de Sylvaine Landrivon

Le 17 février paraîtra en librairie mon dernier livre Les leçons de Béthanie publié aux éditions du Cerf. Je souhaite vous le présenter en avant-première en le situant dans mon parcours.

Après avoir travaillé sur la place des femmes dans la Bible, chez les Pères de l’Église, puis du point de vue de l’institution, -notamment par les interventions de Jean-Paul II-, dans ma thèse La femme remodelée,  j’ai poursuivi mes recherches afin de montrer en quoi une parole féminine est nécessaire au partage de notre foi en un Dieu d’amour.

J’avais évoqué dès le début de cette thèse, la nécessaire complémentarité qu’expose le ‘ezer k’negdô  (secours en vis à vis) de Gn 2.18 qui, d’un premier humain non genré, ouvre l’humanité à la relation par la présence de deux êtres face à face. J’ai poursuivi l’approfondissement  du « secours » féminin en l’illustrant par le personnage de Judith dans mon livre Faites-les taire, publié chez Olivétan en 2014. Et, forte de cet exemple puissant, j’ai étudié le Nouveau Testament à la recherche des relations de Jésus avec ses compagnes pour observer ce qu’il leur transmettait.

J’ai ainsi longuement examiné la figure de Marie Madeleine, dans deux livres[1], qui expliquent l’inanité du « coup de force théologique » de Grégoire le grand. Son message a consisté, contre tout ce qu’enseignaient les Pères orientaux, à amalgamer cette amie de Jésus à la pécheresse décrite en Luc7. On devine pourquoi dès lors, les femmes sont renvoyées à leur affectivité, leur sexualité, et sont discréditées comme partenaires égales aux autres disciples, malgré tout ce que Paul a écrit sur cette importante collaboration féminine dans le premier siècle du christianisme. Cette nouvelle figure, inventée par un pape, a éclipsé toutes les autres jusqu’à ce jour, quoi qu’en aient dit de très grands saints comme Romanos le mélode, puis Thomas d’Aquin. Et pourtant ce dernier a renouvelé pour la Magdaléenne, son ancienne appellation d’apôtre des apôtres, ce qu’aucun pape jusqu’aux derniers, n’a jamais contesté.

Comme l’institution persiste dans son refus d’accorder aux femmes des responsabilités égales à celles des clercs, j’ai retracé la place des femmes dans l’Évangile de Jean,[2] de manière moins « universitaire », dans un petit livre numérique édité chez Bayard par le Monde de la Bible.

Et puis, orientant un peu différemment mon regard, j’ai cherché à montrer comment l’interprétation des textes bibliques biaise souvent le message transmis. Je l’ai illustré dans La voie royale[3], par la prise en compte des douleurs de l’accouchement enseignées par tous les clercs comme un malheur alors qu’il s’agit d’une bénédiction. Ce retournement change radicalement les postures entre le masculin et le féminin, et ouvre la voie à d’autres compréhensions dans la Bible.

Mais écrire pour justifier des arguments théologiques est une chose, vivre dans une Église en perdition en est une autre. Et plus le temps passait, plus l’entre-soi clérical me signalait les victimes d’un système à bout de souffle.  Anne Soupa, m’a interpellée  un jour de juin 2020, peu après sa candidature à l’archevêché de Lyon. C’est par une action militante, ouverte, qu’il fallait mettre nos convictions en évidence et dénoncer un cléricalisme délétère.

J’appartiens à cette « espèce » de catholiques qui préfère revenir au texte de l’Évangile plutôt qu’à celui du Catéchisme de l’Église catholique. Convertie, j’ai sans doute mal compris l’injonction d’obéissance… qui me fait adhérer à une obéissance à la Parole de Dieu et me laisse très critique devant celle de ses clercs.

Bien que peu apte au militantisme et au monde associatif, (j’appartenais déjà au Comité de la Jupe), j’ai rejoint volontiers le mouvement suscité par la candidature d’Anne Soupa.

Je me suis présentée à sa suite, comme évêque laïque d’un diocèse virtuel[4], au sein de 

Mais j’avais besoin de fonder en raison ce nouvel engagement pour notre Église. J’ai repris le texte grec du Nouveau Testament et relu à nouveaux frais, les échanges de Jésus avec ses amies.

J’ai ainsi redécouvert le rôle majeur de quelques femmes de son entourage. Marie et son Magnificat, son implication depuis son « oui »… Mais avant de plonger dans le rôle de cette femme qui a suscité déjà tant d’ouvrages et d’idolâtrie, c’est vers d’autres non moins importantes que je me suis tournée. Observons alors que c’est à Marthe que Jésus donne le plus complet des cours de théologie. On perçoit dans cet échange, le vrai sens de croire et de servir. Nous l’enseigne-t-on d’habitude ailleurs que chez Maître Eckhart ? dix ans d’études de théologie ne l’avaient pas mentionnée.

Puis j’ai fait une autre découverte encore plus impressionnante. A l’exception de Grégoire le grand, qui amalgame toutes les femmes sauf la Vierge pour ne faire d’elles qu’une pécheresse qui se convertit dans les larmes du repentir, presque tous les Pères de l’Eglise ont dissocié Marie de Béthanie, de Marie de Magdala, sauf Ambroise de Milan et Jérôme qui comme quelques autres avant Grégoire, restent dans le flou à propos de la Magdaléenne. Mais en Orient, deux lieux, deux femmes… Or le texte, « labouré » à fond, montre que ce n’est pas si simple, et fait soudain apparaître une nouvelle figure qui justifie pleinement les superlatifs d’un Évangile apocryphe : celui selon Marie.

Bien sûr, Marie-Madeleine N’A RIEN A VOIR avec une femme de mauvaise vie. Grégoire le grand a tort –il le sait ; il l’instrumentalise !-  Et bien sûr cette noble personne est la plus proche de Jésus. En analysant à fond l’Évangile de Jean, on découvre que non seulement Marie la Magdaléenne est présente au moment de la résurrection,  mais c’est elle qui est là au moment de la Passion, si on ne confond pas les lieux avec les qualificatifs. Si Magdalènè ne fait pas référence à une ville (qui n’existait pas encore sous ce nom de Magdala) mais au rôle de « gardienne », de « tour », à l’instar de ce qu’expliquent saint Jérôme ou saint Thomas à partir de l’étymologie du mot, alors cela justifie cent fois que Jésus la choisisse comme première apôtre et qu’elle conserve son titre d’apôtre des apôtres pour toujours. Les sources bibliques nous instruisent de tout cela si nous les lisons en les débarrassant des biais masculinisants. Mais alors, on comprend vite les raisons de la dissimulation du message : quel pouvoir pour une femme ! Aussi grand que celui de Pierre, ou de Paul… Cette approche, qui est désormais pour moi plus qu’une hypothèse, je l’explique et la développe dans Les leçons de Béthanie. D’ailleurs, pourquoi serait-on surpris de ce déplacement idéologique ? La tradition n’a-t-elle pas masculinisé le nom de la collaboratrice de Paul mentionnée dans sa lettre aux Romains, de Junia en Junius, du seul fait que Paul la nommait « apôtre » [5]?… L’androcentrisme n’en est pas à un accommodement près.

Dans la suite du livre, de manière plus théologique, donc un peu plus aride, j’en tire les conséquences sur notre manière de croire en Christ. A genoux devant Celui qui nous indique le chemin, nous apprenons que, comme Marie à Béthanie, Il nous relève car Il nous veut « debout ». Tout son message nous enjoint de le suivre sur la voie de notre divinisation.

Forte de cette relecture, je cherche alors quelques propositions pour aujourd’hui.

De grands exégètes, philosophes, théologien.ne.s, historien.ne.s, travaillent à reconstruire le message de l’Évangile que l’institution a broyé dans son hubris, dans son orgueil démesuré qui depuis des siècles confond service et pouvoir, humilité et humiliation… En m’appuyant sur ces études récentes, en les rejoignant parfois dans ma propre recherche, il devient aisé de dénoncer les dérives cléricales qui ont fait passer Paul pour un misogyne –contresens absolu- et ont confondu sainteté et sacralité.

Mais dénoncer est assez facile. Encore faut-il proposer de nouvelles voies. Marie-Françoise Baslez a publié un dernier livre qui décrit les Églises à la maison au cours des premiers siècles[6]. Nos réflexions se rencontrent. Car c’est peut-être bien de ces tout premiers siècles, durant lesquels le message de Jésus gardait encore sa puissance, qu’il nous faut repartir… En ce temps où personne n’était laissé à la porte, où nul ne s’arrogeait le droit de se prendre pour le Christ lui-même, mais  où chacune, chacun, avait vocation à transmettre sa Parole, toute sa Parole dans une ecclesia où seul l’amour du prochain avait un sens, où il n’y avait pas de hiérarchie, et où Paul précisait qu’il n’y a « ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus ». (Ga 3,28).

C’est pour retrouver cette Église, que je me suis engagée dans les interventions militantes au sein du Comité de la Jupe, de Toutes apôtres !,… pour demander à notre institution dans ce temps synodal, de reconsidérer ses choix en matière de transmission, de gouvernance, puisque par le baptême, chacune, chacun devient prêtre, prophète et roi.

J’espère que ce livre saura porter mes convictions et les faire partager. Je suis prête, pour cela, à en débattre.

[1] Marie de Magdala « apôtre » ? Vers une ré interrogation du rôle des femmes dans l’Église, Paris, Éditions du Cerf, 2017, 208p. ; Marie-Madeleine. La fin de la nuit, Paris, Éditions du Cerf, 2017, 230p.

[2] Les femmes dans l’évangile de Jean, Livre numérique sur : https://www.mondedelabible.com/les-femmes-dans-levangile-de-jean/, Bayard, 2019.

[3] La voie royale. Vivre l’accouchement comme une Pâque et l’oser sans anesthésie, Paris, Éditions du Cerf, 2020, 350p.

[4] D’où la création de ce site e-diocese.fr

[5] Voir sur ce sujet, l’excellent livre de Michel Quesnel, Paul et les femmes. Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire, Paris, Médiaspaul, 2021.

[6] Marie-Françoise Baslez, L’Église à la maison. Histoire des premières communautés chrétiennes. Ier-IIIe siècle, Paris, Salvator, 2021, 203p.

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