L’alternatibar de Lyon a récemment reçu Antoine Dubiau pour dialoguer autour de son livre Ecofascismes.

5 membres du Comité de la jupe du groupe de Lyon participaient à cet échange en lien avec le thème du week-end de Pentecôte 2024 au couvent de la Tourette  à Eveux, organisé autour du thème : Chrétiennes, féministes, écologistes.L’Évangile comme réponse à la violence faite à la terre et aux femmes.

L’ ouvrage mérite une recension. La voici ci-dessous.

Antoine Dubiau, Ecofascismes, suivi de « l’écologie n’est pas apolitique », Caen, Éditions Grévis, 2023.

Par sylvaine Landrivon

Face au constat désormais indiscutable d’un désastre écologique en route, les analyses et les réponses s’avèrent profondément divisées politiquement. L’auteur va orienter l’ensemble de son travail sur la clarification des termes et des concepts, car, de leur ambiguïté naissent des dérives et des appropriations délétères de l’écologie.

Antoine Dubiau va d’abord affirmer que « l’écologie n’est pas (naturellement) de gauche » ; il montrera toutefois qu’elle n’est pas apolitique. Certes à partir de mai 1968, l’écologie a pris une « coloration socialiste, et également libertaire, revendiquant non seulement la sortie du capitalisme, mais aussi celle du productivisme, prenant ainsi ses distances avec les régimes communistes, responsables d’importants dégâts écologiques » (p.4).

Mais il alerte sur l’importance de pas délégitimer les autres récupérations politiques. L’extrême droite, préoccupée du maintien d’un mode de vie occidental où race blanche et capital fossile sont étroitement liés aux plans historique et idéologique, aboutit au « carbofascisme » décrit par le Zetkin Collective. Face à ce nouveau fascisme, d’autres courants non moins extrémistes s’installent. Il importe donc de quitter « l’arrogance » d’une appropriation gauchiste pour envisager comment se développe « l’écofascisme », terme qui n’est pas à considérer comme une simple insulte adressée en retour à l’accusation « d’antifasciste ».

Les définitions de base proposées par André Gorz et Bernard Charbonneau pour l’écofascisme pointent l’inquiétude d’une grave emprise technocratique sur la société, mais l’écofascisme ne se réduit pas à ce danger. Il existe une vision conservatrice de l’écologie qui va prendre deux types d’orientation qu’Antoine Dubiau se propose d’analyser : la fascisation de l’écologie et l’écologisation du fascisme.

La fascisation de l’écologie

Une réflexion courante affirme que l’être humain détruit son cadre de vie et qu’il faudrait réduire la population pour limiter les pressions sur l’environnement. Reflet simpliste de l’anthropocentrisme selon Antoine Dubiau qui conduit à des propos réactionnaires comme la prédation, le parasitisme… Il note au passage que l’exceptionnalisme humain fait débat chez les scientifiques, mais demeure bien installé chez les réactionnaires pour lesquels une supériorité humaine justifie la violence sur d’autres espèces.

Ainsi, alors que les démographes s’accordent sur une probable stabilisation de la population vers 2050, le thème de la « surpopulation » est brandi comme cause majeure de la crise écologique. Or la démographie n’est généralement qu’une variable dans les analyses ; et intervenir sur elle sans envisager les autres paramètres vise le plus souvent les populations dominées, qu’il convient de « réduire », même s’il s’agit souvent d’un impensé d’ordre raciste.

Après la crainte d’une surpopulation, un autre aspect est évoqué : celui de « l’effondrisme » consistant en l’incapacité de fournir les besoins de base à une majorité de la population. Il s’illustre par l’installation néorurale de ménages composés de cadres urbains. « Contester ce récit effondriste est rapidement assimilé à une négation du désastre écologique » (p.33). Fondée sur des arguments scientistes, ces derniers ne sont pas les seuls mobilisés par la collapsologie. La psychologie (faire le deuil d’un monde qui meurt) et l’écospiritualité qui revendique une communion entre les humains et la nature, sont au rendez-vous. Il faudrait donc se soumettre aux lois de la nature, accepter la petite place de l’espèce humaine et se calfeutrer dans un élan salvateur. Une partie de l’extrême droite s’est approprié ce concept d’effondrement en l’axant sur le plan ethnique…

D’autre part, malgré le développement de discours écologistes parfois autoritaires, on ne peut pas prétendre que l’écologie n’est pas démocratique, même si le risque existe « de voir émerger une véritable expertocratie où une classe d’experts gouvernerait selon ses spécialités » (p.42-43). L’auteur convient cependant que l’expertocratie et toutes les formes d’écologie autoritaire ne sont pas nécessairement écofascistes » Il constate pourtant que le traitement courant du problème écologique favorise les réponses autoritaires, ce qui participe à la fascisation de l’écologie.

Antoine Dubiau aborde alors un autre angle d’approche : celui de la décroissance.

Initialement d’ordre économique et politique, au sens où A. Gorz souhaitait reconsidérer les besoins en libérant les individus d’un capitalisme aliénant, la décroissance visait une réduction matérielle et énergétique, et une amélioration de la vie démocratique. Elle dérive peu à peu vers une sorte d’ascèse individuelle, pour -selon Pierre Rabhi- « modérer nos besoins et nos désirs » et retrouver « le sens des limites » (propos cité par Fabrice Flipo in Décroissance ici et maintenant). La décroissance devient dès lors un impératif moral, passant, le cas échéant, par un changement de civilisation. Dans ce sens, l’auteur pense que « l’extrême droite écologiste prône plutôt le retour à une civilisation occidentale préchrétienne comme seul cadre propice à la décroissance » (p.48). Dans ce scénario, on a compris qu’il convient d’abandonner d’urgence toute forme de modernité.

Le thème de la décroissance recèle donc de nombreuses ambiguïtés, notamment vis-à-vis de cette modernité. Mais le concept de modernité est difficile à cerner. L’écologie postmoderne ne dénonce pas la modernité comme principale source de la crise écologique, mais plutôt le capitalisme. L’auteur alerte sur un point important : « Toute imprécision des écologistes concernant la modernité pouvant supposer qu’il faut complètement abandonner celle-ci, contribue de fait au processus de fascisation de l’écologie ». (p.54)

Un autre versant de l’approche devient encore plus préoccupant : celui de l’écologisation du fascisme.

En effet, depuis quelques temps, les courants d’extrême droite prennent en compte le problème de l’écologie devenu incontournable.

Issue de la fin des années 60, la Nouvelle Droite est un courant plus idéologique que politique au sein duquel se croisent plusieurs tendances politiques (traditionalisme anticatholique, néoconservatisme, communautarisme ethniste…) et des courants d’extrême droite, porteurs de thèses racialistes et révisionnistes. Dans sa pluralité idéologique, elle valorise « les origines païennes de la culture européenne, contre le développement du christianisme, alors considéré comme terreau de la modernité européenne. » (p.63). Mais dans le même temps, elle vante les mérites de son caractère prométhéen, fondé sur la science. Loin d’une idéalisation régressive vers la nature, Alain de Benoist, devenu très cartésien, considère que l’homme doit rechercher une transformation symétrique à celle de son milieu pour « rester maître de la relation qui s’y produit », mais dans le même temps, la Nouvelle Droite critique violemment la société de consommation, comme cause d’une dégradation civilisationnelle provoquée par la modernité. Dans ce décor peu cadré, la Nouvelle Droite se situe comme « explicitement romantique, au sens classique d’une protestation culturelle contre la civilisation capitaliste moderne au nom de certaines valeurs du passé » (p.69). Ce déplacement conduit l’auteur à approcher l’écologie comme synthèse politique des mythes et mysticismes réactionnaires.

A partir d’une raciologie « nordiciste », la Nouvelle Droite serait antisémite : « le judaïsme et ses suites (notamment chrétiennes) sont, en effet, considérées comme le responsable originel du désastre civilisationnel que serait la modernité, en particulier par la promotion jugée organique du capitalisme par le peuple juif ». (p.73) La race blanche serait, elle, véritablement ancrée dans la nature, et l’arrivée de populations étrangères perturberait l’équilibre naturel de ces sociétés locales. Dans cette perspective biologisante unifiant des groupes humains avec leur sol, « les populations extra-européennes dans les pays européens sont considérées comme une espèce invasive, bien que l’expression ne soit pas nécessairement mobilisée » (p.75). « L’ensemble débouche sur une théorie avec une forte cohérence interne : une écologie néo-païenne, fondée sur l’idée réactionnaire d’enracinement des cultures européennes dans leur environnement » (p.76). Un tel néopaganisme possède évidemment des relents fascistes.

Quid de la notion d’écologie intégrale ?

Le texte de l’encyclique du pape François, Laudato si est incontestablement un document à visée progressiste qui définit ce que devrait être une « écologie intégrale ». Il vient dénoncer le conservatisme et l’anthropocentrisme sur lesquels s’ancre traditionnellement l’institution catholique. L’auteur constate pourtant son appropriation par des courants réactionnaires comme la revue Limite et autres organisations plus ou moins proches de l’intégrisme catholique. Passant de l’écologie de l’environnement à l’écologie humaine, on dérive vite vers une contestation des nouvelles techniques reproductives, et du droit à l’avortement. Dès lors, « les fondements de cette écologie intégrale sont foncièrement antiféministes et homophobes » (p.82), dans un discours explicitement essentialiste. La revendication d’un droit à la vie se présente comme écologiste, défendant le vivant…

S’ajoutent à ces approches, celle de l’enracinement des personnes dans un terroir, opposé au « déracinement » provoqué par la société libérale. Il s’agirait enfin de respecter les limites induites par les « lois naturelles ». Deviennent ainsi « contre-nature », la PMA, l’homosexualité… exacerbés par un emballement libéral sans limites.

L’auteur reconnaît toutefois que les partis français d’extrême droite n’accordent qu’une importance marginale à l’écologie, se bornant généralement à être climatosceptiques. La question de l’écologie dans leur programme demeure soit complètement absente, soit réduite à quelques propositions simplistes (p.88). Cependant, l’arrivée d’Hervé Juvin et de son parti Les localistes avec Andréa Kotarac, transfuge de LFI, concrétise insidieusement les thèses d’extrême droite sur le sujet. En affirmant que l’échelle locale doit être « la base d’une société fondée sur la différence et la séparation des cultures et civilisations », il renouvelle l’imaginaire national cher aux nationalistes.

Les deux approches de l’écofascisme : fascisation de l’écologie et écologisation du fascisme étant diagnostiquées, Antoine Dubiau va explorer en quoi consiste précisément la nature de cet écofascisme avant de clarifier le discours écologiste.

Tout devrait commencer par l’impossible définition du fascisme bien que chacun s’accorde sur ses dimensions idéologique, mouvement puis régime politique. Il se présente souvent sous couvert de réconciliation des classes sociales autour d’un prétendu intérêt national. Comment devient-il un écofascisme ou plus exactement des écofascismes, car, comme l’explique l’auteur, la rigueur de l’analyse impose de « toujours parler d’écofascisme au pluriel, en raison de sa pluralité doctrinale » (p.98). C’est ainsi que les deux thèses : le fascisme comme ayant toujours été un écofascisme et l’écologie possédant des origines fascistes se conjoignent sur une parenté entre eux, par-delà les propos parfois approximatifs qui étaient ce constat. Le mouvement intellectuel allemand völkisch de la fin du XIX e  s’ancre dans une raciologie qui singularise la « race germanique » et qui dénonce la modernité comme détérioration du « lien naturel entre le sol et le sang ». On voit vite surgir la métaphore de l’enracinement, avec l’idée sous-jacente de nature, et la doctrine nazie s’approprie nombre de supports de ce mouvement. « La loi de la nature prévalant selon les nazis ne s’exprime donc pas qu’entre les races et leur classification hiérarchique, mais également au sein même de la race germanique » (p.103). Du côté de Vichy, on prône une communauté nationale enracinée dans son sol qui discrimine aussitôt « le juif » qui lui, n’a pas de patrie. Toutefois Antoine Dubiau parvient à la conclusion que prétendre « que le fascisme aurait été, dès le départ, un écofascisme est une thèse qui n’est pas soutenable » (p.108). Le rapport à la nature est principalement métaphorique autour de la notion d’enracinement.

Aujourd’hui, avec des courants comme la Nouvelle Droite, on assiste à un retournement de la métaphore naturelle, afin que celle-ci « ne soit plus seulement une métaphore, mais une véritable description de la réalité » (p.112). Dès lors, fascisme et écologisme se mêlent dans une nouvelle configuration idéologique. « Protéger la nature et la terre permet aussi de protéger (…) l’identité par la garantie de leur stabilité environnementale » (p.113). Garantir la perpétuation d’un ordre « naturel » passe par la stabilité locale et aboutit à un schéma reproductiviste dans lequel réapparaît, entre autres, « le discours naturaliste réduisant les femmes à leur potentiel maternel » (p.113). Hommes et femmes sont considérés comme biologiquement distincts et complémentaires, « rendant contre-nature toute transgression de cette règle jugée indépassable » (p.116). Nous retrouvons là, les thèmes de la Manif pour tous…

La nouveauté de l’écofascisme se fonde donc sur le respect de la nature comme protection de l’identité, la nature apparaissant ainsi « comme un ensemble de limites ».

Contre tous les avis scientifiques qui insistent sur l’appropriation de l’espace par des groupes qui le nourrissent de leurs déplacements, dans une réalité relationnelle, l’écofascisme s’arque boute sur sa conception de l’enracinement où chacun doit rester à sa place (territorialement et socialement). Le « localisme », le « biorégionalisme » autrement dit, la défense de l’échelle locale est chère au RN comme elle l’a été pour l’Action Française.

Face au danger, Antoine Dubiau tient à clarifier le discours écologiste pour éviter les dérives qui reposeraient sur des ambiguïtés.

La notion commune de nature oscille entre science et mystique, ce qui entretient un terreau fertile à l’imaginaire collectif, et propice au développement de l’écofascisme.

L’auteur invite d’abord à rejeter l’idée de « crise » écologique pour lui préférer « d’autres concepts aux implications politiques différentes » (p.132) qui évitent de répondre à une « crise » de manière autoritaire.

Dans la mesure où l’écofascisme repose sur une certaine idée de la nature, l’auteur dénonce le lien entre les intérêts économiques du capital et les énergies fossiles qui conduisent l’extrême droite au « climatonégationisme ». Selon lui, « l’idée de nature devrait être abandonnée pour son (irréfutable) occidentalisme, qui justifie d’adopter une perspective décentrée pour décrire et analyser le monde » (p.136).

Avant de conclure pour montrer que l’écologie n’est pas apolitique, Antoine Dubiau rappelle que la sortie du capitalisme est une condition nécessaire mais pas suffisante pour construire une société écologique libérée de toute forme sociale de domination. (p.143)

D’autre part, il rappelle que « pour que le droit à la terre pour toutes et tous ne soit pas conditionné par le supposé « enracinement » dans celle-ci, la formulation de sa revendication doit nécessairement être articulée à la défense de circulation et d’installation pour chaque personne » (p.175). De même il faut intégrer une perspective « antivalidiste, queer, antispéciste, sans qu’il s’agisse d’une simple énumération des orientations militantes qu’il faudrait faire converger : la dénaturalisation apparaît au contraire comme un socle commun, permettant le dialogue entre des franges du mouvement social qui ne sont pas naturellement alliées mais qui auraient intérêt à l’être. » (p.175-176).

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