Loïc Berge, Contraception : sortir du malentendu, Paris, Coll. Débats, Médiaspaul Éditions, 2015, 184 p.

Et si, échappant aux intransigeances d’Humanae Vitae, la contraception quittait le domaine législatif de l’Église pour se fonder sur une morale de la communion des personnes, et ainsi ne relever plus que du discernement propre à chaque couple chrétien ?

C’est la question qu’a soulevée le théologien Loïc Berge dans les colonnes de La Croix fin 2014 au moment du synode sur la famille. Le débat a aussitôt passionné les lecteurs ce qui a incité l’auteur à développer une analyse très fine, pour laquelle il mutualise ses compétences de docteur en théologie et de prêtre en paroisse, impliqué dans la vie des couples qu’il accueille et accompagne.

L’ouvrage se compose de neuf chapitres, examinant les divers aspects du lien entre union et procréation, et vise à réinterroger la place de la parole magistérielle, puisque le débat se fonde sur l’injonction de l’encyclique Humanae Vitae de rejeter toute contraception artificielle, et sur l’interprétation qu’en ont proposée les successeurs de Paul VI.

La trame de la réflexion de Loïc Berge part des fondements de l’interdit envisagé sous l’angle biblique de l’onanisme. De fait, à l’instar du châtiment d’Onan ˗lequel refusait toute descendance en répandant sa semence sur le sol˗, l’Église a souvent voulu légiférer au niveau le plus intime de la vie des croyants, s’arrogeant au nom de la Vie, un droit de regard sur leur sexualité. Le bilan de ces interventions qui ont culpabilisé tant d’individus, demeure pourtant celui « d’une bataille perdue », d’autant qu’elle ciblait essentiellement les hommes. Or dans la seconde moitié du vingtième siècle, l’évolution de la société occidentale a donné un nouveau rôle aux femmes dans le domaine de la procréation. C’est à cette mutation qu’a souhaité répondre Paul VI par son encyclique ; mais le choc a été brutal entre le Peuple de Dieu et les instances magistérielles. En effet, nous sortions du concile Vatican II et la constitution Gaudium et Spes laissait espérer d’autres réponses aux relations interhumaines… GS 50.3 venait de rappeler ˗ à l’instar d’ailleurs de st Thomas ˗ que le mariage n’est pas institué en vue de la seule procréation et a pointé l’importance de la conscience personnelle dans la constitution d’une famille. Les chrétiens sont alors invités à faire usage de leur raison et de leur liberté ; et en effet, « dans une morale de la communion des personnes, l’éducation à la liberté joue un rôle plus fondamental encore que dans la morale traditionnelle de l’acte naturel » (p. 159)

Mais le « gros mot » est lâché. N’est permis pour le magistère, que ce qui est « naturel », comme si le fond de la question contraceptive n’était qu’une affaire de méthode, laquelle selon cette perspective, induit une étrange théologie du corps qui réduit les femmes à leur cycle menstruel et donne une piètre valeur à la relation de couple. C’est pourtant ainsi que Jean-Paul II aborde l’enseignement d’HV dans ses catéchèses sur la théologie du corps. Sa perspective jusque là biblique, devient sur ce point, strictement magistérielle et restaure une théologie de la loi naturelle bien éloignée des sources d’inspiration scripturaire et personnaliste de Vatican II. Ainsi, dans un rétrécissement délibéré du champ d’analyse, Jean-Paul II « ramène l’ontologie de l’homme à la biologie » (p.146), feignant d’oublier le caractère ontologique que la Création a posé dès l’origine, au cœur de la relation intersubjective.

Que propose alors l’auteur face à cette incompréhension qui perdure entre les paroissiens et le Magistère ?

Dans la droite ligne de ses collègues Walter Kasper ou Bernard Sesboüé, Loïc Berge revendique une tradition vivante et souligne que « la parole du magistère ne doit nullement être considérée comme tombant du ciel (…) c’est une parole qui se cherche, une parole en recherche » (p.169-170). Et il rejoint l’invitation du Cardinal R. Marx qui, à propos de ce synode sur la famille, suggère dans Études de « repenser à neuf la position [de l’Église] à partir des fondements de l’Évangile.

Tout au long de l’ouvrage, le propos de l’auteur consiste à remettre l’humain au centre des préoccupations et rappelle que « le temps de la personne est autre chose que son rythme biologique (p. 83). Loïc Berge repositionne ainsi judicieusement le débat en rappelant que « la vocation civilisatrice de l’Eglise est d’humaniser l’agir humain » (p. 87-88) plutôt que de le biologiser.

Mais loin de lui l’idée de chercher dans la contraception la réponse à tous les problèmes que rencontrent les couples. Il invite plutôt à un autre regard, plus global, plus ouvert, permettant d’accueillir pleinement la vie. Le pape François semble d’ailleurs cautionner cette approche qui privilégie la responsabilité des époux plutôt que l’obéissance aveugle à des textes qui peuvent parfois s’avérer délétères.

Pour valider ce changement de regard, il suffirait de repenser le lien conjugal en le recentrant sur la règle d’or de l’Évangile ; la personne humaine reconquérant ses droits, c’est alors la conscience qui en dernière instance évaluerait ce qui est licite ; car comme l’explique l’auteur : « ce ne sont pas tellement les actes qui, en eux-mêmes, sont bons ou mauvais, c’est-à-dire qui sont vertueux ou péchés, mais ce sont les actes considérés dans la perspective de la communion des personnes. » (p.117).

Au terme du synode sur la famille, le livre de Loïc Berge est un bel outil de réflexion, clair et concis. Et surtout, quel baume pour les laïques de lire cette étude sans polémique ni raccourci vulgarisateur, qui, sur un sujet aussi sensible et central dans la vie des couples, montre que l’Église sait entendre et recevoir sans les dénigrer, des préoccupations anthropologiques qui concernent le quotidien de la vie. Non sans humour parfois, l’auteur restitue sa juste place à la beauté d’une relation à laquelle nous invite le Cantique des cantiques !

Recension réalisée par Sylvaine Landrivon pour la revue Théophilyon

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