passent les commémorations du dernier repas du Christ après sa mort, comme il l’avait demandé ?

S. L. : Les premières célébrations ont lieu dans des maisonnées où hommes et femmes peuvent présider l’assemblée ou prêcher à égalité. Paul, qui a fondé des communautés chrétiennes un peu partout, savait que Jésus avait accueilli des femmes à la même place que les hommes. C’est une femme qui instruit Apollos en théologie. Junia est désignée comme « apôtre ». Phoebé est nommée ministre de l’Église de Cenchrée… Ces premières communautés se réunissaient pour partager un repas, prier et se rapporter les uns aux autres les paroles de Jésus, puisque les Évangiles n’étaient pas encore rédigés. Les premiers chrétiens partageaient la parole, le pain et l’entraide. Les plus faibles étaient secourus par l’aumône.

Combien de temps ont perduré ces célébrations domestiques ?

S. L. : Au début du IIIe siècle, l’Église s’étend et l’on comprend qu’il faut organiser les choses. Je pense que c’est à ce moment-là qu’on a commencé à y voir un lieu de pouvoir. Pour penser et organiser, on considère que les hommes sont meilleurs que les femmes. On met celles-ci très vite sur la touche, ou bien on leur invente des lieux spécifiques : on crée l’ordre des vierges, l’ordre des veuves, on les éloigne de toute gouvernance.

Ont-elles aussi été écartées des célébrations ?

S. L. : Je pense que oui, parce qu’on connaît des contre-exemples dans certaines hérésies comme le montanisme (3) : les femmes, qui vraisemblablement ne pouvaient plus célébrer, le faisaient encore, à la fin du IIe siècle, chez les disciples de Montanus qui les laissent prêcher.

Après des siècles d’histoire, l’Église d’aujourd’hui pourrait-elle revenir à la ferveur des premiers temps ?

S. L. : Je pense que nous allons devoir y revenir. D’abord parce que la forte diminution du nombre des prêtres nous empêche de nous rassembler dans l’église de notre village chaque dimanche. Les perpétuels déplacements que nous devons effectuer pour aller ailleurs à la messe font que les assemblées perdent du lien, les gens se connaissent moins, et le partage est moins facile. Enfin, je pense que les célébrations en temps de confinement ont perdu de leur sacralité.

Faut-il revenir aux célébrations domestiques ?

S. L. : Pas forcément. Il y a beaucoup d’églises vides le dimanche. Je pense que l’on va finir par y accueillir les femmes, de plus en plus nombreuses à se former, pour assurer l’homélie par exemple. Théologienne, je m’étonne encore de pouvoir lire l’évangile pendant des funérailles, tandis qu’à la messe je ne peux ni le lire ni le commenter. Quand on a un doctorat de théologie, on a envie, tout de même, de monter à l’ambon de temps en temps. Je pense que le rôle du prêtre, qui répond à un charisme fort et demande certaines compétences, n’a rien à voir avec le genre biologique et ne doit pas forcément être assuré toute la vie.

Pensez-vous que les fidèles catholiques soient prêts à ce qu’on pourrait appeler une révolution dans l’Église ?

S. L. : Mais Jésus le premier était un révolutionnaire ! Dans l’Évangile selon Jean, c’est à des femmes qu’il confie les événements les plus importants. À qui donne-t-il, sinon à Marie de Magdala, la mission d’aller rapporter aux apôtres la nouvelle de la Résurrection ?

Croyez-vous que des célébrations à plus petite échelle seraient plus ferventes que celles que nous connaissons habituellement ?

S. L. : Oui, parce que je pense qu’elles seraient vécues dans une intériorité plus profonde. Or plus on est en phase avec ce que l’on dit et avec ce que l’on reçoit, plus on a envie de le partager et d’en témoigner, comme l’Évangile nous le demande.

(1) Autrice des Leçons de Béthanie (Cerf).

(2) L’Église à la maison. Histoire des premières communautés chrétiennes. Ier-IIIe siècle, Salvator.

(3) Le montanisme est un mouvement chrétien fondé par Montanus en Phrygie (actuelle Turquie) dans la deuxième moitié du IIe siècle. Montanus se présente comme le porte-parole de l’Esprit saint, le paraclet annoncé par Jésus. Il rejette le clergé et la hiérarchie ecclésiale qui commence à s’organiser. Déclaré très tôt hérétique par les évêques de la région, ce mouvement persiste néanmoins jusqu’au VIe siècle (NDLR).

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