Michel Quesnel, Paul et les femmes. Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire, Paris, Médiaspaul, 2021.

Recension par Sylvaine Landrivon

Est-il utile de rappeler que Michel Quesnel est, parmi les théologiens, l’exégète incontesté des écrits pauliniens ? Son grand commentaire de la Première épître aux Corinthiens en est une impressionnante illustration. Alors quand ce scientifique choisit d’offrir une approche de l’Apôtre Paul qui déborde la sphère universitaire, le lecteur n’a plus qu’à se délecter des enseignements qui sont mis à sa portée.

Et le principal objectif de cet ouvrage est de rompre le cou à l’accusation infondée de misogynie de Paul, et de montrer que « le regard porté sur lui au cours des siècles est influencé par bien d’autres éléments que les épîtres dont il est lui-même l’auteur. » (p.73). Pour le démontrer, Michel Quesnel va d’abord rendre à l’Apôtre ce qui lui appartient et distinguer des épîtres authentiques celles qui ont été mises indûment sous son nom. C’est ainsi que sur les treize lettres qui lui sont attribuées, l’auteur et ses collègues n’en reconnaissent que sept comme étant incontestablement de Paul, toutes rédigées dans les années 50 de notre ère. Les autres appartiennent au genre pseudépigraphe, c’est-à-dire qu’elles ont été rédigées par ses disciples zélés qui, parfois 40 à 50 ans plus tard, ont voulu faire dire à Paul, ce qu’eux-mêmes pensaient.

Cette clarification réalisée, l’auteur décompose son étude en trois parties qui abordent les lettres authentiques, celles des disciples de Paul et enfin les écrits antiques le concernant, à la recherche de ce qu’il est dit des femmes.

Dans l’analyse de la première lettre aux habitants de Corinthe, l’exégète reprend la traduction du chapitre 11 et son célèbre verset 10, où il est habituel de lire : « Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des anges. » Or le terme employé : éxousia, non seulement ne signifie pas un état de subordination mais se traduit par « autorité » ! « Il faut que la femme ait un signe d’autorité ». L’Apôtre ne veut aucun rapprochement avec des rites païens, c’est pourquoi il donne des indications aux hommes (ne pas ramener un pan de leur toge sur la tête) et aux femmes (ne pas se découvrir la nuque). Ainsi, « Avoir la nuque couverte garantit l’autorité de la femme lorsqu’elle vient à l’assemblée chrétienne et qu’elle est conduite à y prendre la parole » (p.23). Voila une précision susceptible de modifier l’atmosphère de l’Église. De plus, ce texte explique que les femmes peuvent prendre la parole en son sein durant une célébration pour « prier » et « prophétiser ». Or prophétiser est une activité majeure pour Paul, « nommée en deuxième position dans la liste hiérarchisée des charismes qui figure à la fin du chapitre 12 : Ceux que Dieu a disposés dans l’Église sont, premièrement des apôtres ; deuxièmement des prophètes, troisièmement des enseignants… » (p.31).

D’ailleurs, des femmes apparaissent nommément dans cette lettre. Chloé, dès l’adresse, et surtout Prisca, sur laquelle l’auteur va s’attarder.

Prisca est, en effet, mentionnée à plusieurs reprises ici et dans les Actes des Apôtres. Épouse d’Aquilas, c’est chez elle que Paul s’installe en arrivant à Corinthe. Nommée Priscille dans les Actes, cette amie de Paul est même nommée avant son mari. « C’est un couple qui joua un rôle important comme relais de l’apostolat paulinien. Et Prisca eut certainement un rôle aussi déterminant que son mari » (p.31), nous dit Michel Quesnel.

Impossible donc d’accuser Paul de misogynie à l’examen honnête de la Première aux Corinthiens, alors que c’est souvent cette lettre qui est incriminée en isolant quelques versets de l’ensemble du texte. Faut-il explorer plus précisément son chapitre 7 qui est celui dans lequel abonde le vocabulaire de la féminité et de la masculinité ? L’auteur repère ce que Paul attribue à Jésus et ce qu’il propose comme étant sa propre opinion. Mais à aucun moment l’Apôtre ne place la femme comme inférieure à l’homme. Michel Quesnel cite Adrien Candiard pour rappeler la symétrie parfaite dans les liens sexuels, et l’importance de la réciprocité à laquelle Paul invite les couples, car « la sexualité authentique (…) est don ; c’est l’autre qui donne sens à mon propre corps » (p.35). L’auteur profite de ce commentaire pour rappeler en quoi consiste le « privilège paulin ». L’Église autorise la dissolution du lien en vue d’un remariage si l’union avec un conjoint non-croyant « rend la vie impossible au croyant en raison de sa foi » (p.37).

Si le lecteur des lettres de Paul espère davantage de misogynie dans la Seconde épître aux Corinthiens, c’est peine perdue. Mieux : « Lorsque Paul évoque l’entrée du péché dans le monde, c’est l’homme qu’il nomme et non pas la femme : Par un seul homme (anthrôpos) le péché est entré dans le monde et par le péché la mort (Rm5.12). Certes, le terme anthrôpos pourrait désigner un être humain au sens générique, mais ici l’ambigüité n’est pas possible, car Adam est nommément cité à deux reprises, deux versets plus loin. (Rm5.47)» (p.47).

Dans la lettre adressée aux Galates, Paul aborde moins la différence entre hommes et femmes que celle entre deux lignées d’Abraham : celle qui n’accède pas à la foi en Christ représentée par Agar et Ismaël et celle selon l’Esprit, qui passe par Sara et Isaac et conduit à ceux qui, ayant reçu la foi, sont libres par rapport à la loi. Mais ce sont, bien sûr, les versets souvent cités, du chapitre 3 qui témoignent de l’esprit novateur de l’Apôtre Paul. Tous les humains sont égaux devant Dieu. Et Michel Quesnel rappelle que « Chaque passage de ses épîtres concernant les femmes –ou les relations entre les humains des deux sexes- doit être interprété à la lumière de ces convictions qui imprègnent toute l’anthropologie paulinienne. » (p.56).

L’auteur va montrer que le regard de Paul sur les individus qui l’entourent ne dépend pas de leur sexe et « dans les Eglises fondées par Paul, des femmes exercent de réelles responsabilités » (p.71). Il l’a illustré dans l’étude de la lettre aux Romains qui nous fait l’éloge d’une femme apôtre : Junia. Or comme l’écrit Michel Quesnel, « il n’est pas indifférent qu’une femme soit appelée « apôtre », qui est la responsabilité la plus haute dans les Églises, à l’époque de Paul et encore dans les années qui ont suivi sa mort. » (p.63-64).

Dix femmes sont mentionnées dans les salutations de cette lettre, dont huit par leur nom et « trois au moins exerçaient un ministère important dans l’Église ; Phoébé, ministre de l’Église de Cenchrées ; Prisca, épouse d’Aquilas, chez qui une Église se réunit à Rome ; et surtout Junia … » (p.65). Si dans la référence à Phoébé, « notre sœur, ministre de l’Église de Cenchrées », le terme diakonos ne veut pas encore dire « diacre », l’auteur précise que « la responsabilité qu’il lui confie est cohérente avec la façon dont Paul parle d’elle ; les mots utilisés par l’Apôtre sont extrêmement élogieux. Le terme grec féminin traduit par protectrice (verset 2) renvoie à la première place qu’une personne occupe dans un groupe (…) Paul avoue ici qu’il a été en quelque sorte sous son aile, ainsi que beaucoup d’autres disciples du Christ » (p.61-62). En outre, en tant que porteur officiel d’une lettre, elle a dû « prendre longuement la parole dans les assemblées ecclésiales, lors de son arrivée à Rome » (p.62).

Michel Quesnel nous interroge à juste titre : « Où se logerait donc la misogynie ou l’antiféminisme d’un homme qui tient de tels propos ? » (p.66).

C’est dans la suite de l’histoire qu’il faut chercher un retour aux habitudes moins « révolutionnaires » que celles enseignées par Jésus et auxquelles Paul adhère. La deuxième épître à Timothée (dont seule un noyau initial a été rédigé par Paul) va confirmer que « Paul lui-même est en général positif vis-à-vis de la femme, mais que des disciples écrivant sous son nom après sa mort ont sur elle une conception nettement plus réservée, voire méprisante » (p.80). Curieusement, la lettre dite première épître à Timothée lui est postérieure. Elle a été écrite dans les années 80 ou 90 comme celle à Tite. L’une et l’autre adressées fictivement à des collaborateurs de Paul veulent « réguler la vie des Églises dans ces années-là, en se réclamant de l’autorité de l’Apôtre » (p.91). Méthode courante mais dangereuse…

Dans son évangile et dans les Actes des Apôtres, Luc, disciple de Paul et qui plus est, non juif, met lui aussi volontiers en valeur des figures féminines, notamment Marie, la mère de Jésus, encore présente au début des Actes. Prisca, devenue Priscille, est, là encore, considérée comme une collaboratrice majeure de Paul. Lydie, lors de sa conversion et de son baptême apparaît comme une femme forte. Et comme le note l’auteur, « Il est plaisant de voir Paul se soumettre à une femme » (p.112), quand Lydie le contraint à demeurer chez elle. Et même dans les Actes apocryphes de Paul, l’Apôtre n’est pas présenté comme adversaire des femmes. Au contraire : il confie une mission d’évangélisation à Thècle.

Hélas, les Pères de l’Église en s’emparant de ces textes, ont largement contribué à la construction d’une figure erronée de Paul. Ce sont eux qui ont « interprété les écrits pauliniens dans un sens défavorable aux femmes, toute femme portant sur elle le péché attribué à Eve aux origines du monde. Et cela s’est prolongé au cours des siècles… » (p.130)

On notera l’espièglerie des points de suspension de cette phrase qui est la dernière avant la conclusion.

Michel Quesnel remarque alors que le monde occidental n’a commencé à penser autrement que très progressivement, en commençant par les pays les plus éloignés du monde méditerranéen, et que l’Apôtre des nations a été longtemps victime des préjugés de ses commentateurs.

Après avoir jeté un regard sur les personnages féminins qui peuplent les évangiles, l’auteur admet que « de plus grandes responsabilités pourraient être accordées aux femmes dans l’Église catholique si l’on tenait davantage compte des textes de Paul » (p.136). Avec une brève allusion à la candidature d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon en 2020, il repousse toute polémique qu’interdit Ordinatio sacerdotalis, mais note que « les séminaires sont les derniers lieux où les internes et les responsables sont tous des mâles (…) c’est d’autant plus étonnant que, dans la population pratiquante, elles [les femmes] sont nettement majoritaires » (p. 138). Et Michel Quesnel remarque que « si l’Apôtre n’a pas tiré toutes les conséquences pratiques de ses convictions, cela n’implique pas que les générations suivantes ne doivent pas le faire. Pour l’esclavage, cela s’est fait tardivement (…) pour l’inégalité entre les sexes, il y a encore du travail à faire » (p.138-139).

Au fil de la lecture, grâce à cet appui exégétique, les femmes se mettent à espérer ; d’autant que l’auteur valide les travaux théologiques et spirituels réalisés par des femmes en ce qu’ils apportent « un éclairage complémentaire… ».

Dommage qu’il achève sa phrase par ces mots moins heureux : « …où l’affect a davantage de place ». Pardonnons à Michel Quesnel ce petit « dérapage » machiste -et peut-être peu étayé-,  devant son superbe travail de réhabilitation de Paul et avec lui, des femmes à partir des écrits pauliniens. Ce livre sera un bel outil pour une meilleure reconnaissance de l’autre moitié du Peuple de Dieu au sein de l’Église.

7 réponses pour “Michel Quesnel, Paul et les femmes. Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire.”

  • Intéressant. Petit détail : quand vous soulignez que le péché originel, pour Paul, est amené par l’homme, vous insistez par par l’humain, alors que Adam, ce n’est pas le mâle (zakhar), maiq l’humain. Petite distraction ?

    • Bonjour et merci de cette lecture “pointue”. En fait, Michel Quesnel précise qu’Adam est nommément cité à deux reprises, deux versets plus loin (en Rm 5.14) ce qui confirme cette interprétation.Je vais donner la référence du verset dans la citation pour plus de clarté dans le propos. Encore merci

  • Misogyne Paul ? Après de telles explications, comment la hiérarchie cléricale va pouvoir justifier son attitude envers les femmes. Cette lecture redonne de l’énergie et de l’espoir à celles et ceux qui, fatigué.e.s voudraient baisser les bras. Parfois il faut tout simplement oser.

  • Heureuse qu’un homme développe un argumentaire que j’avais largement entamé il y a 20 ans dans “Miroirs d’Ève. Quand des hommes font parler Dieu a propos des femmes” (Éd. L’Harmattan). Il est vrai que la voix des hommes est toujours plus écoutée… Sans rancune aucune ! 😉

  • (Or le terme employé : éxousia, non seulement ne signifie pas un état de subordination mais se traduit par « autorité » ! )
    La même « erreur » de traduction pour la lette aux éphésiens (Ep 5 -21) (femmes soumises à leur mari) ??

    • Je vous invite à lire le livre de Michel Quesnel. Vous y apprendrez “qu’il est à peu près sûr que cette lettre n’est pas de Paul” p.86, avant de découvrir l’analyse du passage auquel vous vous référez.

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