Lors de la manifestation organisée par le collectif De la parole aux Actes, victimes et amis ont témoigné de l’outrage commis par l’institution catholique lors de centaines de milliers d’abus sexuels.

Interview de France Info :

DEVENIR TÉMOIN

Témoignage n°1 Remerciements à la CIASE  Cécile

C’est la première fois que je me sens aussi soutenue et comprise dans la recherche d’approfondissement de ce que nous avons vécu. Je voudrais vous dire à quel point la spécificité de chacune et de chacun d’entre vous fut extrêmement précieuse et nous a soutenus.

J’ai pu dire, ou plutôt je me suis entendu dire, que j’étais passée de victime à témoin. Je ne sais pas à quel moment d’ailleurs. Je m’en suis étonnée moi-même. Comment pouvoir dire cela ?

Vous m’avez aidée à poser des mots sur les maux. Cela m’a permis d’avancer encore et de mesurer le chemin parcouru.

Alors maintenant, il faut arrêter de se raconter des histoires. On doit se parler. Notre base commune, c’est la vérité. Ce n’est pas l’honneur de je ne sais qui ou l’intouchabilité de je ne sais quoi. Ce qui est au centre, c’est l’être humain et ce qu’il a vécu. Ce qui est au centre, c’est de prendre soin les uns des autres.

A ce titre-là, nous ne tolérerons plus le laisser-faire et les silences.

Le roi est nu. Eh bien, maintenant nous avons que le roi est nu ! La couverture, c’est terminé. Si on voit que le roi est nu, il faut tâcher d’en tirer quelque chose.

C’est ce courage collectif des victimes, je pense, qui fait que du moment où j’ai ouvert la bouche, je ne l’ai plus refermée.

Alors, je n’ai qu’un mot à vous dire : merci !

Témoignage n°2 Parler : le facteur déclenchant  Denis

Le facteur déclenchant pour parler ? Pour moi, cela a été la date choisie par la Conférence des Évêques de France, depuis 1950. C’était fondamental. Tout de suite, j’ai écrit une chronologie sur un bout de papier. Je l’ai fait dans le TGV. J’ai vérifié. J’étais dans les clous. Donc, je vais pouvoir témoigner. Ce laps de temps que vous avez choisi, c’est fondamental, parce que ce sont des choses que l’on est peut-être seulement capable d’aborder à nos âges.

Oui, il faut être assez vieux et assez sage pour aborder ces questions, sans que cela n’ait d’effets destructeurs. Peut-être que si nous n’arrivions pas à en parler avant, c’était pour nous protéger ? Parce que si on avait parlé avant, qu’est-ce-qui se serait passé ? Imaginons même que j’ai écrit une lettre vengeresse à mon abuseur. Qu’est-ce-qui se serait passé ? J’aurais provoqué un scandale. Je ne l’aurais pas supporté moi-même. Je n’aurais pas été capable d’en supporter les conséquences. J’aurais peut-être détruit une communauté pour un individu ?

Il y a un âge où l’on est capable de revenir sur ces questions, sans dommages…parce que les dommages ont déjà été faits. Cela n’en ajoute pas. C’est l’inverse. C’est pour cela que je parle d’émancipation pour être venu vous parler ici. De tout cela, il peut en ressortir un grand sentiment de légèreté.

Témoignage n°3 Se souvenir : de quoi vous souvenez-vous ? Claire

Je ne me souviens pas des paroles, mais je me souviens d’odeurs. Et je me souviens que j’étais à la fois dégoûté et terrorisé. Je ne sais pas quels mots il faut utiliser, mais cela ressemblait quand même à un viol.

Moi, ce que j’attends que vous m’offriez, c’est de pouvoir vous parler. J’en attends un moment émancipateur. Oui, c’est vraiment émancipateur de pouvoir se sortir de quelque chose dont j’ai toujours ignoré ou sous-estimé les effets.

Tout à l’heure, j’ai parlé de black-out, mais il y a eu plutôt un effet de souffle. C’était quelque chose de violent. J’ai vécu avec cela en oubliant l’origine de cette violence et ce qui s’était passé. C’est en retravaillant sur moi-même que je m’en suis rendu compte. J’ai réagi vivement à la demande qui m’a été proposée de participer aux enquêtes de l’Inserm. J’ai refusé de devenir un objet de sondage ou de recherche, pour alimenter de futures statistiques, alimentant de futurs articles.

Moi ce que j’aurais voulu c’était de pouvoir être entendu par des responsables de l’Institution qui a couvert ces méfaits. J’aurais voulu témoigner devant eux des dégâts que cela a produit dans ma vie personnelle. Je ne pense pas que mon histoire personnelle intéresse qui que ce soit. Ce qui intéresse tout le monde, c’est l’histoire de toutes les personnes abusées. Ce qui intéresse tout le monde, c’est comment faire, non pas pour que cela ne se reproduise plus, mais pour que cela arrive bien moins souvent que dans les années passées et encore aujourd’hui. J’attends que le maximum de faits soient répertoriés, que le maximum de victimes soient reconnues, peut-être pas en tant que criminels devant la justice, mais au moins devant l’Église. J’attends qu’elle aide les victimes et qu’elle ouvre les yeux, vraiment !

Il n’y a aucun viol anodin, il n’y a aucun viol qui se reconstruira tout seul. Je crois que c’est important de continuer à parler. D’ailleurs, c’est ce que l’Église commence à comprendre, que ce sont des crimes et que cela ne se répare pas par un petit pardon entre deux portes.

Témoignage n°4 Avez-vous fait de votre vie ? Tom

J’ai 73 ans. Voilà, je suis devenu un vieil homme. Mon enfance est si loin et si proche à la fois. Je guette nuit et jour le ciel, ses vaillants et parfois violents troupeaux de nuages. Je l’interroge, le ciel et j’attends. J’attends, je dirais avec une certaine distance.

J’appréhende malgré tout. Lors de mes maraudes nocturnes, dans le sillage blanc voir phosphorescent de la Voie lactée d’où émergent les étoiles, il se peut que j’entende derrière moi le bruit lourd de ses pas et qu’il vienne s’accouder à mes côtés à la balustrade. Il arrive pour tenter de m’empêcher de glaner ces petites lumières qui me soignent et m’apaisent dans mon bel univers aquatique. Comment parvenir à se soigner, à guérir, à s’apaiser d’une enfance blessée, à survivre à une enfance assassinée ?L’Ignoble est revenu à la surface. Il s’est présenté à nouveau face à moi. Son visage, son odeur et sa violence ne me quitteront pas. Sa présence est toujours aussi réelle, aussi physique et insupportable.

J’ai vécu toute ma vie en distorsion. J’ai cavalé toujours devant pour tenter de mettre à distance un geste qui s’accroche, qui reste comme imprimé, gravé, tatoué. Cependant, chaque matin que la vie m’a donné, ce geste s’est présenté. Alors, il m’a fallu courir et encore courir… pour ne plus avoir à penser. Toujours faire pour défaire…Trop d’énergie dépensée. Il a fait de moi une tête brûlée. A mon tour, je suis devenu un indigne.

Alors, j’ai beau avoir passé le cap de la septantaine, ce buisson épineux et malsain du lieu de l’acte initiatique ignoble et destructeur demeure si précis dans ma mémoire, depuis qu’il s’est à nouveau révélé dans les larmes et la peur répandues. En parler longtemps, si longtemps après ?

Je pense que seule la mort pourra briser ce sceau, l’anneau des actes terribles. L’enfant peut-il oublier la tragédie ?

C’est ainsi que j’ai réussi à me comprendre. J’ai passé ma vie àfuir mes propres questions. Toute ma vie, je suis parti devant, en courant. En courant pour fuir de mauvais tourbillon d’odeurs nauséabondes, de sensations douloureuses et immondes. Sans bien comprendre ce mal qui me cernait, me déchirait, me brûlait et m’empêchait d’être moi. Longtemps, j’ai même pensé l’avoir tué, anéanti, détruit. Je ne me souvenais même plus qu’il avait existé. Je ne savais plus rien du mal qui m’avait été infligé.

Plus de soixante-dix années se sont égrenées depuis les agressions ignobles sur ce petit garçon que j’étais. Je l’avais, je ne sais comment ni par quelle force de vie, complètement oublié pendant longtemps. Pourtant ce mal invisible a continué son travail de sape, de minage, de destruction de ma vie à mon insu.

Cet acte ignoble a brisé en moi tout véritable sentiment de compassion et d’amour. Je reste un handicapé de l’amour, dans l’impossibilité d’en recevoir et d’en donner. Toute ma vie, j’ai feint. J’ai fait semblant.

Que veut dire une vie vécue sans amour ?

MON VIOL

Témoignage n5 °J’avais 5 ans Brigitte

Ma toute première fois, c’était quand j’avais 5 ans. Tu intervenais dans l’école pour nous apprendre les vraies valeurs de la vie. J’y allais pour apprendre à lire, à écrire et pour avoir accès à la connaissance.

J’avais 5 ans et tu en avais 50. Tu m’as tout pris. Tu as volé ma vie. Tu m’as détruite.

Tu as détruit ma vie la première fois que tu m’as violée. Je suis devenue étrangère à moi-même pour pouvoir survivre sans affect, sans émotion.

J’ai traversé ma vie en morte-vivante. Je suis une morte-vivante pour la vie.

Maintenant, je me sens tellement vide, je suis tellement vidée de moi-même, que j’ai du mal à trouver les mots pour me révolter contre toi.

Témoignage n°6 J’avais 6 ans  Lancelot

J’avais juste six ans. En maternelle, je me suis senti très mal. J’ai commencé à inverser les syllabes des mots, à bégayer. J’étais extrêmement angoissé. Je ne voulais plus aller en récréation. J’essayais de rester dans la classe, mais la maîtresse me chassait à chaque fois dehors. Mes parents s’en sont rendu compte.

Un jour, une image m’est revenue. Je ne l’ai pas comprise tout de suite. Je voyais un enfant nu, assis au bord d’un lit, dans une chambre faiblement éclairée. C’était toujours la même image précise, qui me revenait à certains moments de la journée.

Un jour, je me suis rendu compte que cet enfant nu, c’était moi. Il a fallu attendre encore un ou deux ans avant que cela se précise. Et puis, un jour, j’ai réussi. Une autre image m’est revenue.

J’ai revu ce prêtre entrer, avec sa chemise noire dans la pièce faiblement éclairée. Et puis le noir s’est fait. Je sais que je me suis allongé. Je sais qu’il m’a dit : « allonge-toi et éteins la lumière ».Je n’arrive pas à retrouver ce qui s’est passé après. C’est impossible ! j’ai toujours un moment de grande rébellion quand j’arrive à ce moment-là.

Voilà à peu près les souvenirs que j’ai de cette agression. Je ne sais pas combien de temps elle a duré, ni combien de fois cela s’est produit. Donc ce prêtre, j’ai pu lire dans des comptes-rendus d’anciens élèves une ou deux allusions. Il était apparemment coutumier du fait et se servait dans la cour de récréation.

Témoignage n°7 Nous avions 7 et 8 ans  Frédérique et Hélène

Nous avons été abusées par le curé de la paroisse. Nos parents, fidèles pratiquants, vouaient à ce prêtre un profond respect. Ils nous envoyaient au presbytère en toute confiance. Nous y allions seules, avec beaucoup d’appréhension, la peur au ventre.

Il était plutôt un prêtre novateur. Il organisait des camps de vacances, des séances de cinéma. Il faisait venir des troupes de théâtre. C’est dans ce cadre qu’il nous a fait connaître l’histoire de Maria Goretti, cette sainte italienne du début du XXeme siècle qui avait été assassinée par un de ses voisins, alors qu’il voulait abuser d’elle. Cette histoire est particulièrement présente dans nos mémoires, nous laissant beaucoup de trouble et d’incompréhensions, même si à l’époque, nous avions peu d’informations sur ce qui se faisait ou pas.

Nos parents, agriculteurs de profession modeste, cultivaient la terre. Ils étaient travailleurs, courageux, intègres, généreux et discrets, remplissant de leur mieux leurs devoirs de bons chrétiens. Ils se montraient généreux à l’égard des prêtres et des religieuses de notre paroisse. Ils ont mis un point d’honneur à faire de leur mieux pour satisfaire aux exigences financières formulées par ces personnes au prix de grandes privations financières et de sacrifices familiaux.

Nous n’avons jamais dit à nos parents ce que nous avions subi. Ce n’est qu’après leurs décès que l’une d’entre nous a révélé ses blessures à ses frères et sœurs. A partir de ce moment, l’autre sœur parmi nous deux, a révélé avoir été victime des mêmes abus sexuels.

Cela peut paraître étrange, mais c’est seulement à partir de ce moment où nous avons pris conscience de la réalité, que le fait de l’avoir exprimé a fait exister cette réalité à rebours et l’a rendu présente, presque récente. Nous pouvons affirmer que nos parents auraient bien été peinés d’apprendre ce que nous avons subi. Avec nous, nos parents ont été abusés et profondément trahis.

Témoignage n°8 J’avais 9 ans Nicolas

J’avais 9 ans. La rentrée des classes s’annonçait radieuse. Nous avions entendu dire que ce frère était un instituteur hors pair. Pensez, il nous apprenait la grammaire en chansons. Et en plus il avait un harmonium. Extraordinaire !

Bien vite, les choses se sont accélérées. Il fermait les rideaux noirs des fenêtres et nous appelait, un par un, à son bureau, pour corriger les devoirs. Il nous prenait un par un pour nous abuser. Il avait à sa gauche une bassine, dans laquelle il se lavait régulièrement les mains. Cela a duré toute l’année scolaire. Garçons ou filles, sans distinction. 25 petits. Il proférait régulièrement des menaces si nous ne gardions pas le secret. Il était évident que si nous trahissions ce secret, l’enfer nous attendait, à coup sûr. A la fois, il nous terrorisait et en même temps, il faisait figure de héros, tellement fort et si sympathique et affable, au demeurant, aux yeux de nos parents. Il avait gagné leur totale confiance. Alors que valait la parole d’un enfant de 9 ans face à celle d’un instituteur aussi habile ? Qui nous aurait crus ?

Et puis, soudain, alors que nous étions au collège, une élève s’en est ouverte à ses parents et l’affaire a été révélée. Je m’en souviens comme si c’était hier des « ça se sait ». Nul besoin d’en rajouter. Chacun de nous savait de quoi il était question.

Nous étions en milieu rural et maritime. Les hommes partaient à la pêche, pendant de longues périodes, parfois. Les femmes étaient le plus souvent seules, face à la responsabilité de l’éducation des enfants et aux tâches quotidiennes. Face à ce problème, elles ont été perdues et c’est la honte qui a pris le dessus. Non pas la honte vis-à-vis de leur enfant, mais la honte par rapport à la communauté paroissiale, au monde des croyants.

Et puis un jour, ma mère est entrée dans ma chambre. Son air était grave. J’aurais voulu me fondre dans le sol et disparaître. « Alors, c’est vrai ce qui se raconte, m’a-t-elle lancé ? » J’ai répondu par la positive et voilà, ce fut tout. Il n’en a plus jamais été question.

Témoignage n° 9 J’avais 10 ans Marie-Automne

Cette religieuse venait chercher n’importe quelle élève en pleine classe pour préparer la messe hebdomadaire. Elle me choisissait une fois sur deux ou trois. J’avais dix ans, mais en paraissait neuf. Elle m’emmenait dans son bureau, fermait la porte à clé puis tirait les rideaux. Ensuite, elle me mettait sur ses genoux pour me faire lire une épître de Saint Paul. Dans le même temps, elle me serrait contre sa poitrine et remontait son autre main sous ma jupe. Bien sûr, nous portions des jupes plissées et non pas en pantalon. Cela me terrorisait et me paralysait. Bien sûr, je n’arrivais pas à en parler à mes parents, tous deux catholiques très pratiquants. Cela a duré une année scolaire complète.

Une de mes sœurs, plus âgée que moi, qui me voyait vraiment très perturbée, a fini par prévenir mes parents. Le résultat fut totalement catastrophique. « Comment oses-tu dire des choses pareilles ? Tu es vraiment une perverse, une vicieuse et une menteuse. Et j’en passe. Inutile de dire que j’ignorais la signification des mots perverse et vicieuse.

Lorsqu’à mon tour je suis devenue mère de famille, à l’âge de 35 ans, j’en ai reparlé avec ma mère qui m’a dit qu’il lui paraissait impossible qu’une religieuse à qui elle avait confié sa fille puisse abuser d’une gamine. Elle n’avait manifestement pas trouvé utile de se renseigner sur la question.

Témoignage n° 10 J’avais 11 ans Tom

Il y a eu un camp scout l’année de mes onze ans. Au mois d’août, j’étais encore louveteau. Il est venu me chercher dans une tente, un soir. Il m’emmenait dormir dans sa caravane. On y passait la nuit. Il devait nous renvoyer dans nos tentes vers six heures du matin, peut-être.

Dans cette caravane, durant ce camp, on a toujours été plusieurs enfants. Les premières fois où c’est arrivé, je n’étais pas tout seul avec lui. Nous étions deux. Il me semble que c’était cet autre garçon qui s’est suicidé récemment. Un autre scout s’est également suicidé, vers l’âge de 40 ans. Je sais qu’il faisait partie de ceux qui avaient eu des soucis avec ce prêtre. C’était quelque chose d’assez fréquent.

La cheftaine ne pouvait pas ne pas savoir, mais elle était jeune. Elle n’avait que 17 ou 18 ans. Que vouliez-vous qu’elle dise ? Il y avait aussi des adultes, des pères de famille. Ils le savaient forcément puisqu’il mettait sa caravane à l’écart, à l’autre bout du champ. On imagine bien ce qu’il pouvait se passer. L’un des adultes le savait forcément. En fait, les enfants le savaient et les adultes le savaient. Tout le monde le savait ! C’est quelque chose qui m’a révolté.

Longtemps après, mon cerveau a explosé. C’était comme si j’avais ouvert une boîte de conserve vieille de plus de trente ans, une boîte de conserve rouillée dont le couvercle était bombé par les gaz, prête à exploser. Tous les souvenirs y sont restés intacts et bien faisandés. De quoi pourrir une vie par bien des aspects. Aujourd’hui, je n’arrive plus à refermer cette vieille boîte de conserve. Les cadenas que j’avais mis dessus restent ouverts. Comme si j’en avais perdu les clés ?

Témoignage n° 11 J’avais 12 ans Mathieu

Ce prêtre avait repéré que j’avais un père âgé de 65 ans, à cette époque et qu’il pouvait prendre sa place. Quand j’étais jeune, on croyait que mon père était mon grand-père, ce qui me mettait en rage. Lui avait 38 ans et moi j’en avais 11, presque 12.

Il est venu chez mes parents pour me voir le jeudi, qui était à l’époque le jour de congé scolaire hebdomadaire. Les abus sexuels ont eu lieu dans la maison familiale. Mes parents étaient commerçants. Ils travaillaient au rez-de-chaussée, dans le magasin et les abus sexuels avaient lieu dans la salle à manger du premier étage. La séparation entre ce pédophile et moi, d’une part, et mes parents, d’autre part, c’était l’escalier. On est là dans le summum de la transgression, ce qui participait probablement à l’excitation de son plaisir.

A la fin de l’année scolaire, j’avais 12 ans, j’ai indiqué à ma mère que je ne voulais plus voir ce prêtre. Je ne lui en ai pas indiqué les raisons et elle n’a pas posé de questions. Ce prêtre est ainsi sorti de ma vie quotidienne pour demeurer présent dans mon corps, ma vie psychique, affective, sexuelle et encore particulièrement aujourd’hui. J’utilise le terme de « passager clandestin de mon psychisme ». Dans mon psychisme, il y a cet homme et il y sera toujours.

Je pense que le fait fondamental, c’est d’avoir été utilisé comme un objet. Comme enfant, vous tentez de vous constituer comme sujet, mais vous êtes utilisé comme un objet et c’est ce qui va structurer votre vie. Je pense que c’est très difficile à comprendre pour ceux qui n’ont pas connu cela. Par ailleurs, le silence et le processus de refoulement ont fait leur œuvre. J’ai donc oublié, son visage, sa voix. Je serais incapable de vous le décrire. Même son nom ne m’est revenu que plus tard. Les forces de refoulement sont réellement fortes que vous oubliez tout, le visage, la voix, le nom, le prénom. En fait, je ne l’ai retrouvé son identité que parce l’un de mes frères était élève dans le lycée professionnel où ce prêtre était, en même temps, professeur et aumônier. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas pu ou pas souhaité faire une procédure judiciaire. Cependant, je défends l’idée d’un recensement de tous les cas, y compris les cas prescrits, pour que la société sache ce qui s’est passé et que nous soyons reconnus.

Ce qu’il a fait, c’était le crime parfait. C’est le crime par lequel son auteur a toutes les chances pour que sa victime ne parle jamais ou en tout cas, pas durant la période durant laquelle la société considère que ces faits ne sont pas prescrits. J’ai à nouveau une formule explicative, j’aime bien les formules : « les muets parlent aux sourds ! ». Le muet, c’est moi. Les sourds, c’est vous et toute la société. Ceux qui ne peuvent pas parler rencontrent ceux qui ne veulent pas entendre. La victime ne peut pas parler de ces choses-là, du moins pendant longtemps, et la société ne veut pas entendre. Je pense que c’est lié au fait que l’indicible ne peut être dit et que l’impensé ne peut être pensé.

Témoignage n° 12 J’avais 13 ans Justine

Cet homme était le pilier de la famille, la référence, la personne de confiance vers qui toute la famille se tournait pour avoir un avis, des conseils. Il était toujours gentil avec moi. Je me suis dit qu’il savait ce qu’il faisait. J’ai donc fait ce qu’il m’a demandé. Mon douzième anniversaire approchait. Il n’a exercé aucune pression sur moi. Alors que je le voyais heureux, dans ma tête se mélangeaient le bien et le mal. Une partie de moi hurlait en silence, lui demandait d’arrêter, mais les mots ne sortaient pas. Je voyais ses yeux qui me disaient de ne pas m’inquiéter. Cette semaine s’est passée. Les souvenirs se sont cachés bien loin dans mon cerveau, enfermés dans un coffre dont j’ai perdu la clé durant des années, de très longues années.

Ma famille, surtout mes parents n’en ont rien su jusqu’au soir où j’ai entendu à la radio que ce prêtre avait commis des agressions sexuelles à l’encontre d’autres enfants. Et là il y a eu un véritable tsunami. Tout est remonté à la surface. Toutes ces images, avec mes peurs, mon dégoût de moi-même et ma culpabilité aussi. Je me suis longtemps demandé ce que j’avais fait pour qu’il agisse comme cela. Très longtemps, j’ai pensé que j’étais responsable de ce qui s’était passé. Pourquoi moi ? Pourquoi n’ai-je pas réagi ? Mes parents n’ont pas pris conscience de tout cela parce que c’était lui, ce prêtre ami de la famille en qui ils avaient placé leur confiance.

Lors de son enterrement, l’Évêque est venu me parler et me dire que mon grand-oncle prêtre avait prié pour moi toute sa vie, à cause du mal qu’il m’avait fait. A ce jour, je ne sais pas si je lui ai pardonné. Je sais juste que je ne suis pas responsable. L’adulte, c’était lui. Je n’ai rien fait. Il devait maîtriser ses pulsions. Ses actes m’ont détruite et les séquelles sont toujours là.

Il faut que l’Eglise se rende compte que tous ces actes, cela brise quelqu’un. Moi, j’ai eu la chance d’avoir la musique et les mots pour me sauver. Mais combien n’arrivent pas à se sortir de ces traquenards, de ces embuscades, de ces stratagèmes, de ces manipulations ?

J’en ai entendu certains qui disaient : « ce n’est qu’un moment ». Non, ce n’est pas un moment. C’est un moment qui reste et qui percute toute son existence. C’est très sensuel, très sensible. Les sons, les odeurs. C’est pour cela que je suis là aujourd’hui, c’est pour que l’on sache que l’on peut briser quelqu’un facilement.

Témoignage 13 :  J’avais 14 ans Sylvaine

Pendant de nombreuses années, ce prêtre a proposé des voyages à des générations d’enfants d’environ 12 à 16 ans. Paradoxalement, c’est resté un de mes meilleurs souvenirs d’enfance. Nous dormions à la belle étoile. Nous participions aux repas. Nous allions faire des courses pour le groupe. Autant de choses qui développaient la responsabilité et l’autonomie. De ce point de vue là, ce séjour d’un mois a laissé de belles choses en mémoire.

Cependant, le comportement de ce prêtre a été plus que troublant. Il était sympathique et chaleureux, presque un peu trop. Quand il avait à nous parler, il venait s’asseoir près de nous et mettait familièrement sa main sur nos cuisses ou nos genoux. Il s’adressait aux filles gentiment, personnellement. Nous nous posions la question entre nous, jeunes filles naïves de 13 ou 14 ans, de l’opportunité de cette familiarité. Nous ne savions pas si nous exagérions la chose et qu’il ne s’agissait que d’une protection paternelle ou bien si ses gestes étaient déplacés et notre gêne justifiée.

Puis, il a commencé à s’approcher de la zone des lits des filles et à y circuler. Un matin, une fille a retrouvé ses lunettes près de son lit de camp. Un soir, il s’est approché près de mon lit. Il s’est agenouillé vers moi et a glissé ses mains dans mon sac de couchage. Je me suis recroquevillée sur moi-même pour l’en dissuader. Il a fini par capituler. Il s’est relevé et il est parti. Je me suis souvent demandé jusqu’où ce prêtre serait allé si je n’avais pas osé lui opposer de résistance. J’en ai parlé à une accompagnatrice et elle lui en a parlé. Autant que me puisse m’en souvenir, ses agissements ont cessé après son intervention.

C’est donc un sentiment ambivalent qui me reste de cette expérience, à la fois le bon souvenir d’un voyage exceptionnel et le trouble dû au comportement de ce prêtre. Je l’ai raconté à mes parents et ils n’ont eu aucune réaction. C’est peut-être de cela dont j’ai le plus souffert finalement.

Témoignage n° 14 J’avais 12, peut-être 13 ans Tom et Laurent Tom l’ami, Laurent, la victime

Tu as vu quelqu’un ?

Tu veux dire un psy ?

Non jamais pour quoi faire ? De toute évidence, avec mon ami, l’assistance psychologique n’était pas la bonne piste. Je décidais de tenter un nouveau coup et d’articuler, avec un brin de solennité :

C’était qui ? Bingo, la question était bonne. Il répondit sans hésiter :

Un prêtre, enfin le curé de la paroisse. J’avais douze ans, à peine. Enfin… c’est ce que j’ai réussi à reconstituer, parce que c’est un truc que j’ai complètement occulté pendant des années.

Mais, je croyais que tes parents étaient instituteurs laïcs ? Il ne manquait pas d’air ce curé. S’attaquer aux enfants de l’instituteur de l’école publique.

J’ai réfléchi à cela. Non, ce n’était pas aux enfants de l’instituteur qu’il s’attaquait, c’était à moi, en raison de circonstances très particulières. Il se trouve que, depuis l’âge de 6 ou 7 ans, je m’étais entiché de musique et que j’apprenais le solfège. Un jour, j’ai demandé au curé si je pouvais utiliser l’harmonium de l’Église. Il a dit oui. Il n’y avait plus personne pour en jouer. J’ai pris l’habitude d’aller jouer de l’harmonium, le jeudi après-midi. Au bout d’un certain temps, j’ai réussi à jouer des deux mains des parties différentes. C’était pas mal, enfin, pour un petit bouseux comme moi. Et le curé venait écouter…jusqu’au jour où il m’a invité à boire un chocolat.

Il préférait les gamins des familles pauvres. Je crois qu’il était bête. Mes parents le méprisaient. A chaque fois qu’il prenait la parole en public, pour des cérémonies officielles, après M. le maire et M. l’instituteur, c’était lamentable, paraît-il. Il se sentait intouchable. Il avait derrière lui des siècles d’autorité et de silence.

De silence ?

Oui, figure-toi que cela va ensemble. Je passais mon temps dans les bouquins. Figure-toi que j’y suis retourné au presbytère, le jeudi. Pas par plaisir, tu penses bien, mais pour jouer de l’harmonium. Tu vois, t’es petit, tu comprends rien à rien et un vieux mec te fourre sa main dans ta culotte. C’est tellement pas normal. Ca relie des choses qui ne vont pas ensemble. C’est ce doute, tu vois ce trouble, qui t’imprime à jamais. Cela transmet la honte. Je voulais que tu le saches. J’ai longtemps eu des accès de honte. Je veux dire des crises, quoi.

Tu marches dans un endroit. Des gens regardent, pas spécialement toi, mais ils regardent. Et toi, tu te sens englobé tout entier dans la réprobation. Tu crois qu’ils lisent dans ton corps, le bas de ton corps surtout, des tentations mauvaises, des habitudes honteuses et qu’ils te blâment. Pire qu’ils en rigolent. Alors toi, tu rougis et tu ne peux plus marcher. Tu voudrais être ailleurs et tu ne peux rien dire. Si tu restes immobile, tout rouge, les gens vont se poser des questions. Si tu reprends ta marche, ils vont tout voir en toi.

C’est pas accidentel, tu sais. Ce n’est pas pour rien si le phénomène a pris des proportions industrielles. C’est parce qu’à vivre, ce n’est vraiment pas drôle. On ne sait pas ce qu’on veut. On a peur de ce qu’on veut. On se retient de vouloir. Alors vouloir parler ! J’ai eu finalement une vie assez normale. Du moins, j’ai sauvé les apparences !

Témoignage n° 15 J’avais 25 ans. J’étais une laïque Frédérique

Etant en état d’épuisement professionnel assez fort, j’ai choisi d’aller passer quelques jours dans un monastère. J’ai profité de mon séjour pour y échanger avec un moine. Pour la première fois, je découvrais un pan de la vie religieuse.

Trois jours après, le 15 août, j’arrivais chez mes parents en proie à de violentes crises de panique et avec le besoin irrépressible de parler de tout cela. L’impact a été effroyable, pour eux qui n’ont rien vu comme pour moi qui n’ai rien dit et qui en suis même venue à douter de ce que j’avais vécu. J’ai passé 5 jours à pleurer non-stop, jour et nuit. Et après, je n’ai pas passé un jour sans que je sois traversée par la tristesse de cette situation.

A l’écrire, je ressens encore ses mains, sa poigne, sa proximité et le mal-être que cela procurait juste après. L’impression de me sentir sale, d’être honteuse. J’essayais de me rassurer, de me dire que finalement, ce n’étaient que des attouchements, au regard de ce que d’autres ont pu subir. Je n’arrive pas à être, ni en colère contre ce qui s’est déroulé, ni dans le pardon.

J’endosse difficilement la posture de victime et suis attristée par la déflagration que cela a engendré au niveau familial pour les parents et mes frères et sœurs. De cela, je crois qu’on n’en guérit jamais. Apprendre à vivre avec est donc le défi. J’ai souhaité témoigner parce que si ces faits ont été commis par un membre de l’Eglise catholique, c’est aussi au sein de cette même Église que j’ai pu trouver l’écoute qui m’a fait sortir de la honte.

Témoignage n° 16 J’avais 18 ans. J’étais séminariste Didier

Le provincial en charge d’une enquête sur ce prêtre me convoque dans son bureau et me demande si je connaissais d’autres séminaristes qui en auraient été victimes. Je lui cite plusieurs noms. Au nom que je lui cite, il s’écrie « Ah non, pas lui quand même ! » Cette phrase m’a tué pour le reste de ma vie. J’ai compris que pour l’Institution, il y avait ceux dont on pouvait abuser et les autres « pas touche », ceux auxquels il ne fallait pas toucher. Les prédateurs ne risquaient rien ou si peu, tant qu’ils œuvraient dans la sous-catégorie. Il faut se rappeler que des cohortes de propagandistes des différentes congrégations se faisaient concurrence sur le terrain et couraient après les familles pauvres des campagnes ou des banlieues pour remplir leurs petits séminaires.

Mon confesseur me proposa un poste d’aide-moniteur pour une colonie de vacances.Je reproduisis sur un jeune de la colonie ce que j’avais subi depuis près de dix ans. J’avais alors 18 ans. Mon confesseur m’a averti qu’il fallait que je quitte le séminaire, ce que je fis « sans repaire ».

Plus tard, quand j’ai eu mes propres enfants, j’ai toujours été terrorisé quand un de mes enfants me demandait de venir garder ses propres enfants chez lui, pour une soirée. J’ai passé ce temps dans l’angoisse, bien qu’il ne se soit jamais rien passé depuis mes dix-huit ans.

Témoignage n° 17 J’avais 19 ans, j’étais novice chez des religieuses. Hélène

Dès que je suis arrivée, le père a été très vite extrêmement affectueux physiquement. C’était très gênant. Vous pouviez penser que c’était seulement des gestes. Au début, il procédait toujours de la même manière à ce qu’il puisse répondre « Ce n’était pas un geste. C’était un hasard ». Vous ne saviez jamais quand la ligne était franchie. Un jour elle l’a été. Il s’est jeté sur moi. Imaginez-vous, moi j’avais 19 ou 20 ans et lui en avait plus de 40. Quand je réfléchis aujourd’hui à la question, je me dis : « pourquoi n’ai-je pas réagi ? ». Mais parce que c’était une star. Je me suis confessée pendant des années de fautes que je n’avais pas commises. Je vois bien aujourd’hui, qu’avec une personne de 19 ans, c’était inacceptable. Il vous donnait l’impression que vous étiez une personne importante et que vous étiez élue par Dieu pour vivre cela avec lui. Il disait toujours : « c’est le secret, c’est notre secret ». Aucun thérapeute, aucun médecin, aucun prêtre ne fait cela. Aujourd’hui, je serais capable de lui donner une paire de claques et de lui dire : « Qu’est-ce-que c’est que ces histoires ? »

Comme vous le savez un couvent, ce n’est pas une prison. C’est une communauté de personnes adultes, mais nous étions dans une espèce d’obéissance infantilisante. J’aurais dû me retrouver dans un véritable noviciat, avec une mère abbesse attentive et à l’écoute, au lieu de me retrouver dans un souk pareil, avec des prêtres qui régnaient en maîtres. En fait, les supérieures étaient des pantins. J’ai tenu là-dedans encore quelques années, jusqu’au jour où je me suis dit : « soit je me suicide, soit je quitte ». Il faut absolument faire quelque chose pour que les prêtres qui ont commis des abus caractérisés soient reconduits à l’état laïc, parce que les victimes ne peuvent pas se reconstruire tant que ces gens-là qui les ont violées dans un parloir disent encore la messe.

Moi je pense que j’ai eu de la chance parce que j’ai trouvé un mari en or. Pourtant, je reste très angoissée. J’ai des enfants qui ont l’âge que j’avais quand je suis rentrée dans la communauté. En fait, cela m’a donné du courage pour recommencer à témoigner, parce que je n’aimerais pas que cela arrive à mes enfants ou à ceux que je connais dans mon entourage.

Témoignage n°18 Libérer sa parole Lancelot

Je viens d’entrer dans une démarche de libération de la parole. Je suis allé voir un prêtre. Je me suis renseigné. Sur un prêtre du diocèse qui avait la réputation d’être capable d’une très bonne écoute. Je l’ai appelé. Il m’a dit de venir le voir. Je n’y allais pas pour mes confesser. J’y allais pour délivrer mon histoire à un représentant de l’Eglise. Je ne pouvais pas être en paix, tant que je n’avais pas fait cette démarche. Donc, je me suis adressé à l’institution qui héberge des prêtres fautifs, car j’avais besoin de cela, de pouvoir renouer le dialogue.

Le prêtre m’a reçu. Il m’a écouté pendant 1 minute trente. Ensuite il a parlé 8 minutes trente sur un entretien de dix minutes. En plus il m’a dit que j’étais habité par le péché et qu’il voulait me confesser. Alors là, cela m’a cassé. J’ai été complètement bouleversé.

Donc, j’ai bien réfléchi. Je veux pouvoir rencontrer un autre prêtre. Je veux pouvoir être entendu un jour. Je veux être écouté. J’ai besoin d’empathie. Parce que le prêtre qui m’a répondu en dix minutes, lui il savait ce qu’il faisait, il savait quel enfant blessé il avait en face de lui.

On est toujours dans cette culture du pardon à tout prix. C’est une arme de soumission terrible. J’avais eu cette idée-là. J’ai même écrit au prêtre en lui disant que je souhaitais lui pardonner. Et puis, maintenant je me dis que c’est à lui de me demander pardon. Si on tourne la page sans la lire, cela ne va pas. Il faudrait une reconnaissance circonstanciée des faits. Il faudrait aussi que l’on ait mis en place un système pour que cela ne se reproduise pas.

Témoignage n°19 Obtenir de la reconnaissance Claire

Toute sa vie durant, mon père a cherché à être entendu et reconnu pour la souffrance qu’il a connue en tant qu’enfant. Je n’ai jamais connu mon père autrement que dépressif. Quand j’étais petite, il me paraissait étrange et socialement inadapté. Il s’était habitué à laisser faire les personnes en situation d’autorité. Comme personne ne l’a jamais défendu, il n’a jamais su se faire respecter face aux abus de pouvoir. Toute sa vie, il a souffert d’une grande dépression qu’il a soignée, tant bien que mal, par l’alcool. Toute ma vie j’ai entendu ma famille lui dire qu’il devait pardonner et qu’il ne savait pas à quel point c’était difficile d’être prêtre. Sa propre famille n’a jamais voulu l’entendre. La prière et le pardon forcé semblaient la seule réponse au problème. Lorsque mon père a stoppé le médicament qui l’empêchait de ressentir quoi que ce soit, il est entré dans une phase maniaque délirante.

Mon père a toujours cru que l’Église finirait un jour par reconnaître et payer sa dette envers lui. Il aurait voulu une reconnaissance financière, sans doute pour compenser le prix qu’il a payé de sa personne. Un jour il s’est décidé à écrire au pape. Lorsqu’il a reçu la réponse du Vatican, il a commencé à avoir des vertiges qui le jetaient à terre en pleine rue.

Je suis convaincue que si l’Église avait agi différemment, en s’engageant sur le terrain d’une reconnaissance active de la souffrance de mon père, comme elle le fait aujourd’hui pour toutes les victimes d’abus sexuels, mon père se serait repris en main. Peut-être qu’aujourd’hui, il aurait encore pu marcher et parler.

Témoignage n° 20 : Les conséquences d’un viol sur majeure Tom

C’est le prêtre lui-même qui a mis ma sœur dont il avait abusé dans un hôpital psychiatrique.

Il a eu le culot de revenir la voir et on ne pouvait rien y faire. Alors qu’elle venait de tout dire à mes parents, nous n’avions même pas eu la possibilité de nous faire entendre et de le faire interdire de visites. Mes parents ont tout de suite prévenu l’Évêque. Quand je lui ai dit que ma sœur avait fait une tentative de suicide, il n’a pas bougé. Aujourd’hui, tout ce que nous savons, c’est que ce prêtre est logé dans une communauté de sœurs. Il est démis de ses fonctions, mais il est sans cesse en vadrouille.

Témoignage n° 21 : Nommer le viol Mathieu

Je comprends votre démarche m’a dit ce prêtre. Vous avez besoin d’en savoir davantage sur votre passé de victime d’agression sexuelle. J’ose dire que je l’approuve, même si cela doit vous surprendre.

C’est une tâche au front de l’Église que ces affaires sordides, même si elles sont très rares. C’est une honte pour nous que nous voulons reconnaître. Ces faux bergers ont corrompu l’Église. Notre apostolat futur dépend de la manière dont nous saurons gérer le problème. Je ne sais pas si cela vous apaisera, mais nous avons cessé de vouloir régler en interne des manquements de ce genre.

Il commence à croire à chaque mot qu’il prononce. Il s’en émeut lui-même. « Tout prêtre suspect fait l’objet d’un signalement à la police, qui mène ses propres enquêtes et à laquelle nous apportons toute l’aide possible. Si les faits sont avérés, bien sûr, les brebis galeuses sont punies voire exclues si nécessaire. Écoutez, j’ai sous les yeux les indices de manquements graves. Je ne vous le cacherai pas, pour des faits de qualifications variables, des gestes déplacés, des inconvenances, des injustices, surtout. Jamais de viol, semble-t-il. »

Le mot brutal lui a échappé, comme si sa routine apaisante avait laissé voir ce qu’elle cache vraiment : des cas, d’autres cas, nombreux et plus graves. On dirait aussi que ce prêtre dont la conscience n’est pas complètement éteinte a rougi. Soudain, il s’est éclairci la voix et est resté muet, devant moi, sur sa chaise.

Témoignage n° 22 Oubli ou haine ? Laurent

Je ne sais pas si j’appartiens

A l’oubli ou bien à la haine

Mais à chaque heure du quotidien

Mon encre sous le papier saigne

Comme un vieux livre abandonné

Ma bouche demeure sans mot

J’aimerais pouvoir sectionner

La gangue qui couvre mes maux

Les épines que dans mon cœur

Je garde, inondent mon esprit

Il est loin où enfant de chœur

De destinée, j’étais épris

Sous perfusion émotionnelle

Comme un temps volé à la vie

Je transporte sous mes semelles

L’affliction qui m’asservit

Cette indicible solitude

Je veux à tout prix m’en défaire

Pour retrouver la quiétude

A tout jamais quitter l’enfer

C’est pourquoi je livre les mots

Des viols subis dans mon enfance

Je les gueule fortissimo

Pour retrouver l’indépendance

J’ose aux feux de la parole

Briser les miroirs trop polis

De tous ces religieux idoles

Qui abusent d’enfants salis

Témoignage n° 23 : Le prédateur Hélène

Comment vieillit ce prédateur ? Apparemment bien à l’abri de l’Institution et en « saint homme » aimé des enfants et apprécié des parents qui n’imaginaient pas une seconde ce que ce prêtre avait commis de tels actes sur leurs enfants.

A-t-il été inquiété pour ses actes ou bien a-t-il été assez retors ou protégé pour échapper à toute plainte ? A-t-il pris conscience de sa perversion ? Quelles fonctions lui ont-elles été confiées depuis ces faits et à ce jour ?

Il est très douloureux pour moi de savoir que ce criminel, comme beaucoup d’autres du même acabit, auront toujours vécu impunément et finiront leurs jours tranquillement dans une institution, nourris, logés et accompagnés jusqu’à la fin de sa vie. Ils n’auront jamais eu d’autre punition qu’un blâme vite adouci par un sourire ecclésiastique. Témoigner de ce qui a été vécu est trop difficile. Le refoulement est la seule issue, mais aussi la pire tant il condamne à des souffrances invisibles. Le prédateur a beau jeu : la prescription vient clore à tout jamais le silence dans lequel il a enfermé les victimes.

Qui peut savoir la douleur sourde et constante de l’enfant qui a vu l’ami de ses parents pratiquer un double langage et duper tout son entourage du haut de sa chaire morale ? Qui peut savoir le sang qui coule indéfiniment de ce coup de poignard dans un corps d’enfant ?

Oui, j’aimerais savoir comment vieillit cet homme qui a sali ma vie. Dans l’expression « s’approprier quelqu’un », j’ai toujours constaté été frappé par la comparaison des deux termes : propre et sale. Pour s’approprier quelque chose ou quelqu’un, il faut le salir. C’est comme pour un territoire. Si vous êtes un chien, vous délimitez votre territoire. Pareil pour les hommes. Quand vous vous appropriez la propriété privée de quelqu’un, vous le salissez. Et la personne qui est salie se sent sale, toute sa vie. Toute sa vie.

Je souhaite donc proposer mes services à l’Eglise pour que mon passé de victime puisse faire avancer les choses. Même si certaines paroles ont été bienveillantes, rien n’a été suivi de faits. Ma proposition de service est restée aux oubliettes. Là encore, j’ai senti que je dérangeais et que je remettais beaucoup de choses en cause.

J’ai simplement envie de dire à l’Église que les victimes ne sont pas une menace. Sans associer activement les victimes d’abus sexuels sur mineurs et sur majeurs à sa démarche, il lui sera difficile d’avancer. Elles font partie du problème. Elles doivent faire partie de la solution.

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