« Pour vous, qui suis-je ? »

Quand Marthe et Jésus échangent, suite à la mort de Lazare, au chapitre 11 de l’Évangile de Jean, Marthe, dans une magnifique profession de foi, reconnaît en Lui celui qui donne la vie : « je crois que Tu es le Christ, le Fils de Dieu… », posant ainsi toutes les bases de la christologie. Et l’accueillant comme Fils de Dieu, elle peut proposer un titre supplémentaire : « celui qui devait venir dans le monde », intégrant ainsi une terminologie qui pointe clairement l’au-delà de ce monde-ci.

Notre foi ne dispose pas toujours, hélas, de la clairvoyance de Marthe.

Cherchons alors à repérer les différentes manières d’entrer en relation avec le mystère de l’acte de foi.

Pour cela on peut lire Mt 16,13-17 (//Mc8,27-30 – Lc 9,18-21), en cherchant à percevoir comment chaque réponse induit une certaine manière de croire, et comment cela rejoint notre façon de « faire Église ».

« [13] Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : “Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ?”

[14] Ils dirent : “Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes” –

[15] “Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ?”

[16] Simon-Pierre répondit : “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.”

[17] En réponse, Jésus lui dit : “Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux.”

A la question : « Mais pour vous, (…) qui suis-je ? » qui reprend celle où Jésus vient de demander : qu’est le Fils de l’homme ?”, nous allons voir que, dans cet évangile, le Christ, unique médiateur, offre trois types de médiations :

Nous rencontrons la dimension absolue de l’initium fidei (Mt 16,17) :

« cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père »,

= la foi est Don de Dieu qui se révèle.

Mais nous découvrons aussi par l’expression « Simon-Pierre répondit : » (Mt 16,16a),

l’engagement personnel du fidèle, c’est-à-dire la dimension subjective nommée par les théologiens : la fides qua creditur. (foi par laquelle on croit, foi comme relation, qui engage directement le sujet croyant). Elle se manifeste par la volonté de Pierre de répondre.

Et par la réponse de Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16b), c’est la foi témoignée en Église, qui est soulignée, telle qu’elle sera contenue dans des propositions ; autrement dit dans une dimension objective, appelée la fides quae creditur. (foi à laquelle on croit ; qui concerne l’objet de la foi, son contenu).

A travers la jonction de ces trois types de médiations, nous retrouvons donc tout le cheminement qui conduit le catéchumène vers le baptême :

  • Le dialogue de départ, inauguré par l’autocommunication de Dieu, qui se fonde dans l’initium fidei –médiation absolue. Car c’est toujours d’abord la présence de Dieu en chacun, qui mobilise l’être et appelle à la divinisation;
  • L’adhésion à la tradition qui transmet le don de Dieu : la fides qua – médiation subjective, qui nous fait dire « je crois » ;
  • La réception dans un libre accueil de la Parole : la fides quae – médiation objective, qui nous permet d’exprimer ce à quoi on croit afin de nous engager dans une assemblée qui dit « nous croyons ».

Ces trois dimensions : absolue, subjective, et objective devront toujours tendre vers la plus grande harmonie pour passer du « je crois » au « nous croyons », sans tomber dans des dérives comme :

  • la foi « ligne directe avec Dieu » qui exagère l’initium fidei et s’exonère de toute médiation = tendance des sectes ;
  • la foi intimiste et affective qui exacerbe la fides qua ou dimension subjective ;
  • -la foi légaliste, fondamentaliste, celle qui ne conserve que la fides quae

Sans jamais réellement y parvenir, le but est de chercher le maintien d’un juste équilibre entre les trois axes, car la foi chrétienne est à la fois Don de Dieu, engagement personnel et elle est contenue dans des propositions communes à toute l’Église.

L’institution ecclésiale, elle-même, a parfois orienté dangereusement les perspectives, privilégiant –on s’en doute- la médiation « objective », afin de conduire les fidèles dans une stricte obéissance à ses préceptes. On comprend bien que c’est à partir de cette dimension objective que l’Église assoit sa légitimité et assume son rôle, mais ce devrait être à la condition sine qua non, qu’elle honore les deux autres. Ce ne fut pas toujours le cas, et Vatican II a tenté de rééquilibrer l’approche, mais la tendance demeure, et la tentation d’un retour à l’autorité gagne du terrain chaque fois qu’une volonté de réforme se constitue. La plus grande vigilance est donc nécessaire afin de lutter contre ce que le pape François dénonce sous le terme « cléricalisme ».

Voyons comment une Église qui se veut « icône de la Trinité » (selon l’expression de Bruno Forte) propose de maintenir cette harmonie qui avait été rompue dans les époques antérieures.

MÉDIATION ABSOLUE MED. SUBJECTIVE MED. OBJECTIVE
Initium fidei fides qua creditur fides quae creditur
Mt 16,17 : « cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père » Mt 16,16a : Simon-Pierre répondit Mt 16,16b : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant »
la foi est Don de Dieu qui se révèle l’engagement personnel du fidèle la foi témoignée en Église, telle qu’elle sera contenue dans des propositions
l’autocommunication de Dieu L’adhésion La réception

 

Nous constatons donc que la réponse à la question de Jésus : « pour vous, qui suis-je ? », n’est pas anodine. Elle engage totalement notre manière de croire et de vivre notre foi.

Alors que disons-nous, nous-même ? Quelle est, des trois,  notre tendance naturelle ?…

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