Réponse au commentaire de Marc Farine à propos de savoir « pour qui est mort le Christ ? » dans l’article : « Hors de l’Église point de salut »

 

Comment penser que le Christ serait mort « pour beaucoup » ou « pour la multitude » ? Qui seraient les exclus ?

Observons d’abord que Dieu, le premier, se donne. Dans son Traité fondamental de la foi, Karl Rahner explique que « L’essence spirituelle de l’homme est d’entrée de jeu posée par un acte de création de Dieu, du fait que Dieu veut se communiquer lui-même : (…) Dieu veut faire don de lui-même par amour.[1] » Il postule l’autocommunication de Dieu, comme proposition qui concerne absolument tous les hommes et K. Rahner précise aussitôt que « [le] caractère surnaturel et gratuit de l’autocommunication de Dieu n’est pas menacé ou mis en question par le fait que cette autocommunication est accordée à tout homme.[2]»

Mais parce que l’être humain est créé libre, il doit accueillir ce don.

L’être humain créé à l’image de Dieu est, capable d’accueillir ce don : il est, dit-on, capax Dei. Le don gratuit de Dieu le rend apte à le recevoir, en lui insufflant le désir de le connaître. Thomas d’Aquin expose cette capacité à recevoir la puissance permettant d’atteindre la connaissance surnaturelle. Mais il montre aussi que celle-ci appelle l’action de l’homme : « Le don de Dieu ne suffit pas, il faut également le vouloir. ».

Par conséquent tout être humain est assisté dans sa démarche par un désir naturel de voir Dieu.

Comme l’explique H de Lubac « « La créature spirituelle a un rapport direct à Dieu, qui lui vient de son origine.[3] » et l’être humain « désire » Dieu, puisque « Fait pour Dieu, l’esprit est attiré par lui. »

Mais que devient ce désir confronté au péché et comment opère alors la grâce ?

Malgré le péché, l’être humain a été créé en vue d’une finalité surnaturelle ; le péché ne rompt pas sa relation avec Dieu, mais l’homme, parce qu’il est pécheur, a besoin du « secours » de la grâce divine.

Ainsi, à partir du don gratuit de Dieu qui se loge jusque dans le désir de le connaître placé au cœur de l’homme, il reste à ce dernier, le choix de l’accueillir ou non et surtout à recevoir cet appel à vivre la grâce et à mener une vie selon la loi d’amour du Christ.

Cette conception de la grâce restitue à l’être humain sa liberté entière en ce qu’il est appelé à interpeller la vie du monde en renonçant à toute complaisance. Augustin disait « C’est sans toi que Dieu t’a fait. Tu n’as donné le moindre consentement à cet acte. Comment y aurais-tu consenti alors que tu n’existais pas ? Oui Dieu t’a fait sans toi, mais il ne te justifie que si tu le veux. » (Sermon 169).

 

Éric Mangin l’explique par d’autres termes : « L’homme ne saurait commencer si Dieu lui-même n’avait pas commencé son travail en lui, ou plus exactement, commencer pour l’homme, c’est peut-être tout simplement découvrir la présence d’un déjà là : “Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors et c’est là que je te cherchais […] Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi ”. Ainsi s’articulent la grâce de Dieu et la liberté de l’homme, la grâce de Dieu ne peut se substituer à la liberté de l’homme qui doit commencer par lui-même dans la foi, mais cette liberté humaine ne pourrait commencer son travail si elle n’était pas d’abord soutenue par la grâce de Dieu. » (cf Théophilyon XX-2 Nov 2015).

 

Au terme nous voyons donc que ce n’est pas tant l’adhésion à une institution ou une autre qui offre le salut. Ne pas être sauvé reviendrait à utiliser sa liberté pour rejeter le don premier d’amour de Dieu. Mais dans le regard face à face (pè al pè – bouche à bouche dit l’hébreu) qui au moment de la rencontre ne fondra pas dans l’Amour ? Qui résistera ? Il faut croire avec Hans Urs von Balthasar et Édith Stein qu’un refus définitif de l’amour de Dieu est « infiniment improbable ». En outre, pour le théologien suisse, le Christ par sa mort s’est substitué à tout homme, y compris le plus pécheur. Et son acte de rédemption serait donc inefficace si un seul en était exclu.

 

[1] K. Rahner, Traité fondamental de la foi, Paris, [1976], le Centurion, éd. 1983, p. 147.

[2] K. Rahner, Traité fondamental de la foi, p. 151-152.

[3] H. de Lubac, « Le mystère du surnaturel », in RSR 36, (1949), p.107.

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