Séquence 1 Pâques, une inconnue bien connue

Par Anne Soupa et Sylvaine Landrivon

Pour voir la vidéo : https://youtu.be/vvRiuSWTY5s

1/ Sylvaine Landrivon : De l’expérience anthropologique à l’approche biblique

Si nous considérons Pâques dans son sens caché de «passage » avec une idée de transformation, sur laquelle nous reviendrons longuement et à plusieurs reprises, nous allons constater que nous sommes tous et toutes marqués par une expérience pascale primordiale. En conservons-nous un souvenir ? Sans doute. Conscient ? Peut-être pas … Et pourtant, comme l’assurent certains psychiatres[1], c’est un événement si fort qu’il est vraisemblablement constitutif de notre être profond.

Quelle est donc cette Pâque qui façonne chaque être humain ?

C’est une traversée qui permet le passage d’un monde clos à la liberté, de l’obscurité à la lumière, du monde de l’eau à celui de l’air, de la dépendance à l’apprentissage de l’autonomie… Cette Pâque originelle, c’est notre naissance.

Nous allons observer ce qui se joue quand le fœtus devient nouveau-né. Certes à ce moment là, il n’est pas seul à réaliser un passage riche d’enseignement. J’ai écrit un livre pour montrer que la mère vit dans le même temps une épreuve longtemps considérée comme un châtiment et qu’il faut, en réalité, aborder pour ce qu’elle est : une bénédiction. Car l’accouchement physiologique est l’expérience d’une traversée exemplaire à vivre comme une épreuve initiatique orientée vers la vie. Traversée de la douleur : comme passage de ce qui paraît un instant aller vers la mort et qui offre la vie ; transformation du corps, du psychisme, du regard des autres sur soi, de soi sur soi et de soi sur un autre… Un rite de passage hors du commun. Nous n’aborderons pas directement cette expérience aujourd’hui et nous allons nous centrer sur la naissance comme Pâque, en demeurant du côté de l’enfant. 

Mais parce que cette expérience si commune ne sait pas se dire par celui qui la vit, nous verrons ensuite qu’elle est transposée dans d’autres épreuves, selon d’autres formes de langages. Pour cela, nous en examinerons une illustration dans un texte du Premier Testament, rarement approfondi en ce sens.

Que savons-nous de ce qu’il se passe du côté de celui qui vient au monde ?

Pour la future mère, le petit être qui remue dans son ventre est déjà un « bébé », « son bébé ». Pour l’équipe médicale qui l’entoure, il ne s’agit encore que d’un fœtus. Mais pour les uns comme pour les autres, y compris pour l’enfant qui naît, le moment qui va se dérouler depuis le début de l’expulsion jusqu’à la première respiration du nourrisson est celui d’une aventure extraordinaire dont nous regrettons tous de n’avoir pas conservé le souvenir, quand bien même ce serait la pire épreuve de l’existence.

Plus personne ne doute aujourd’hui des aptitudes sensorielles du fœtus. Dès le troisième trimestre, les voies qui transmettent les informations jusqu’à son cerveau sont actives. Il perçoit des sensations notamment celles de plaisir ou de douleur.

Lors des premières contractions, la poche des eaux qui enveloppe et protège le fœtus n’est pas encore rompue. Les professionnels s’accordent à dire que ces contractions agissent sur le fœtus comme des massages. Puis sous leur effet qui s’intensifie, le bébé descend progressivement dans le bassin qui forme une sorte de tunnel autour de lui.

S’il est impossible de déceler des signes d’intensité de la douleur ressentie par le bébé, tout suggère que plus vite l’enfant sortira de cet épisode brutal, mieux ce sera pour lui.

Au début des années 1970, un médecin français a crée une petite révolution en braquant les projecteurs sur le traumatisme que pouvait constituer le moment de la naissance pour un enfant venant au monde dans le contexte médical occidental.

Durant les décennies précédentes, les obstétriciens s’étaient penchés sur la douleur des femmes pendant l’accouchement et le problème était alors considéré comme réglé. C’est pourquoi Frédérick Leboyer s’est consacré à l’autre versant de l’aventure remarquant, lors d’un séjour en Inde, que quand le Bouddha disait que « la naissance est souffrance », il parlait non de la mère mais de l’enfant[2]. Il a alors cherché à modifier les pratiques obstétricales en posant la question à nouveaux frais : « Naître serait-il douloureux pour 1’enfant, autant qu’accoucher l’était, jadis, pour la mère ?… [3]»

Observons la description de ce médecin dans l’optique de notre étude :

« De toutes ses forces, l’enfant lutte (…) contre cette force démesurée, démente, acharnée! Épaules serrées, tête rentrée, le cœur battant à rompre, 1’enfant n’est plus qu’un bloc de terreur. Les murs se resserrent encore. Le cachot se fait tunnel et le tunnel entonnoir. Cette terreur qui ne connaît plus de limites se fait fureur. (…) Ce mur, contre lequel ma tête s’écrase il faut qu’il cède, ce mur, ce mur qui veut ma mort. Et, ce mur… c’est ma mère qui m’a porté, qui m’a aimé ! (…) La fin est proche, la mort est certaine. Que ne sait-il, ce malheureux enfant que plus les ténèbres sont épaisses plus il est près de la lumière, de la vie ! [4] »

C’est là que le parallèle avec la Pâque prend ses droits.

Dans la douleur à traverser, devant le choc de se sentir abandonné par celle qui l’aimait et le protégeait, ce que ressent le bébé suggère une étonnante appropriation de la Pâque du Christ.

Nous reviendrons longuement, dans la séquence 3, sur le sens de la croix, sur ce moment où le Fils de Dieu se trouve abandonné du Père, et comment ils sont unis malgré tout, pour donner la vie en plénitude.

Dans les deux situations ainsi décrites, la souffrance qui va vers ce qui se dit comme mort, est cependant orientée vers la Vie. Mais elle impose la foi, un lâcher prise total, pour s’en remettre à l’inconnu. Luc décrit ainsi la scène : « et jetant un grand cri, Jésus dit : “Père, en tes mains je remets mon esprit.” » (Lc 23,46). Saut dans le vide.

L’épreuve franchie, le nouveau-né aura infiniment besoin que sa mère lui ouvre les portes de la confiance et de la joie en lui offrant sa peau, son lait, son amour. Car cette traversée du bassin maternel, cette « expulsion » avec sans doute la conviction de la perte, de l’abandon, dans un cheminement d’injuste souffrance, ressemble étrangement à la Passion du Christ…

Cette Pâque est pour la vie, pour la joie, mais dans un autre monde. C’est pourquoi ce passage tellement particulier, doit se lire également en termes de libération, dans l’enthousiasme de la Pâque juive.

Pour l’enfant nouveau- né, finies les contraintes d’un monde connu mais limité et asservi. Voici l’humain, libre et vivant, ne dépendant bientôt plus que de lui-même ; mais il faut déjà respirer seul, et ça brûle. Boire et manger, mais comment ? Il y aura du désert encore… car avec ses richesses, la liberté va imposer ses devoirs et ses responsabilités.

C’est dans cet instant qu’il importe de pouvoir compter sur une présence aimante qui, de la force de son amour, vient protéger les premiers pas sur le chemin de la « terre promise », et offrir la « manne » nécessaire aux premiers jours. Le Dieu de l’Alliance a ouvert les eaux de la Mer Rouge devant son peuple. La femme en devenant mère a ouvert son corps à une vie nouvelle et c’est le moment pour elle de se souvenir des vers de Khalil Gibran dans Le Prophète[5] : « Vos enfants ne sont pas vos enfants »… car le don de la vie est un don d’amour pour la liberté.

C’est donc bien d’une véritable Pâque dont il s’agit, dans ce passage qu’est la naissance.

Illustration de l’expérience transformante de Pâques par l’épreuve de Jacob au gué du Yabboq

Le récit de la rencontre que fait Jacob au gué du Yabboq appartient à cette catégorie de textes qui ne se laisse pas dévoiler au premier abord. Nous allons peu à peu découvrir qu’il nous révèle tout le cheminement et toutes les leçons à tirer des différentes étapes par lesquelles passe une femme qui donne naissance à son enfant et, par extension, à tout ce qui oblige à se confronter à ce qu’il y a de plus profond en soi pour en faire surgir le meilleur.

Relisons cet épisode peu commenté sinon pour évoquer, au plan spirituel, le combat du croyant affronté au mystère de son Dieu.

Genèse 32, 23-32 : « Cette même nuit, il se leva, prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabboq. Il les prit et leur fit passer le torrent, et il fit passer aussi tout ce qu’il possédait.  Et Jacob resta seul. Et quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. Voyant qu’il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l’emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui. Il dit : “Lâche-moi, car l’aurore est levée”, mais Jacob répondit : “Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies béni.” Il lui demanda : “Quel est ton nom” – “Jacob”, répondit-il. Il reprit : “On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l’as emporté.” Jacob fit cette demande : “Révèle-moi ton nom, je te prie”, mais il répondit : “Et pourquoi me demandes-tu mon nom ?” Et, là même, il le bénit. Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, “car, dit-il j’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve.” Au lever du soleil, il avait passé Penuel et il boitait de la hanche. »

Reprenons l’histoire. Dans un climat conflictuel, Jacob a fui la maison de son père, après avoir usurpé[6] le droit d’ainesse à son frère Ésaü. Des années plus tard, accompagné de ses épouses Léa et Rachel, de ses servantes et de ses enfants, il a quitté la maison de son beau-père Laban, où il vivait en terre étrangère, pour rentrer chez lui. Sur le chemin du retour, près de la frontière, s’annoncent justement Ésaü et ses hommes. L’heure semble donc venue pour Jacob d’affronter ses responsabilités quand, à la tombée du jour, il fait escale au lieu dit le gué du Yabboq. Cet endroit se présente comme un arrêt dans l’histoire, une interruption durant laquelle le personnage va se faire rattraper par ce qu’il a longtemps tenté de contourner. Freiné dans sa marche au pied de ce torrent où il a choisi de s’arrêter, il doit faire face à ce qu’il a toujours voulu ignorer : le mensonge à son père et sa félonie à l’égard de son frère. C’est donc le moment pour Jacob de se confronter à cette posture bancale qu’il a construite puis masquée durant quinze ans dans l’énergie de son travail. Il se trouve littéralement « au milieu du gué », et l’imminence de la rencontre avec son frère, mais aussi avec celle d’une part inconnue de lui-même, va se produire inéluctablement.

Sur ce seuil où tout peut basculer, le texte nous signale qu’ayant mis ses proches en sécurité, Jacob reste « seul » dans l’obscurité. Seul, au sens de solitaire, sans compagnon, mais également seul dans l’acception singulière du terme. C’est lui Jacob, être unique, qui est interpellé. Il se trouve face à lui-même, seul avec son Dieu duquel il est invité à se rapprocher. D’ailleurs afin de guider le lecteur, le lieu de la rencontre se nomme Peny’el : « tourne-toi vers Dieu ».

Devant ce gué, il peut devenir un autre homme ; mais pour cela il va falloir lutter. Contre qui ? La question n’a pas de réponse immédiate dans la Bible au commencement du récit. Mais de toute évidence Jacob a senti qu’il n’affronte pas un dangereux ennemi. L’atmosphère dense et loyale laisse moins présager un combat pour la mort qu’un retournement vers une nouvelle naissance, en lumière et en vérité. Alors Jacob cesse de ruser, de tricher. Fort de son courage, il apparaît enfin à ses propres yeux, non pas tel qu’il s’est façonné pour les autres, mais tel qu’il est réellement. Et ce nouveau portrait va mériter la bénédiction qui lui revient.

Le changement va se signaler sur tous les plans qui composent la personne humaine : biologique, psychologique, relationnel.Il va recevoir un autre nom : Israël ; c’est-à-dire qu’il prend possession d’une nouvelle identité. En outre, son corps restera marqué par cette lutte. Et sa blessure n’est pas localisée au hasard : elle est à la fois apparente puisqu’il boitera, et très intime : à l’intérieur de la hanche. Il finit la bataille en partie affaibli, ce qui le tient à distance d’un sentiment de toute puissance, mais surtout enrichi d’avoir su traverser la douleur, en puisant au fond de lui les ressources qui l’ont conduit à se montrer « fort contre Dieu » : puisque tel est le sens de son nouveau nom, Israël.

La scène révèle une victoire sans vainqueur dont la leçon principale se loge dans son caractère de non retour. Rien ne permettra plus de confondre Jacob/Israël avec celui qu’il a été. Ainsi, quand le jour se lève, cet être transformé devient enfin capable d’une disponibilité à autrui qui va lui permettre de recevoir son frère dans la bienveillance et le respect de sa différence.

Nous avons esquissé l’analogie de la naissance avec la Pâque du Christ. Comparons l’expérience de Jacob à un accouchement.

Les deux situations mettent en évidence un changement de décor. On quitte l’espace coutumier pour s’en remettre à l’inconnu : la clinique devient le gué du Yabboq de la femme. Elle sait qu’elle n’en reviendra pas comme elle est entrée. Et la situation demande à la future mère, comme à Jacob, de mettre d’abord tout le monde en sécurité.

Dans les deux situations, la véritable épreuve s’effectue seul-e et se présente comme un combat avec quelqu’un qui, tout en n’étant pas complètement étranger n’est pas encore connu.

L’aventure n’est pas une simple formalité ; elle s’inscrit dans la durée : « jusqu’au lever de l’aurore ». En outre, si la ténacité et la résistance sont nécessaires, elles ne suffisent pas. Il va falloir affronter la douleur et accepter la blessure, c’est-à-dire une implication physique qui ne laissera pas indemne. Le corps d’une mère ne sera plus jamais celui d’une jeune fille, pas plus que Jacob n’avancera de son pas d’avant.

Est-ce Jacob, ou la future mère, qui décide de mettre fin au combat ? Non, c’est « l’inconnu » de la Bible qui souhaite en finir, ou le bébé qui veut naître.

Alors approche enfin le moment tant espéré. Cet être si longtemps cherché, attendu, oblige à se nommer en se réinterrogeant sur ce qui réside au fond de soi. Première étape d’un repositionnement : qui es-tu ? En effet, qui suis-je ? Dans le doute qui persiste encore un peu, Jacob/la nouvelle mère, propose son nom habituel. Mais tout vient de changer ! C’est un nouveau nom qui va manifester au monde entier sa nouvelle identité, plus riche, et désormais validée par cet « autre » qui se tient sous son regard et l’appellera autrement : Israël ou… maman.

Quand l’épreuve est passée, le soleil se lève et la jeune mère/Jacob, à jamais transformé-e, peut rejoindre, serein-e et confiant-e ceux qu’elle/il avait quittés hier, tout comme ceux dont elle/il était séparé-e depuis trop longtemps.

Ainsi relu, ce récit montre sur quels fondements et à quel prix se construit une alliance d’amour.

Il a d’abord fallu franchir diverses ruptures de rythme : celui du désir de changement d’abord, puis celui du quotidien bousculé par l’urgence de la rencontre. Il a fallu ensuite troquer l’esprit de volonté pour une acceptation de dé-maîtrise à un double niveau : celui de l’accueil de l’arrière monde qui affleure en soi quand un événement majeur vient tout chambouler, et celui plus physique consistant à faire confiance, dans un « lâcher-prise » indispensable à l’épreuve. Autre changement de rythme : durant la bagarre, il aura fallu sans cesse demeurer à l’écoute de la manœuvre de l’autre afin d’y répondre de manière adaptée. Enfin, le combat terminé, il aura fallu se découvrir autre, s’accepter dans ce nouvel état, et aussitôt se rendre disponible afin de nouer une relation juste et belle.

Au bout du compte, pas plus qu’Israël serait étranger à Jacob, la mère n’est un individu différent de la jeune femme qu’elle a été.

L’épreuve met en lumière une partie de soi qu’on ignorait posséder et en particulier celle de mobiliser une énergie colossale. On devient fort ; « forte contre » mais selon ce « contre » biblique qui, loin de souligner une opposition, pointe au contraire la reconnaissance d’une altérité, pour laquelle on se sent prêt à donner sa vie.

Et enfin, ce qui n’est pas écrit dans le texte et rarement verbalisé comme tel, la rencontre dans ce type d’épreuve est l’occasion de poser un certain regard sur la finitude.

Quitter le « vieil homme » disent les mystiques, pour naître différent, certes, mais aussi apercevoir un instant ce à quoi ressemble le passage vers un ailleurs dont on ne sait rien. L’épreuve surmontée a offert un avant goût d’une autre Pâque qui nous attend au terme de notre vie humaine. Tel qu’il se devine dans ce moment particulier, cet « ailleurs » murmure pourtant qu’il détient un pouvoir qui oriente vers l’espérance.

Cette fenêtre sur la Lumière est l’apanage de ceux qui ont traversé l’impossible : les sportifs de haut niveau (marathoniens, cyclistes…), tout au bout de la résistance humaine ; les grands mystiques dans leurs moments d’extase ; les martyrs sans doute, et ceux peut-être que la mort a frôlés… Et puis cadeau suprême : toutes les femmes qui ont eu le bonheur de devenir mères dans des conditions naturelles sans complications.

Conclusion

A partir de ces deux illustrations que sont la naissance et l’expérience de Jacob, nous avons pu nous représenter la notion de passage comme une épreuve transformante.

Nous aurons l’occasion de voir que la Pâque juive et celle du Christ ne disent rien d’autre que cette traversée qui nous rend autres en nous ouvrant la voie vers une liberté nouvelle mais un peu inquiétante par la part d’inconnu qu’elle comporte.

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[1] Voir Arthur Janov, Le cri primal, (Champs essais 922), Paris, Flammarion, 2009 (1ere : 1970)

[2] Frédérick Leboyer, Pour une naissance sans violence, (Points), Paris, Seuil, 1974, 158p., p. 35.

[3] Fr. Leboyer, Pour une naissance sans violence, op. cit., p. 15.

[4] Fr. Leboyer, Pour une naissance sans violence, op. cit., p. 45.

[5] Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit, Parlez-nous des Enfants. Et il dit :

Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même, Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous. Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance pour que Ses flèches puissent voler vite et loin. Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie; Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

[6] Une des étymologies du nom de Jacob se rattache au fait qu’il a supplanté, qu’il a « talonné » son frère.

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  2/ Anne Soupa :

Pâques est une fête déroutante, qui inspire presque une certaine crainte. Il y a d’abord ce long le carême, souvent conçu comme un exercice ascétique, avec ses privations, ses renoncements, puis les jours de la Passion, synonymes de souffrance, de dolorisme, et d’une culpabilité sourde, souvent non verbalisée. Tout cela fait un peu peur et génère une certaine culpabilité parfois combattue par des bouffées réactives : « Ce n’est pourtant pas moi qui l’ai mis en croix, Jésus ? » Et l’existence même de ce clivage intérieur : je me sens coupable mais je ne suis pas coupable », est sans doute, pour beaucoup d’entre nous, difficile à vivre. Et vient la tentation de jouer au hit-parade des fêtes chrétiennes et de dire ouvertement : « Ah vraiment, je préfère Noël. Pâques, c’est compliqué, tout ce sang, cette violence, c’est un peu barbare ; à l’ère du développement personnel, de la réalisation pleine et entière de son « Moi », c’est même… un peu incompréhensible, c’est presque démodé ».

Eh bien non, avec vous, nous ne jouerons pas à ce petit jeu mondain. Oui, Pâques est bien le centre de la foi chrétienne, fondée sur ce qu’on appelle le kérygme, l’annonce centrale déployée par les disciples : « Christ est ressuscité, prémisses de notre résurrection ».  Sylvaine et moi nous voudrions vous montrer que cette fête centrale l’est, aussi et d’abord, parce qu’elle épouse le mouvement même de nos vies. Après Sylvaine, je m’y risque ce soir.

Comme elle, je le ferai en partant du mot hébreu que l’on traduit par « Pâques ». Il s’agit du mot pessah qui veut dire « passage ». Ce mot de Pâques désigne deux événements distincts, mais qui se nourrissent mutuellement. Le premier, le plus ancien, « la Pâque », au singulier, est la traversée de la Mer par les Hébreux qui ont quitté la servitude de l’Égypte pour aller faire au désert le dur apprentissage de la liberté. Le second, Pâques chrétienne, que les Français ont pris l’habitude d’orthographier avec un « s » – sans que, pour ma part, je n’en ai jamais trouvé d’explication, sauf que, peut-être, le « s » atteste que pour toujours nous fêtons deux Pâques, – est la traversée des eaux de la mort par Jésus lors de sa Passion, passant de la mort terrestre à la vie sans déclin avec Dieu.

Le point d’ancrage de ma réflexion est la polysémie du mot « passage ». Cette réflexion ne vous apprendra rien en termes de savoirs, car elle est faite de lieux communs d’une grande banalité, mais je crois en leur vertu, car ils sont d’abord des « lieux en commun », et ce qui est en commun entre nous est très important, car nous nous construisons, en tant qu’êtres humains, sur ce que nous avons en commun.

Promenons-nous donc avec ce mot de passage. Sylvaine nous a montré que la vie commence par un passage, mais nous voyons déjà que les passages ne manqueront pas dans nos vies. Nous sommes des passants, des êtres qui passons. Voués à être dépassés, et même à trépasser. Dans deux générations, qui se souviendra de nous ? Dans la vie courante, ce verbe est utilisé à tout bout de champ. Tu me passes la salière, je passe une épreuve, un record, je passe un examen et je vais passer en année supérieure. Je passe te voir, es-tu là ? Ce verbe passer est le verbe de base du mouvement. Toute notre vie est passage.

-Passer est un mouvement tantôt collectif, tantôt individuel. Quand il est individuel, c’est qu’il est subjectif. Certains enfants passent de l’école primaire au collège sans presque même s’en rendre compte, d’autres peinent.

-Entre le passage et le temps, il existe un lien de structure. Le passant est celui que marque le temps. Je suis, nous sommes tous, par notre naissance par notre conception même, inscrits dans le temps. Être conçu, c’est entrer dans le temps, c’est même l’épouser, sans la moindre possibilité de divorce.

-Observons bien que le passage est un moment paradoxal : il désigne ce qui advient, mais aussi ce qui ne reviendra plus. Le temps de le dire, et la chose, l’événement… est passé, et pour toujours.  De ce fait, le passage désigne un instant de passage, identifié, mais fugitif, et surtout insaisissable. Le passage est dans une pliure du temps, ou dans un aveuglement de nos yeux, qui le met hors de nos prises. En travaillant cette réflexion, j’ai été frappée de la similitude que le passage entretient avec le mystère de Pâques, cette résurrection du Christ, insaisissable, ces soldats qui dorment, ce tombeau vide dont personne n’a vu sortir quelqu’un. Aussi, de même que le passage pointe une pliure du temps, Pâques est une pliure, c’est l’événement par lequel l’ordinaire de nos vies, notre situation de passant, devient aussi le mystère de la nature humaine.

Fêter Pâques est donc un événement considérable.

C’est admettre que nous vivons dans le temps, pour le meilleur et pour le pire, c’est rappeler ce théorème anthropologique fondamental : nous sommes des passants, avec tout ce que cela comporte à la fois de fragilité et de mystère. Pâques n’est donc pas seulement le 4 avril de l’année à venir, un jour, c’est notre vie entière « précipitée » sur ce moment. Faudrait-il inventer le verbe « pâquer » pour dire que route notre vie est Pâques ?

Alors, si toutes nos vies sont passage, serait-ce que je n’ai encore rien dit ? On pourrait le penser. Cependant, il n’en est rien.

Des civilisations prestigieuses ont, sinon fait l’impasse sur le temps, l’ont pourtant tenu pour une épine dans le pied de l’humanité. Un seul exemple : les Grecs anciens aspiraient à l’immobilité ; ils considéraient l’univers comme créateur de cycles qui revenaient. Pour eux, l’inévitable mouvement humain était un handicap, une tare même. Ah, arrêter le temps, jouir de l’immobilité, oui, quelle jouissance espérée, parfois ! Qui d’entre nous ne l’a au moins souhaité une fois ?

Pourtant le monde juif honore le passage et le fête comme l’événement libérateur par excellence. Ce faisant, ils ont éclairé une dimension essentielle de l’être humain ; nous sommes insérés dans une histoire. En magnifiant nos histoires individuelles, en en faisant le lieu de l’accomplissement humain, les Juifs ont inventé l’Histoire, jamais répétitive, jamais close sur elle-même, mais ouverte, tournée vers une potentialité d’avenir, une « eschatologie », mot compliqué qui veut dire fin des temps, mais qui a généré quantité de réflexions aux derniers siècles avant le Christ.

Si nous voulons parler de Pâques, nous devons donc d’abord saluer le génie juif qui fait de l’être humain un être inscrit dans une histoire, et qui voit même dans cette inscription sa grandeur ; ce n’est pas pour rien que la Bible raconte, parfois deux fois de suite les mêmes événements !

Ce que Juifs et Grecs ont dit des êtres humains, ils l’ont dit aussi de leurs dieux.

Aux dieux grecs, revenait l’impassibilité ; au Dieu biblique -celui du Premier Testament- une double caractéristique, l’altérité et la proximité. Dieu est le Tout Autre, l’inconnaissable, celui qui reste hors de toute prise. Il est ce proche et lointain dont parle le livre du Deutéronome (Dt 30, 14 : « La parole est tout près de toi »). Car, du sein de cette altérité irréductible, Dieu est présent, il est là. La meilleure image pour comprendre cette tension entre les deux est celle de la Nuée qui accompagne le peuple au désert, tantôt lointaine, au ciel, tantôt sur terre, quand elle enveloppe le peuple d’un manteau de brume. Mais sans jamais disparaître. Et quand le peuple aura construit le Temple, à Jérusalem, c’est la Shekinah, la présence divine, qui tiendra le rôle tenu au désert par la Nuée.

Le Dieu biblique, qui n’est pourtant pas dans le temps, y entre pour faire route avec son peuple et le garder, une fois entré en Terre Promise.

Et ce Dieu aussi va passer ! Avant de regarder de près la Pâque juive, ce que Sylvaine nous aidera à faire la semaine prochaine, pointons, dans le livre de l’Exode, ce passage de Dieu dans la vie du peuple encore en servitude. Peu avant le passage de la Mer, Dieu, déjà, avait passé. Et Moïse le raconte, aux Hébreux, déjà avant qu’ils ne quittent leurs maisons : « Vous direz à vos fils : ‘C’est le sacrifice de la Pâque pour YHWH qui a passé au-delà des maisons des Israélites en Égypte, lorsqu’il frappait l’Égypte, mais épargnait nos maisons’ » (Ex 12, 27). Le passage fondateur est celui de Dieu. Si Dieu a passé, alors le peuple pourra passer. J’insiste pour dire qu’avant de mettre le premier orteil dans la Mer, le peuple avait déjà reçu les arrhes du salut. Il avait su que Dieu avait passé. Ce Dieu, notre Dieu est là, et il sauve.  La Pâque juive est en réalité associée à un double passage, celui de Dieu, puis celui de la Mer. Et n’oublions pas que le premier va générer le second.

De la certitude que Dieu a passé le premier, je tire déjà deux conséquences essentielles qui devraient enrichir la manière dont nous pourrons vivre Pâques.

-Si tout bouge, si tout est mouvement, et si Dieu est là, au creux de nos vies qui bougent, puisqu’elles sont dans le temps, c’est presque un manque de foi de vouloir retenir le présent. C’est craindre que demain, Dieu ne soit plus là. Le prophète Jérémie dénonce cette attitude avec une belle image. Il fait dire à YHWH : « Ils m’ont abandonné, moi la source des eaux vives, pour se creuser des citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau » (Jr 2, 13). Dans le Nouveau Testament, c’est Pierre qui se laisse tenter, Á la Transfiguration, il ne peut s’empêcher de dire : « Dressons trois tentes » (Mc 9, 5), car il est saisi de peur. L’événement est si grand, si perturbant, que Pierre veut faire « un arrêt sur image ».

Si la crispation sur le présent est un manque de foi, c’en est un encore plus grand que de s’arc bouter sur le passé, de vouloir revenir en arrière. « Le Jourdain peut-il remonter ? », demande plusieurs fois le psalmiste. S’enrichir du passé, oui, mais non pas s’y fixer. Non, Dieu est dans le mouvement, dans la vie partagée, dans l’espérance d’un avenir. Au désert, Dieu sera là, auprès de son peuple.

Vous devinez, je suppose, combien ce simple mot de passage résonne aujourd’hui, au milieu des préoccupations identitaires de l’Église. L’institution veut-elle passer la Mer ? Depuis presque 13 ans, je pose cette question, que d’autres posent aussi. Certes, il ne faut pas prendre cette consigne au pied de la lettre. Passer n’invalide pas l’obligation de discerner. On ne passe pas à n’importe quel prix, ni avec des équipages qui ne sont pas prêts. Mais tant de signes objectifs sont là qui montrent la servitude dans laquelle reste l’institution à ne pas vouloir passer, que l’on peut légitimement pointer la contradiction qu’il y a entre la proposition pascale, profondément dynamique, et la frilosité institutionnelle actuelle.

-La seconde observation, est que si Dieu accompagne son peuple, c’est qu’il croit en son avenir. Il marque nos maisons, comme il a marqué celles des Hébreux opprimés, il nous sauve des plaies de la servitude, pour que, encore et toujours, nous osions passer là où la liberté nous appelle. Aller de la servitude à la liberté, tel est le message central de la Pâque juive.

Alors, si nous en venons à la Pâques chrétienne, que dit-elle de plus ? Elle paraît d’abord aux antipodes de la Pâque juive. Dans un cas, on passe de la servitude à la liberté, dans le second, de la vie à la froideur du tombeau.

C’est à la mort pour toujours que se préparaient la plupart des croyants juifs aux siècles précédant la naissance de Jésus. Là, il faut distinguer les Sadducéens des Pharisiens qui, avec les Zélotes et les Esséniens, forment les quatre grandes composantes juives des derniers siècles avant Jésus.

Les Sadducéens sont les membres de la classe sacerdotale liés au Grand Prêtre Sadoq et, par extension, ils englobent le clergé qui les entoure. Les Sadducéens ne croient pas à la résurrection des morts parce qu’elle ne figure pas dans la Torah.  Ils croient en un Shéol, un royaume des ombres, une sorte de placard, ni lieu de tortures, ni lieu de béatitude, mais un lieu de mort, tout simplement, ce lieu dont Job dit : « Qui descend au Shéol n’en remonte pas » (Jb 7, 7-9).

Les Pharisiens, par contre, y croient. Les Pharisiens  sont des gens très pieux, très instruits de la Loi, dotés d’une exigence morale très forte. Ils fondent leur foi en la résurrection sur Isaïe Is 26,19 (« Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent ! »), sur la célèbre vision des ossements desséchés en Ezéchiel 37, et sur un texte plus tardif (2e siècle av. J.C.), le 2e livre des Maccabées, qui raconte le martyre de sept frères sous les yeux de leur mère, lors d’une persécution menée par les Grecs contre les Juifs. Successivement, le 2e fils dit : « Le roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Mac 7, 9), puis le 3e : « Le ciel me rendra mes membres », puis le 4e affirme « tenir de Dieu l’espoir d’être ressuscité » (2 Mac 7, 14), puis enfin la mère, « admirable », dit : « Le Créateur du monde, qui est à l’origine de toutes choses, vous rendra, dans sa miséricorde, et l’esprit et la vie » (2 Mac 7, 23).

Tel est le bagage de croyances dont a hérité Jésus à sa naissance. Dans ce contexte, se mettre à véhiculer l’idée d’une autre Pâque, fondée sur un autre passage, est donc une sorte de bombe. Jésus lui-même ne se présente pas du tout comme l’inventeur d’une nouvelle Pâque. Simplement, les évangélistes vont raconter comment sa Passion s’inscrit dans le calendrier même de la Pâque juive. Le déploiement de cette avancée théologique considérable sera l’œuvre de la foi, celle des témoins, les femmes, certains des apôtres, et la nôtre.

Je voudrais conclure en rappelant précisément, la place de la foi. Ce « topos anthropologique » que j’ai déplié à l’instant au sujet du passage, il ne se conçoit que dans la foi. Pâque est passage pour qui a la foi. Comme je le rappelais au début, c’est la foi en un Dieu qui passe qui fait passer. C’est pourquoi, tout au long des évangiles, revient comme une rengaine la nécessité de croire. Les évangélistes font profession de foi en la foi, parce que c’est la foi qui est le ressort anthropologique décisif. L’être humain est vivant lorsqu’il fait confiance, lorsqu’il a foi. C’est sa confiance qui le fait passer.

La Bible suggère avec insistance, par de nombreux récits, à l’aide de nombreux témoins, que l’être humain qui s’accomplit est celui qui croit, qui fait confiance. Je vous propose de le vérifier avec un exemple tiré de l’évangile de Jean. Il s’agit du dialogue entre Marthe et Jésus, au moment où Marthe rejoint Jésus que l’on a prévenu de la mort de son ami Lazare :

« Quand Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla à sa rencontre, tandis que Marie  restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : “Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera.” Jésus lui dit : “Ton frère ressuscitera” – “Je sais, dit Marthe, qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour.” Jésus lui dit : “Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ?” Elle lui dit : “Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde.” » (Jn 11, 20-27).

Jésus n’y va pas par quatre chemins : il demande : « Le crois-tu ? ». Marthe avait déjà confessé sa foi en Jésus (tout ce que tu demandes, Dieu te l’accordera). Elle lui fait confiance. Á la fin du dialogue, elle a accompli un saut théologique considérable, elle a passé l’obstacle théologique. La Résurrection n’est plus au dernier jour, elle est là, tout de suite. Croire en Jésus, c’est être déjà ressuscité (Je suis la résurrection). Voilà un passage, qui, certes, ne ressemble pas au passage de la Mer, mais qui est un déplacement conceptuel considérable. Marthe l’a franchi dans la foi. Cela ne l’empêchera pas quelques versets plus loin, de mettre en garde Jésus : « Il sent déjà », donnant à Jésus l’occasion de la prendre en défaut de persévérance dans sa foi. « Ne t’ai-je pas dit, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ». Je conclus ces réflexions sur le passage avec la figure de Marthe, à la fois confiante, audacieuse, et malgré tout incapable de comprendre tout de suite la portée inouïe de ce qu’elle dit. Freud avait remarqué que les tous petits ont pour habitude de quitter leur mère de quelques pas, puis ils reviennent vers elle, puis ils repartent, un peu plus loin d’elle. « Hin und zurück, disait-il. Marthe fait la même chose et c’est magnifique d’humanité.

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La semaine prochaine : la fête de Pâque(s)

7 réponses pour “Visio conférence VIVRE LA PAQUE N°1 Pâques, une inconnue bien connue”

  • Je reprends la phrase d’Anne :
    Et Moïse le raconte, aux Hébreux, déjà avant qu’ils ne quittent leurs maisons : « Vous direz à vos fils : ‘C’est le sacrifice de la Pâque pour YHWH qui a passé au-delà des maisons des Israélites en Égypte, lorsqu’il frappait l’Égypte, mais épargnait nos maisons’ » (Ex 12, 27).

    Si le sens de la Pâque juive est le passage de la servitude à la liberté (la sortie d’Égypte, la traversée de la mer Rouge, le long chemin vers la terre promise), le sens littéral de ce récit n’a-t-il pas pris le dessus (cf. ce que véhicule le film « Les dix commandements » de Cecil B DeMille).
    Moi-même je suis choquée chaque année, lors de la première lecture de la liturgie du samedi saint qui présente la mort des Égyptiens et le salut des Hébreux (Ex, 14,15-31).
    Au premier degré ce récit est inaudible et je le trouve dangereux en ces temps de conflits au moyen-orient et à toutes les conséquences regrettables du conflit israélo-palestinien.

    La tendance matérialiste de notre temps et celle de se limiter à une lecture au premier degré des textes n’est-elle pas un obstacle regrettable ? Pourquoi ne met-on pas en garde les fidèles contre ce danger et ne les éclaire-t-on pas en leur donnant accès aux sens spirituels des textes ?

    • Vous avez totalement raison : il est impensable d’interpréter l’Écriture au premier degré. Elle nécessite une approche par les 4 entrées connues depuis longtemps : sens littéral, allégorique, tropologique ou moral, et anagogique (qui oriente vers les vérités dernières). En travaillant le texte, on comprend vite que les Égyptiens dans cette histoire ne font que représenter l’oppression d’où qu’elle vienne, et les Hébreux les opprimés. Il peut nous arriver à tous d’être des “Égyptiens”, hélas 🙁

      • Merci de votre réponse. Mais quand ces choses sont-elles dites ?
        A la messe, après chaque lecture, on dit “Acclamons la parole de Dieu”;
        Si le prêtre dans son homélie ne met pas ses paroissiens en garde, chacun reste, sauf formation théologique personnelle, dans cette erreur d’interprétation.
        J’ai envie de dire : “Il y a du boulot !”

  • Je voudrais poser une question à propos de l’épisode de Jacob ” Au lever du soleil, il avait passé Penuel et il boitait de la hanche. »
    Quel est le sens symbolique de cette blessure à la hanche qui le fait désormais boiter ? Quel est le sens du mot hébreu ?
    Lors de la visio-conférence j’ai posé la question par écrit dans la discussion et une personne a répondu :”La hanche en énergétique est un point de passage”. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

    • Je vous prie de me pardonner : en effet, je me souviens de votre question et d’avoir différé la réponse en pensant trouver ensuite une réponse convenable.Je n’ai trouvé aucune référence sur ce sujet. J’ai interprété la localisation de cette blessure comme lieu à la fois intime et extériorisé puisqu’il handicape la marche (visible) et gêne l’individu là où se situent les nerfs et réseaux sanguins que les médecins ont nommés “honteux”… Mais votre approche est très intéressante aussi s’il s’agit d’un point de passage selon d’autres registres…
      Si mes collègues hébraïsants me fournissent des informations complémentaires quant à la symbolique, je ne manquerai pas de les ajouter ici.

  • Anne dit: «tant de signes objectifs sont là qui montrent la servitude dans laquelle reste l’institution à ne pas vouloir passer, que l’on peut légitimement pointer la contradiction qu’il y a entre la proposition pascale, profondément dynamique, et la frilosité institutionnelle actuelle».
    J’aurais tendance à dire que le «passage» n’est pas pour les institutions, mais pour les personnes.
    Et à ce titre nous sommes tous personnellement interpellés et appelés à la Vie nouvelle.
    Il ne sert à rien de pointer les autres et de dire «vous avez un passage à faire». En sous-entendant que nous, bien sûr, on est du côté sauf de la Mer.

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