Donna SINGLES, L’homme debout : le credo de saint Irénée, Paris, éditions du Cerf, 2008, 159p.

Par Sylvaine Landrivon

L’auteure : Donna Singles est née en 1928 à Grand Rapids, aux USA. Elle est décédée en 2005 à Lyon. Entrée dans la congrégation des Sœurs de Saint-Joseph à l’âge de vingt ans, elle vient à Lyon en 1967 pour étudier la théologie. Au cours de ces études, un de ses professeurs, Maurice Jourjon, aborde l’œuvre de st Irénée, qui fut l’un des tout premiers théologiens chrétiens. Passionnée par le caractère éminemment positif de cette approche théologique, Donna Singles en fait le sujet de sa thèse de doctorat qui s’intitulera : Le salut de l’homme chez saint Irénée. Essai d’interprétation symbolique. Elle va montrer comment ce symbolisme dans la pensée d’Irénée permet d’orienter son propos vers l’espérance.

Très engagée dans la revendication de la place des femmes en Église, Donna Singles co-écrit avec Marie-Jeanne Bérère et Renée Dufourt Et si on ordonnait des femmes, qui fut publié aux Éditions Bayard en 1982.

Ce livre : L’homme debout : le credo de saint Irénée est publié à titre posthume avec une préface d’Ingmar Granstedt.

L’objectif principal du livre de Donna Singles est de présenter les grands axes de la pensée théologique de saint Irénée en suivant l’ordre des articles du symbole des apôtres.

Après une présentation d’Irénée, deuxième évêque de Lyon en lutte contre le gnosticisme ambiant, l’auteure va introduire et commenter ensemble les différents passages de l’œuvre d’Irénée dans lesquels il traite d’une même question théologique. Ce choix de méthode lui permet de s’extraire du plan de l’œuvre principale d’Irénée : Contre les hérésies – Dénonciation et réfutation de la gnose au nom trompeur, plan dicté par l’objectif pastoral de réfutation des hérésies gnostiques qu’il poursuivait, mais qui l’a conduit à reprendre plusieurs fois ses arguments sous différents angles, sans nécessairement les développer pour eux-mêmes. Donna Singles s’appuie également sur un autre ouvrage d’Irénée ; la Démonstration de la prédication apostolique.

Un thème majeur dans la pensée de saint Irénée est celui de la croissance. D Singles la met en évidence par la symbolique de la verticalité (l’homme « debout ») car pour Irénée, la Création est inachevée tant que l’homme ne réalise pas pleinement sa vocation d’être « image et ressemblance de Dieu » ; Dieu est toujours présent à sa Création, dans l’histoire de l’humanité, au moyen des deux « mains » par lesquelles le monde fut créé, le Verbe et la Sagesse, donc le Fils et l’Esprit saint. La nature humaine est fragile, marquée par le péché mais l’image de Dieu est toujours présente, appelée à croître sous l’action de l’Esprit jusqu’à atteindre la perfection, et, à la fin, l’incorruptibilité. Le principe de croissance s’applique donc tant à la création qu’à l’humanité et à chaque humain dans sa singularité.

Donna Singles montre que, par opposition aux doctrines gnostiques, Irénée insiste sur le fait que Dieu s’incarne dans ce monde. Ainsi, « … la naissance virginale chez Irénée, est essentiellement une christologie, car elle donne la clé de l’identité de Jésus, en ce sens qu’elle correspond à la nécessité d’un sauveur qui ne soit pas enfermé dans la lignée des hommes nés uniquement de la volonté de la chair. (…) Mais grâce à Marie, le Christ n’est pas « déguisé en homme », comme le voulaient les docètes. Un Christ purement spirituel, sans contact réel avec notre humanité n’aurait rien pu faire pour nous. [1]»

Le Salut de l’homme achève la création en l’ouvrant à la voie de la perfection et de l’incorruptibilité, à quoi il est appelé dès l’origine mais qu’il ne peut achever par ses propres forces.

D’où l’optimisme d’Irénée (contre le pessimisme des gnostiques) : l’homme n’est pas seul mais accompagné par les « mains de Dieu » – Fils et Esprit – dans la mesure où il décide de coopérer librement à cette vocation de devenir image de Dieu. L’homme est destiné à une fin glorieuse.

L’incorruptibilité touche aussi la chair. La corporéité n’est donc pas dénigrée comme chez les gnostiques ; au contraire, nous dit D. Singles : « l’homme entre dans l’incorruptibilité parce qu’il devient image du Fils, parce que la communion avec le Fils s’achève tout naturellement dans la même condition incorruptible que celle dont jouit le Seigneur, ressuscité.[2] »

« La résurrection concerne l’homme tout entier ». La récapitulation de tout dans le Christ, qui est engagée dès sa vie terrestre mais qui ne sera complète qu’à la fin des temps, réalise pleinement la vocation de l’homme à contempler la « vision de Dieu » qui est participation à la gloire divine.

Deux autres thèmes traversent la réflexion irénéenne : l’accoutumance et l’amitié

Donna Singles rappelle que l’incarnation dit que le salut se trouve dans ce monde et qu’il est accessible grâce à l’amitié du Fils pour les humains ; incarnation qui lui a permis de s’accoutumer à eux afin qu’en retour, ils puissent s’accoutumer à lui.

Le Verbe incarné prend donc l’initiative en raison de son amitié pour l’homme. ; i. e., Dieu s’incarne pour être en compagnie de ses créatures. L’amitié pour D. Singles est l’ouverture inconditionnée et totale à l’autre, qui transforme. Appliquée au Verbe, l’amitié se traduit avant tout comme présence. Ainsi Donna Singles propose une lecture de l’incarnation comme volonté de répondre à un manque, ainsi comblé, de voir le Verbe.

En outre, l’amitié entre Dieu et l’humain crée déjà un espace de salut : un lieu où la rencontre entre Dieu et sa créature est marquée par la joie qui transforme les amis. Le thème de l’accoutumance est relu à partir de cette catégorie : c’est à travers l’amitié que le Verbe incarné et l’homme s’habituent réciproquement l’un à l’autre et initie l’homme à l’adaptation à autrui. Cette amitié se prolonge jusqu’à la communion transformante, qui trouve dans l’eucharistie l’image la plus efficace. Cette communion transforme les distances, elle les annule, entre Dieu et l’homme, entre l’homme et la création, entre l’homme et l’homme.

Cette conception « dynamique » (terme utilisé par D. Singles p. 141 qui traduit bien la démarche à effectuer) de la création et du salut de l’homme ne supprime nullement l’intrusion du mal et du péché, qu’Irénée associe à la résistance de l’homme à son achèvement. La création comme le salut respectent pleinement et même suscitent la liberté.

Ainsi, à l’idée d’accoutumance (et d’accompagnement) est sous-jacente la conviction que c’est à l’intérieur de la liberté de l’homme que le Verbe cherche à le porter progressivement à lui. Indispensables sont donc la relation d’amitié et la communion.

Le Saint-Esprit

Il a un rôle particulier dans la croissance de l’homme vers son accomplissement : présent à l’homme dès l’origine, il est l’origine du principe de vie – du souffle de vie, esprit et souffle étant exprimés par le même mot en hébreu et intimement liés dans l’Ancien Testament – au point qu’il est parfois difficile de distinguer chez Irénée entre l’esprit de chaque homme (distinct de l’âme) et l’Esprit qui en est l’origine. Mais l’Esprit est aussi le pédagogue qui conduit l’homme, lui ouvre l’accès à la vérité et travaille à sa sanctification. Irénée utilise l’image de l’olivier greffé et de l’olivier franc pour expliquer que l’homme peut être docile à l’Esprit, qui le fait croître et donner du fruit, ou le rejeter.

Concernant le thème de l’ecclésiologie :

Pour Irénée, l’Église est une (par exemple il ne parle pas de l’Église de Lyon mais à Lyon). C’est une communauté de foi rassemblée autour des anciens et de l’Évêque. La fonction de l’évêque est avant tout de garantir le lien entre la foi des apôtres et celle des chrétiens ; assurer l’unité des chrétiens et la communion entre les Églises locales.

Il convient donc ici de souligner l’importance de l’ecclésiologie et celle de la mission pastorale. Sur ces derniers points vous pouvez vous appuyer sur la page 112 qui montre que dans une ville, même de la taille de Lyon ou de Rome, il n’y a « qu’une ecclesia, une seule communauté présidée par un presbyterium et son évêque, autour de la même table eucharistique (…) l’idéal restait toujours vrai : tous les fidèles de la même ville rassemblés autour de la même table, confessant la même foi d’une seule voix.…[3] ». Le fait de souligner ce fait n’est sans doute pas neutre pour D. Singles, c’est pourquoi il est essentiel d’insister….

En outre, concernant la fonction de l’évêque l’auteure nous dit: « Concevoir Pierre comme le premier maillon d’une chaîne d’évêques, dans une vision purement juridique de transmission de pouvoirs, revient à déformer son rôle [4]»). Elle ajoute que la succession des évêques n’est pas une institution divine (p 119) car, D. Singles conteste l’interprétation traditionnelle considérant que l’ecclésiologie catholique et le passage de Lumen Gentium[5] sur la succession apostolique font dire à Irénée plus que son réel propos. Enfin, comme le précise cette auteure, la primauté de l’évêque de Rome « vient de son Église dont la source est le témoignage de Pierre et de Paul », etc… et elle veut montrer que le but d’Irénée est de préserver l’unité de foi des chrétiens, non d’instaurer un système « juridique ».

Le sens du titre :

Parmi les vecteurs de sens, nous trouvons l’image qui donne le titre au livre : l’homme debout. D’abord il met directement en lien avec la notion de verticalité, de croissance qui est au cœur de la pensée d’Irénée. L’homme pleinement vivant s’est redressé pour rejoindre sa divinisation.

En outre, dans le chapitre V au cœur du mystère pascal, pour nous dire qui est l’homme debout, Irénée procède en nous disant qui est l’homme étendu  (en se référant à un passage de Jérémie qui ne figure pas dans la Bible canonique) : « C’est pourquoi aussi il leur servait la nourriture tandis qu’ils (les disciples) étaient étendus, pour signifier ceux qui étaient étendus dans la terre et auquel il venait apporter la vie »[6]. Irénée se réfère aux disciples étendus devant la table à la Cène, ils ont reçu nourriture et force de la main même de celui qui est la Vie. Mais pour Irénée, l’image des disciples étendus évoque aussi celle de tous ceux qui sont étendus dans la terre, dans la mort et qui sont dans l’attente de la vie que le Seigneur va leur apporter.

Un deuxième extrait nous fait progresser dans une compréhension encore plus profonde :

« … les trouvant endormis, le Seigneur les laissa d’abord, pour signifier la patience de Dieu devant le sommeil des hommes ; mais, étant venu une seconde fois il les réveilla et les mit débout, pour signifier que sa Passion serait le réveil de ses disciples endormis : car c’est pour eux qu’il « descendit dans les régions inférieures de la terre », afin de voir de ses yeux la partie inachevée de la création »[7].

Donc l’homme débout est l’homme éveillé, le Christ est celui qui vient en aide de tout manque de forces vitales et réveille l’homme du lourd sommeil de la mort, car il est la Vie qui met débout les morts.

[1] Donna SINGLES, L’homme debout : le credo de saint Irénée. Paris, éditions du Cerf, 2008, 159p., p 52.

[2] Donna SINGLES, L’homme debout …, op. cit., p.141.

[3] Donna SINGLES, L’homme debout …, L’homme debout : le credo de saint Irénée. Paris, éditions du Cerf, 2008, 159p., p.112.

[4] Donna SINGLES, L’homme debout …, op. cit., p.117-118.

[5] LG III §20 : « Ainsi, selon le témoignage de saint Irénée, la Tradition apostolique se manifeste(9) et se conserve dans le monde entier par ceux que les apôtres ont faits évêques et par leurs successeurs jusqu’à nous(10). Ainsi donc, les évêques ont reçu, pour l’exercer avec l’aide des prêtres et des diacres, le ministère de la communauté(11). Ils président au nom et en place de Dieu le troupeau(12), dont ils sont les pasteurs, par le magistère doctrinal, le sacerdoce du culte sacré, le ministère du gouvernement(13). De même que la charge confiée personnellement par le Seigneur à Pierre, le premier des apôtres, et destinée à être transmise à ses successeurs, constitue une charge permanente, permanente est également la charge confiée aux apôtres d’être les pasteurs de l’Église, charge dont l’ordre sacré des évêques doit assurer la pérennité(14). C’est pourquoi le saint Concile enseigne que les évêques, en vertu de l’institution divine, succèdent aux apôtres(15), … »

[6] SAINT IRÉNÉE, Adversus haereses, IV, 22, 1 cité par l’Auteure à la page 80.

[7] SAINT IRÉNÉE, Adversus haereses, IV, 22, 1-2 cité par l’Auteure à la page 81.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *