Dans le cadre de sa longue étude En route vers la Galilée, Claude Hériard a recensé le livre Marie-Madeleine. la fin de la nuit, de Sylvaine Landrivon, publié au Cerf en 2017. Il en propose l’analyse ci-dessous en deux parties sur Facebook
Marie Madeleine – en route 23 (1/2)
En route vers la Galilée se dresse une figure que l’on n’a pas fini de contempler, cette Marie Madeleine qu’on accuse trop vite de légèreté. Comme souvent la lecture d’un livre de Sylvaine Landrivon ne laisse pas le lecteur indifférent. Il y a une progression intéressante, en effet entre son livre de 2017* et celui publié début 2022*.
Pour autant, dans « Marie Madeleine, La fin de la nuit », que j’ai eu probablement tort de lire en dernier, on est surtout frappé par ce que 2000 ans de théologie très masculine a occulté sur la place de la femme dans le christianisme.
Marie Madeleine a-t-elle servie en effet d’emblème à tous les vices et tous les excès, contribuant à perpétuer ce qu’Ève en Gn 3 introduisait de soupçon et de déni ? C’est la thèse bien faussée du « grand » Grégoire nous glisse l’auteure (1).
Il faut suivre peut-être ce parcours pour que nos yeux se dessillent et n’entrent pas dans cette mauvaise habitude de réduire la femme à un être fragile ou sensible en oubliant que les Madeleines n’ont pas le monopole des pleurs puisque Pierre comme Jésus savent aussi pleurer (pour des raisons bien différentes).
Dans « Les leçons de Béthanie », en démontrant avec de très bons arguments que Marie de Béthanie et Marie Madeleine ne font qu’une, Sylvaine Landrivon ira un pas plus loin en nous faisant percevoir que Marthe comme Marie, les deux amies de Jésus lui sont chères parce que, bien avant les disciples, elles font preuve de clairvoyance, de courage et de foi…
En cela Marie Madeleine, qui n’a pas fuit à la crucifixion et qui est présente dès l’aube de la résurrection, est digne d’être « apôtre des apôtres »…
Reste ce « ne me touche pas » de Jn 20,17 qui contraste tant avec l’image des femmes étreignant les pieds de Jésus en Mt 28,9. Contradiction ou progression ? Où est la réalité historique ? Est-ce que, lorsqu’on on veut garder Dieu pour nous, il ne nous échappe pas, car il nous attend plus loin, sur la route vers la Galilée ?(2)
Ce que Luc 22 entame (les femmes étreignant les pieds de Jésus), n’est que le début du mouvement qui révèle que le Ressuscité est à la fois présence et mouvement. Ce n’est que le début de l’histoire de la résurrection et, nous voyons, sur la route d’Emmaüs (Luc 24) qu’il cherchera à dire cela de manière plus imagée avec la disparition de Jésus après la fraction du pain. L’absence poussera les pèlerins en mission…
Jean n’a t’il pas finalement la même démarche avec ce « ne me touche pas » ?
Il résume en une phrase le mouvement qui nous pousse « ailleurs », « en route » vers l’annonce.
Tout n’est-il pas finalement une histoire de quête (3). Et cette Marie qui « a choisi » la meilleure part (Lc 10, 42), n’est elle pas finalement celle qui ne cesse de nous conduire à l’essentiel ?
« Saisir » et /ou « se laisser saisir », dit Paul en Ph 3.
Peut-on vraiment saisir le ressuscité ?
Oui et non, car quand on croît le reconnaître, déjà ils nous entraînent plus loin, vers cette Galilée où il nous attend.
Ce que cherchait André en Jn 1 (que cherchez vous ? Où demeures-tu ?) trouve au chapitre 20 une direction. C’est à Marie Magdala que Christ ouvre la voie. Écoutons S. Landrivon : « Un détail s’est glissé entre les deux interrogations, une nuance textuelle si infime qu’elle pourrait passer inaperçue et qui cependant contient peut-être le sens de tout le chemin parcouru…
Aux disciples rencontrés en Jean 1, toutes les traductions s’accordent pour traduire la demande de Jésus par : «QUE cherchez-vous? » (ti zèteité) à la forme neutre. Ce que se réfère non à un guide mais à un principe, une idée, voire un support tangible sur lequel asseoir leur envie de changer le monde.
À Marie, le Ressuscité ne dit plus que mais «QUI cherches-tu ?» (tina zèteis). Ce n’est plus un mode de vie, une vérité (…) mais Celui là même qui est « le chemin, la vérité et la vie » (…) Le progrès est donc majeur entre les deux rencontres; et Marie de Magdala est la première qui depuis le «oui» de Marie – mère de Jésus – accueille le Sauveur en mesurant toute l’immensité de sa divinité.(4)
Apôtre elle est !
Est-ce pour cela qu’on l’appelle la Tour (Magdal) (5) la veilleuse, habitée par l’Esprit et que Thomas d’Aquin l’a nommé apôtre ?
C’est à elle et peut-être à toutes les femmes négligées de l’histoire chrétienne que Jésus glissera à sa manière qu’il nous précède en Galilée !
Ne négligeons pas ce que les femmes apportent dans leurs différences et leurs clairvoyances. Elles sont chemins vers Dieu. « Vis à vis », nous glissait déjà Sylvaine dans « La femme remodelée », elles ont, en doutions nous encore, un rôle essentiel pour le royaume et ceux qui leur refusent le rôle d’apôtre sont probablement aveuglés par l’auto-suffisance.
* Sylvaine Landrivon, Marie Madeleine, ou la fin de la nuit, Cerf 2017
Mais aussi, de Sylvaine Landrivon : – Les leçons de Béthanie, Cerf 2022 – La femme remodelée, sa thèse de 2016.
(1) Marie Madeleine, op. cit, p. 77sq.
(2) voir mon livre éponyme
(3) Marie Madeleine, ibid. p. 117sq.
(4) p. 121-122
(5) p. 165
Marie Madeleine – en route 23 (2/2)
Poursuivons notre lecture de Marie-Madeleine . La fin de la nuit (cf. billet précédent). Sylvaine Landrivon trouve un appui à sa thèse dans la tradition orientale et notamment dan ce beau texte de Romanos le Mélode qui situe bien Marie Madeleine dans sa mission de messagère à l’aube de la résurrection : « Que ta langue désormais publie ces choses, femme, et les explique aux fils du royaume qui attendent que je m’éveille, moi, le Vivant. Va vite, Marie, rassembler mes disciples. [ne t’attarde pas]’ J’ai en toi une trompette à la voix puissante : sonne un chant de paix aux craintives oreilles de mes amis cachés, éveille-les tous comme d’un sommeil, afin qu’ils viennent à ma rencontre […]. Va dire: «l’époux s’est éveillé. »
Sylvaine poursuit, en soulignant, non sans ironie, que la « mention des «craintives oreilles», des amis «cachés » justifie que soit donné à la fidèle et courageuse Marie de Magdala, l’ordre de les réveiller. » (1)
Madeleine est-elle plus fiable que les disciples ? Peut-elle être comparée à une tour, comme l’évoque le mot « magdal »en hébreu, loin de toute évocation de lieu, suggère l’auteure en citant d’autres auteurs et pas des moindres.
Marie Madeleine serait alors beaucoup plus que son histoire, qu’elle que fut le trouble supposé de son origine, elle devient « figure » et « apôtre »(2).
Tour, car solide dans sa foi. C’est là où le rapprochement avec Marie de Béthanie prend sa force et le changement de nom est suggéré (3).
Il y aurait-il eu alors conflit, lutte de pouvoir entre cette femme (ou d’autres) que la Tradition a savamment effacés de l’histoire pour laisser place à une vision plus lisse et masculine de l’Église ?
La question mérite d’être soulevée à l’aune de ce dévoilement funeste des abus de pouvoir qui entachent maintenant notre Église.
On peut objecter que l’auteure fait, d’une certaine manière, de Marie Madeleine une autre figure blanche et immaculée.
C’est oublier que tout est humain est faillible. Comme elle le souligne d’ailleurs, une comparaison est possible entre Paul et Madeleine (4) qui donne à penser et renforce l’idée que des pêcheurs de Galilée, des femmes infidèles comme des publicains se lèvent les figures apostoliques sur lesquels le Christ se repose pour annoncer la bonne nouvelle.
Tout est grâce.
Pourquoi alors les femmes citées dans les actes ou les lettres de Paul ont elles été mises plus tard à l’écart ?
Est-ce une prise de pouvoir du masculin, un contexte social non propice ou la simple peur du féminin dans une Église qui a redonné vie d’une certaine manière à une forme de cléricalisme juif ?
« Si le don du ministère n’est pas également reçu par les disciples masculins et par Marie de Magdala, n’est-ce pas davantage pour des raisons anthropologiques que théologiques? N’est-ce pas simplement que l’audace du Seigneur visant à donner la primauté à une femme était socialement, psychologiquement, irrecevable, et en tout premier pour Pierre qui n’avait même pas eu la force de ne pas renier et qui n’aurait pas toujours ensuite celle d’assumer ses choix, comme le rappelle Paul dans sa lettre aux Galates?
Faut-il rappeler à la charge de cet apôtre, si proche de nous parce que tellement humain dans ses faiblesses, l’étonnant «incident d’Antioche» au cours duquel
ses convictions d’universalité du message vacillaient devant ses frères juifs?
Comme semble nous y inviter le pape François par la nouvelle liturgie réservée à Marie-Madeleine, le temps est peut-être venu de mieux reconnaître la valeur de ce témoignage féminin si proche de la révélation et sur ce fondement, d’accorder aux femmes d’autres fonctions dans l’Église ».(5)
Quel est finalement l’enjeu de ce livre ? Redonner une « juste place » aux femmes. La thèse est bien sûr un peut orientée, mais Sylvaine demande peu : « Le rôle de Pierre sur lequel s’est instaurée l’Église doit être relu en diptyque avec celui que Jésus lui-même a conféré à Marie de Magdala, en l’instituant premier témoin de sa résurrection; à charge pour elle qui n’avait jamais trahi, de transmettre la Bonne Nouvelle à Pierre et aux autres disciples. Tous, hommes et femmes, nous avons à nous convertir, en suivant des voies peut-être différentes, pour parvenir à une nouvelle forme d’humanité réconciliée, dont l’accès est longtemps resté entravé (…). Mais une telle conversion dépasse la démarche individuelle et appelle une transformation des structures sociales qui entérine encore des rapports d’opposition entre les personnes au lieu de rapports de mutualité » (6).
« S’ouvrir à l’altérité par la mixité indique un écart, peut-être une faille, voire objective un manque. Plus précisément elle met à distance (…) Ce décentrement des certitudes, opéré par l’impossible fusion dans l’unité, se renforce quand il s’agit de la différence des sexes car celle-ci n’est jamais si radicale qu’elle le paraît » (7)
L’enjeu n’est il pas de retrouver le lieu d’une simple harmonie, ou d’une danse, comme j’aime l’évoquer, pour construire ensemble ce polyèdre dont nous parle François où tout baptisé a sa place en route vers le Royaume.
Est-ce le chemin que prend le synode ?
Ou faut-il encore attendre l’effondrement du système pour tout reconstruire ?
(1) Sylvaine Landrivon, Marie Madeleine, ou la fin de la nuit, Cerf 2017. p. 139
(2) ou apôtre des apôtres comme ose le suggérer Saint Thomas d’Aquin
(3) c’est dans ses leçons de Béthanie que l’évolution se fait.
(4) Marie Madeleine, op. cit. p. 160
(5) ibid. p. 170
(6) p. 179
(7) p. 197