https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/17/christine-pedotti-le-mepris-des-femmes-met-le-catholicisme-en-danger_6070229_3232.html
Tribune. La religieuse française Nathalie Becquart vient d’être nommée sous-secrétaire du Synode des évêques, l’un des organes permanents du Vatican. Il s’occupe de l’organisation des synodes romains, ces réunions régulières d’évêques de différents pays qui débattent  d’un sujet particulier.
Nathalie Becquart en devient la numéro deux, sous l’autorité de Mgr Mario Grech, qui en est le secrétaire. C’est la première fois qu’une personnalité « laïque », c’est-à-dire non ordonnée diacre, prêtre ou évêque, accède à ce niveau de poste – et de surcroît, c’est une femme. A ce titre et à ce niveau de responsabilité, elle détient donc un « droit de vote » dans le cadre des synodes. Le dernier synode en date était sur l’Amazonie (octobre 2019) ; le prochain, en octobre 2022, portera sur la « synodalité » – une sorte de mise en abyme, puisque ce sera une réflexion « synodale » sur la façon de prendre des
décisions en synode.
Au Vatican, la synodalité désigne ce que le monde profane appellerait concertation, voire, osons le mot, processus démocratique. C’est une question importante pour le pape François, qui tente de sortir l’Église catholique d’un exercice autoritaire, centralisé et clérical du pouvoir. En désignant une femme, le pape fait un geste symbolique de « décléricalisation », alors que le synode va tenter d’amender un fonctionnement trop centralisé.
« Seconder » ces messieurs
Le fait qu’il soit précisé que la nomination de Nathalie Becquart comporte l’exercice du droit de vote n’est pas une anecdote puisque lors du synode sur l’Amazonie, s’était levée une fronde légitime des religieuses qui n’avaient pas eu le droit de voter, tandis que leurs homologues masculins, religieux non-prêtres, avaient pu l’exercer.
Alors qu’une femme, Nathalie Becquart, a été nommée pour la première fois au Synode
des évêques, la féministe catholique met en exergue, dans une tribune au « Monde », les
limites de cette décision.

Christine Pedotti : « Le mépris des femmes met le catholicisme en danger »

Cette nomination va dans le même sens que le récent motu proprio, un acte propre du pape – qui a ouvert aux femmes deux « ministères » – des services rendus lors de la célébration liturgique : le lectorat et l’acolytat. Ils n’étaient jusque-là confiés qu’à des hommes, alors que ce sont des « ministères de laïcs ».
Les motifs de François sont clairs : faire disparaître toute discrimination à l’égard des femmes pour ne laisser subsister que la différence entre les baptisés laïcs, hommes et femmes, et les clercs. Si l’effort est tout à fait louable, il reste que, dans l’Église catholique, les clercs sont toujours des hommes. C’est bien là que le bât continue de blesser. Et il ne s’agit pas seulement de célébrer la messe et les autres sacrements. Dans l’Église catholique, le sacrement de l’ordre ne permet pas seulement de s’occuper de
la part « sacrée » ; il confère aussi – et de façon exclusive –, la mission de gouverner et celle
d’enseigner, c’est-à-dire d’énoncer les normes.
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Célébrer, gouverner, enseigner, telles sont les trois tâches exclusivement dévolues aux hommes. Que reste-t-il aux femmes ? Le droit de « seconder » ces messieurs. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Nathalie Becquart, qui se retrouve numéro deux.
Bien sûr, dans le monde profane, les femmes ont encore les plus grandes peines à devenir numéro un, mais ça finit par arriver. Ursula von der Leyen est ainsi présidente de la Commission européenne.
Dans le catholicisme, au contraire, les femmes seraient-elles condamnées à demeurer secondes pour « l’éternité » ? Le pape Jean Paul II l’a énoncé comme tel en 1994, en prétendant que l’affaire n’était pas entre les mains de l’Église catholique – qui, selon lui, « n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes » – mais de Dieu lui-même.
« Cache-sexes »
Le pape François est-il tenu par le verrou posé par un pape, qui plus est un pape canonisé ? L’intention de Jean Paul II était bien de bloquer la porte de la façon la plus solide possible. Mais, au fond, le pape François veut-il réellement l’entrouvrir ? Poser la question, c’est interroger le pontificat de François.
Les pas y sont très petits. Certes, l’homme, par un charisme propre, a redonné de l’éclat à la fonction pontificale. Son souci constant des plus pauvres et des plus fragiles, s’il irrite nombre de catholiques « conservateurs », lui vaut une grande estime hors ou aux marges de l’Église, où beaucoup y voient s’exprimer la vérité évangélique.

Mais le pape François souhaite-t-il réellement des changements profonds dans l’organisation actuelle de l’Église ? On peut en douter. Le synode sur l’Amazonie s’était prononcé en faveur de l’ordination d’hommes mariés. Le pape ne l’a pas suivi. Une commission travaille sur l’hypothèse d’ordonner des femmes diacres ; il semble que ses travaux s’embourbent et que rien n’en sortira. Lorsqu’on demande au pape s’il a l’intention de nommer des femmes cardinales – il lui suffirait pour cela de renouer avec la très longue tradition des cardinaux laïcs à l’instar de Mazarin –, il s’en tire par une pirouette en disant qu’il ne faudrait pas « cléricaliser » les femmes, comme s’il fallait protéger les femmes d’un mal que les hommes peuvent subir.
Hélas, quelles que soient les qualités humaines du pape François, il ne semble pas avoir pris la mesure de la situation. Les minuscules « pas de clerc » que sont le motu proprio ou la nomination de Nathalie Becquart sont de piètres « cache-sexes » qui ne peuvent dissimuler la profonde misogynie structurelle du catholicisme et son organisation puissamment patriarcale et masculiniste. Lucetta Scaraffia, qui avait créé le supplément mensuel féminin de L’Osservatore romano, a décrit l’effrayante goujaterie des hiérarques du Vatican à l’égard des femmes ; elle l’avait vue de très près. Au Vatican, prêtres, évêques et cardinaux trouvent normal d’être servis par des religieuses qui, pour certaines, sont aussi formées et savantes qu’eux.

Le mépris des femmes met le catholicisme en danger, car, quoi qu’en pensent ces messieurs mitrés, perdre les femmes, c’est perdre l’avenir. Il n’y a pas plus de génération spontanée dans le catholicisme qu’ailleurs. Le pontificat de François n’est pas révolutionnaire et à peine réformateur. Reste cependant un motif d’espoir. Les plafonds de verre sont comme les pare-brise des automobiles : il suffit d’un éclat pour que tôt ou tard ils se brisent.
Christine Pedotti (Vice-présidente du Comité de la jupe)

photo texte Christine Pedotti dans Le Monde

Christine Pedotti dirige la rédaction de Témoignage chrétien. Elle a cofondé, avec la bibliste
Anne Soupa, le Comité de la jupe. Intellectuelle féministe, catholique de gauche, écrivaine et
journaliste, elle est l’autrice de nombreux ouvrages, parmi lesquels Jésus, l’homme qui préférait
les femmes (Albin Michel, 2018) et Jean Paul II, l’ombre du saint (avec Anthony Favier, Albin
Michel, 2020).

8 réponses pour “Christine Pedotti : « Le mépris des femmes met le catholicisme en danger »”

  • Madame
    Vous connaissez parfaitement les raisons, qui tiennent à la nature même de L’Eglise, pour lesquelles les ministères episcapaux et presbyteraux sont réservés aux hommes et vous savez aussi parfaitement pourquoi aucun Pape ne peut modifier ceci. Il est dommage que vous fassiez fi de la nature réelle de L’Eglise, corps du Christ pour situer en vérité la place des Hommes et des Femmes dans L’Eglise. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de difficultés et qu’un certain nombre de choses sont à revoir. Ça veut dire que la voie que vous privilégiez n’est pas la bonne. La complémentarité de l’homme et de la femme ne signifie pas l’indifferentiation des services et des ministères.
    L’Eglise catholique n’est pas L’Eglise Protestante, ni le Judaïsme, ni l’islam. Le Prêtre n’est pas celui qui conduit la prière. Tout ceci vous le savez. Le croyez vous ?

    Bien cordialement

  • “Reste cependant un motif d’espoir. Les plafonds de verre sont comme les pare-brise des automobiles : il
    suffit d’un éclat pour que tôt ou tard ils se brisent.” L’image choisie est une réalité bien connue dans certains domaines de la mécanique des grosses structures. L’état du matériaux dont est constituée une machine peut se dégrader doucement et lentement sans signes avant coureurs et provoquer la dégradation brutale et catastrophique de l’appareil. Ces comportements sont éxpliquées par les lois de la “Mécanique de la rupture”. Concept moderne bien connu maitenant des fabriquants de ponts, de barrages, de centrales nucléaires, d’avions de bateaux etc. dont la méconnaissance dans la passé a été à l’origine de biens des catastrophes. Heureusement de ce côté là les choses ont évolué parfois sous les exigences de l’autorité adimistrative toujours sous la contrainte de l’opinion publique. Nos évêques feraient bien de méditer ces modèles et d’écouter le bruit de microfissures qui par coalescence grossissent lentement et en silence mais tôt ou tard produiront la rupture brutale d’une structure fatiguée mais dont ceux qui ont la charge de la faire marcher refusent de l’admettre. La parabole du pare brise de ce point de vue illustre parfaitement la situation dans laquelle se trouve l’Eglise.

    • Merci de ce message qui renforce la métaphore de Christine. L’avantage c’est que là, il n’y a pas de risque d’accident. Ce sera l’écroulement d’un pont vermoulu, d’un pare-brise opaque, pour une ré-illumination de la Bonne Nouvelle.

  • Bonjour Mme Christine Pedotti

    J’ai lu avec intérêt le livre encyclopédique Jesus que vous avez dirigée en collaboration avec Mgr Joseph Doré, spécialiste de l’œuvre commune de Mme Adrienne Von Speyr, médecin et pédiatre et du théologien Hans Urs jVon Balthasar. Ayant approcher leur œuvre de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel.(InternInsigniores, 1976), il m’est possible d’affirmer que cette question de la penséé vonspeyrienne, à partir de la prêtrise de MARIE et de sa compassion envers Mary Ward, devenue Vénérable sous SS. Benoît XVI. L’intégration de la pensée de Mme Von Speyr au Dénouement de la théologie balthasarienne, et de l’intégration de cette pensée au 3e volume de la Théologique permet de comprendre que cette œuvre commune permet la questions des ministères ordonnés sans distinction entre les sexes ou selon leur état de vie. Bonne poursuite de votre engagement.

  • “A bien lire les quatre Evangiles canoniques, on ne trouve aucune trace de cette misogynie – il faudrait plutôt dire de cette gynécophobie – chez le Christ. Merci à Christine Pedotti d’avoir mis cela en évidence dans Jésus, l’homme qui préférait les femmes (Albin Michel, 2018). On s’imaginait Jésus entouré d’une garde rapprochée de douze hommes, les femmes demeurant à distance, comme au fond du décor. Elle nous le fait découvrir en conversation avec de nombreuses femmes, fidèles disciples à ses côtés ou croisant son chemin. Jésus les côtoie, les touche et se laisse toucher au propre comme au figuré. Elles le questionnent sans jamais être rabrouées, argumentent et sont écoutées par lui. Parfois, il se laisse convaincre… peut-être même convertir. Après vingt siècles de commentaires presque exclusivement masculins, on découvre un Jésus certes en avance sur son temps, mais aussi en avance sur le nôtre, car il n’assigne jamais aux femmes un rôle lié à leur sexe.”(Extrait du chapitre “Et les femmes, dans ton Eglise?” de LETTRE OUVERTE AU PAPE FRANCOIS https://christophebaroni.info/cbaroni.html#L22 )

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