Séquence 4 : Vous avez dit “ressuscité” ?
Par Anne Soupa (1) et Sylvaine Landrivon (2) + annexes 1 et 2 en fin de dossier
Pour accéder à la vidéo :https://youtu.be/HTtz2HOaZJE
1/ Anne Soupa Vous avez dit : « résurrection » ?
Oui, devant un tel mot, le point d’interrogation n’est pas de trop ! En effet, les questions sont légion. Est-ce une exploration d’autres mondes, ou de l’extraordinaire, ou de croire que les cadavres reprendront chair ? Non, alors, qu’est-ce qui ressuscite ? Le corps ? l’âme ? Et que veut dire le mot ? Comment considérer les récits d’apparition qui en traitent ? Sont-ils des cours de sciences de la vie et de la terre ? Des relations historiques ? Ou des midrashim ? Enfin, comment juger cette question sans être prisonniers des réflexes de notre temps, ou de ceux hier, historicistes, puis rationalistes ? J’ajoute enfin que la question de la mort nous touche tous. L’angle anthropologique choisi pour ces rencontres se révèle essentiel.
Dans la Bible et le discours de l’Église, il n’est jamais question de l’immortalité de l’âme, mais de la résurrection des corps.
Le verbe “ressusciter” est un terme inventé. Les deux verbes grecs sont « relever » et réveiller. La traduction mot à mot de la forme verbale utilisée est : « Il s’est fait voir » ; c’est ce qu’on appelle un passif divin : l’initiative vient de Dieu. Commençons par la base de toute parole sur la résurrection. Celle-ci a été annoncée et non décrite. C’est ce qu’on appelle le kérygme, ou « proclamation à voix haute ». « Cet homme qui a été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez pris (…) mais Dieu l’a ressuscité » (Ac 2, 22-24). Et en Luc, à la fin du récit d’Emmaüs : « C’est bien vrai, le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon » (Lc 24, 34). Pour faire droit à cette injonction d’annonce, la résurrection est d’abord ce dont je dois rendre compte, témoigner, presque lui faire prendre corps. Paul insiste « Si le Christ n’est pas ressuscité, vide est notre message, vide aussi notre foi », dit Paul (1 Co 15, 14). Autrement dit : si vous n’annoncez pas que le Christ est ressuscité, vide est votre foi, c’est-à-dire, vous ne faites rien de votre foi, elle croupit.
Le plus ancien récit, de type kérygmatique lui aussi, est chez Paul, dans ce même récit aux Corinthiens, vers 50-51 : « Il est apparu à Céphas, puis au Douze. Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois (…) ; ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En dernier lieu, il m’est apparu à moi l’avorton » (1 Co 15, 3-8).
Les récits d’apparition du Nouveau Testament
De manière surprenante, ces récits, qui sont la base de toute analyse du « phénomène résurrection », ont été négligés, presque jusqu’au 20e s. au moins la plupart d’entre eux, parce qu’ils se prêtaient mal au projet apologétique des commentateurs ecclésiastiques. Si nous les regardons un peu de près, que constatons-nous ?
D’abord, la diversité des expressions.
-Un premier groupe est celui des femmes (Mt 28, 1-8 ; Lc 24, 1-8. Mc 16, 1-8). Ils racontent la découverte du tombeau vide et la parole de l’ange : « Ne craignez pas, je sais bien que vous cherchez Jésus le crucifié ; Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez voir le lieu où il gisait et allez vite dire à ses disciples : ‘Il est ressuscité d’entre les morts et voilà qu’il vous précède en Galilée’ ».
Outre que ce ne sont pas directement des récits d’apparition puisque la personne vue est un ange, j’en retiens trois éléments importants : l’ange prend acte de ce que les femmes cherchent ; il leur demande d’annoncer la chose aux disciples et il les envoie en Galilée, lieu qui évoque à la fois la prédication de Jésus et le brassage des cultures propre à cette terre jugée trop païenne par les Judéens. Et les femmes le font.
-Cette découverte est suivie, chez Matthieu (Mt 28, 9-10), d’un bref récit, non repris chez Marc et Luc et qui lui est à proprement parler un récit d’apparition et que les Bibles nomment : « L’apparition aux saintes femmes ». C’est Jésus qui vient à leur rencontre, on ne sait pas où ; les femmes étreignent les pieds du ressuscité : il est le Seigneur.
-Bien plus conséquente et plus riche est l’apparition au jardin à Marie de Magdala (Jn 20, 11-18). Elle nous offre deux acquis majeurs : Le « Jésus ressuscité » ne se reconnait pas spontanément, Marie le prend pour le jardinier : il y faut quelque chose de plus, il faut que Marie soit nommée, identifiée dans son être profond par celui qu’elle sait aussi appeler, « Rabbouni » (Jn 20, 16). Je vous invite à retenir ce verset, il est pour moi « le verset » qui permet d’entrer dans ce mystère de la résurrection.
-Viennent ensuite alors cinq récits d’apparition au groupe des apôtres.
Le premier est la finale de Matthieu (28, 16-20). C’est un récit qui a une orientation ecclésiale marquée : comme la Transfiguration et le Sermon sur la Montagne, il se situe sur une montagne, plus théologique que géographique, il exalte la grandeur d’un Ressuscité toujours présent et il envoie les disciples en mission.
Deux autres récits sont apparemment proches l’un de l’autre. Il s’agit de Lc 24, 36-43.44-53, qui est la restitution de la découverte d’Emmaüs à ceux qui sont restés à Jérusalem. Jésus apparaît aux Onze, leur offre sa paix et montre ses plaies. Chez Luc, l’insistance est sur les Écritures, la réalité corporelle de la résurrection -Jésus mange avec eux du poisson- la difficulté de croire, et la promesse de l’Esprit.
Chez Jean (Jn 20, 19-29), il ne s’agit plus des mains et des pieds, mais des mains et du côté, d’où ont jailli l’eau et le sang. Et il n’y a aucune insistance sur la corporéité. Ce qui compte, c’est l’identité de Jésus : « C’est bien lui ! ». Ensuite, Thomas affiche son incrédulité (Jn 20, 24-28). SI ce récit insiste sur la difficulté de croire, c’est bien qu’elle est fréquente. Pourtant Jean ne la blâme pas. L’ajout du nom « Didyme », jumeau, au prénom de Thomas, suggère que nous sommes tous habités par le double de l’incrédulité.
Mais il ne faudrait pas croire que la question de la corporéité de Jésus soit la pointe du récit, ce que l’on a eu trop eu tendance à le faire, comme dans le tableau du Caravage où l’on voit un Thomas aimanté par la cicatrice de la plaie du côté. Ce qui déclenche la foi de Thomas, c’est l’invitation du Seigneur : « porte ton doigt ici, voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais croyant ». Thomas peut alors déclarer « Mon Seigneur et mon Dieu », la 1ère confession de la divinité du Christ. Magnifique de douter, pour en venir là….
-Le long récit des pèlerins d’Emmaüs (Lc 24, 13-35) apporte d’autres éléments. Il balise un itinéraire ecclésial pour retrouver le ressuscité. C’est un récit très travaillé, tardivement écrit, qui atteste d’une profonde intériorisation du mystère de la Résurrection. On pourrait le définir l’histoire singulière de la découverte, dans le repas, du fait de la Résurrection[1]. Ce texte nous offre une propédeutique de la présence du Christ dans l’existence chrétienne : par la fréquentation des Écritures, par la vie fraternelle, par le partage du pain, eucharistie ou partage tout court.
-Enfin, le dernier récit d’apparition est la finale de Jean (Jn 21), où Jésus apparaît auprès de ses disciples, à Tibériade, un jour de pêche. Ce récit est d’une rédaction tardive. Il est, lui aussi, le fruit d’une longue intériorisation, et d’une expérience de la résurrection. Il reflète l’état d’esprit de la 1ère communauté johannique, qui veut préciser le rôle de Pierre et celui du disciple bien aimé. Je ne m’y attarde pas car, comme à Emmaüs, son but n’est plus l’annonce de la résurrection, mais sa transformation dans la vie de la communauté. Cette diversité entre les récits va parfois jusqu’à la contradiction. Un corps glorieux mange-t-il ? Pourquoi doubler les récits des femmes en Matthieu ? Quel sens donner aux plaies dans lesquelles on met le doigt ? Pourquoi donner à Thomas l’ordre de toucher et l’interdire à Marie ? Donc, quid de la corporéité du ressuscité ? Si le Christ est ressuscité avec son corps, comment peut-il passer les portes closes ?
Que disent les Pères de l’Église ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces récits n’ont que très peu été étudiés. Ils ont même gêné les Pères. Ceux-ci ont été attaqués et leur discours est défensif, contre les philosophes païens ou juifs. Un Eusèbe de Césarée a voulu harmoniser ces contradictions, en comblant les vides des textes pour en faire un seul récit cohérent. Pour cela, il suppose l’existence d’une autre Marie, elle aussi de Magdala, qui permette de lever les contradictions entre la Marie de Matthieu et celle de Jean.
Unanimement, les Pères tiennent bon : le corps du ressuscité est un corps véritable, mais avec des propriétés différentes. « C’est son corps, mais il n’est pas semblable, il ne tombe pas au pouvoir de la corruption » (Cyrille d’Alexandrie). Parfois, un peu de candeur affleure : Cyrille explique que, si les blessures restent apparentes, c’est parce qu’il veut les montrer à son Père….
L’essentiel pour tous est de défendre la réalité corporelle, physique, de la résurrection, quitte à accepter des différences avec le corps d’avant. Deux questions plus intérieures au monde chrétien se dégagent aussi :
1.Pourquoi le Christ n’est-il pas apparu à tout le monde ? Il faut être « capable », la résurrection est pour les forts » dit Origène.
2.Pourquoi les femmes d’abord ? Sans voir la contradiction avec les arguments utilisés pour répondre à la question précédente, les Pères répondent : « Parce qu’elles pèchent plus ! ». « Elles sont premières dans la chute ». Ils sont nombreux à tenir ce discours : Léonce de Constantinople, Ambroise, Grégoire le grand et Romanos de Mélode.
Dans la rubrique sexiste, je ne résiste pas à cette remarque d’Ambroise : « Jésus lui dit :’ Femme’ ; celle qui ne croit pas est femme, et désignée encore par la qualité de son sexe, selon le corps ; celle qui croit arrive à l’homme parfait (…) elle n’a plus son nom du siècle, le sexe de son corps ».
Et les commentateurs qui les ont suivis ?
Ils n’ont dans l’ensemble, guère infléchi leur discours. Je vous propose un éclairage rapide sur les catéchismes du Grand siècle, pourtant bibliques, et ceux qui les ont suivis. On n’y trouve pas davantage mention des apparitions pascales. Les lignes de force sont : montrer que la résurrection est une œuvre de puissance de Dieu, « qui se réveille par soy-même » (1665), et que « Jésus réunit son âme à son corps par sa puissance et sortit du tombeau » (Catéchisme du diocèse de Paris, 1914). Un évêque parle d’une grande secousse sur la terre, un autre assure : « de tous les faits historiques, il n’en n’est pas un qui ne fut plus certain et plus solidement établi » (Mgr Cauly, 1884). En fait, la résurrection sert à prouver que Jésus est Dieu.
Encore et encore, on historicise… Jusqu’à la critique rationaliste du 19e s., fortement menée par Renan en France, qui soutient que cette résurrection est une illusion. Mais la réponse catholique, toujours défensive, n’a pas changé ; elle reste de surface : elle est historicisante et concordiste.
Aujourd’hui, l’exégèse renoue avec la profondeur de sens des récits évangéliques. Elle accepte la pluralité des récits, leur non concordisme, et elle admet qu’ils sont le signe d’une plénitude de sens à déployer. Il ne gêne plus que des contradictions apparaissent dans des récits écrits en plusieurs lieux, par des personnes différentes qui ont une relation au symbolique différente. Et l’historicisme, nous avons déjà amplement vu ensemble qu’il écrasait la profondeur théologique de ces récits[2].
Alors quelle est la bonne définition de la résurrection ? Nous allons maintenant la découvrir chez Paul.
La parole de Paul
C’est Paul qui, dans la 1ère Lettre aux Thessaloniciens a, le premier, abordé la question de la résurrection des corps : « Nous ne voulons pas, frères, vous laisser dans l’ignorance au sujet des morts » . Pour le comprendre, il faut resituer le contexte. Les nouveaux croyants de cette ville attendaient la venue de Dieu en gloire pour les années prochaines. Cette venue était colorée par l’espérance juive de la fin des temps (Sophonie 1, 14-15 : Dies Irae, Dies illa). Pour d’autres prophètes, ce jour est celui du triomphe des justes : « Pour vous, le soleil de justice brillera, avec la guérison dans ses rayons » Ml 3, 18-20). La crainte des Thessaloniciens était que les morts ne pourraient être là pour en jouir. Ne vous souciez pas, répond Paul, « la trompette descendra du ciel et les morts ressusciteront les premiers » (1 Thess 4, 16).
Cinq ans plus tard, Paul écrit aux Corinthiens pour leur dire avec quel corps les morts reviendront. (1 Co 15, 35). Pour lui, ce corps est radicalement « autre » que celui qui est porté en terre, il est transformé. C’est un corps « spirituel ou « glorieux » (1 Co 156, 42-44). Ce corps est celui qui permet d’entrer totalement en relation avec autrui, avec Dieu.
Quant à la date de la résurrection des morts, elle est celle de la venue du Seigneur (1 Thess 4, 2-3). Et la venue du Seigneur dépend du bien réalisé sur terre. On en vient, comme c’est naturel dans le monde juif, à des injonctions éthiques.
Notre foi en la résurrection, elle, naît de l’expérience d’une relation indestructible avec le Seigneur. C’est la foi de Paul (1 Thess 4, 13-18). Son espérance fait éclater les barrières de la mort, car elle dépasse ce que l’on peut en connaître ici-bas. Il y a de quoi perdre pied, car tout miser sur ce que l’on ne connaît pas est vertigineux…. Mais Paul ne se place pas au niveau de la connaissance, d’un savoir. Il se place sur le terrain de la foi. L’expérience de la mort, en nous dépossédant de tout savoir, est le lieu même de la foi.
Alors, qu’est-ce que la foi nous donne à connaître et comment nous le permet-elle ? La foi est une expérience de con-fiance, une fiance, « qui se fie à ». Elle s’appuie sur le pouvoir recréateur de Dieu. S’il m’a créée, il me recréera, d’une vie qui ne s’épuise pas. Elle s’appuie aussi sur l’expérience des disciples après Pâques, dont il vient d’être question. S’ils ont vécu de sa présence, c’est que notre foi peut croire en notre résurrection.
Affirmer la résurrection « des corps », c’est signifier que le don re créateur de Dieu passe par nos propres corps, il s’enracine dans l’histoire de nos existences. C’est par le corps que nous sommes au monde, aux autres et à nous-mêmes. Mais ce corps excède notre corps physique. Nous avons vu que, dans les apparitions du Ressuscité, le corps de chair reste, mais il est « glorifié » par le rayonnement de l’amour de Dieu. Le corps ressuscité, c’est celui avec qui on entre dans une relation de communion, de plénitude. Á la fois déjà vécue et espérée pour « le dernier jour ». La foi en la résurrection des corps, c’est la foi au Dieu de la vie. C’est un acte fort, risqué, un acte de lâcher prise qui peut sembler affolant, mais qui ressort pleinement de la foi.
Ces quelques rappels montrent la forte implication des témoins, comme ces femmes en marche, dans l’énoncé de la résurrection. Et ils me permettent de dire que la résurrection ne relève pas directement de l’historique à la manière d’une chronique d’Agence de presse. Mais d’une conception large de l’histoire, comme recensant des témoignages qui ont marqué la vie de ceux qui les ont vécus, au point qu’ils en ont été transformés.
J’avoue donc le lieu où moi, je me situe pour en parler : le lieu de l’expérience. Mon expérience doit devenir le lieu de mon annonce. La Bonne Nouvelle que je dois annoncer, c’est que je vis de ce capital de bonheur, fait d’espérance, d’amour et de confiance qu’offre la Résurrection. Alors qu’est-ce qu’une expérience de résurrection ? C’est de croire en l’indestructibilité de l’amour. « L’amour ne passera jamais[3] », dit Paul. Où trouver les signes de cet amour, sinon d’abord dans l’événement central des Évangiles, la Pâque de Jésus ? C’est dans la vie donnée, et l’abaissement jusqu’à n’exclure personne de l’humanité que s’origine sa Résurrection. Jésus est vivant pour toujours parce qu’il a aimé à en mourir. Ou, dit autrement, l’amour porte en lui promesse de résurrection.
Pas sous forme d’une rétribution venue du Père, mais parce que l’amour est dispensateur de vie. Lorsque Jean, sur le tard de sa vie, livre le fruit de sa longue rumination intérieure, il dit : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, car nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort[4] », il pose clairement l’équivalence de ces deux termes : « passer de la mort à la vie », donc « vivre pour toujours » et « aimer comme Jésus a aimé, à en mourir ». J’en déduis que « résurrection » et « amour » sont synonymes et je me propose d’employer indifféremment l’un ou l’autre terme. Nous ne nous tromperons pas. La résurrection, c’est d’aimer, comme a aimé Jésus, disponible, libéré de ses propres entraves, bienveillant au sens fort du terme, c’est-à-dire capable de dire et de faire le bien pour autrui, quel qu’il soit. Toute expérience de cet amour est déjà une expérience de résurrection. Telle est la certitude majeure acquise par les femmes.
Telle est aussi celle de l’Église, qui a besoin que nous annoncions, encore et encore. Sans nous, la résurrection est incompréhensible. Avec nous, elle peut brûler comme un feu auquel autrui peut se chauffer.
La Visitatio
Je voudrais faire une petite place à un drame liturgique lié à la résurrection, la Visitatio, que le Comité de la Jupe a tenté de remettre à l’honneur. Il s’agit d’un trope (manière) de l’introït, né au IXe s. où les trois Marie sont interpelées par l’ange :
-« Qui cherchez-vous, ô adoratrices du Christ ?
-« Jésus de Nazareth, crucifié, ô habitants des cieux »
-« Il n’est pas ici, il est ressuscité, comme il l’avait prédit. Allez annoncer qu’il s’est relevé de son tombeau. »
Ce moment liturgique était célébré à la levée du jour, au matin du dimanche, assumé par des moines. Avec quantité d’autres gestes liturgiques, il a été supprimé au Concile de Trente;
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[1] Patrick Pretot, o.s.b. La Maison–Dieu, 195 (01/07/1993) http://www.lachristite.eu/archives/2017/04/18/35183827.html
[2] Voir : Les rencontres pascales avec le Ressuscité, Supplément aux Cahiers évangiles n° 108
[3] Première Lettre aux Corinthiens 13, 8.
[4]Première Lettre de Jean 3, 14.
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2/ Sylvaine Landrivon
De l’échange entre Jésus et la Magdaléenne chez Jean au personnage de Marie-Madeleine
Si le temps de Pâques commence par le cheminement de Jésus jusqu’à la croix, sa mort et la dispersion des disciples masculins, -comme si Jésus avait échoué dans sa mission-, il s’illumine quand ce Jésus mis à mort revient à la vie. Nous sommes pleinement dans l’expérience d’un temps de passage. Car dans la mort de Jésus, il ne s’agit pas d’un simple endormissement. La mort en croix l’atteste : Jésus est bien mort ! Les quatre évangiles insistent sur la réalité de cette mort afin que la tentation d’un schéma docète[1] soit définitivement contredit par tout le déroulement de la Passion. Il faudra accepter la double nature du Christ, pleinement Dieu et totalement humain jusque dans la descente dans la mort, avant de ressusciter pour nous. Pour illustrer ce passage de la mort à la vie, Paul va utiliser l’analogie du grain de blé et de l’épi. Voir ci-dessous annexe 4/1 avec le texte de Fr. Varillon Accepter et intérioriser ce cheminement n’est pas aisé et exige la foi.
Nous ne saurons jamais ce que Jésus a rapporté aux compagnons d’Emmaüs, ni sur quels versets de « toutes les Écritures » il s’est appuyé pour susciter chez eux la reconnaissance et la foi en la résurrection, quand il leur dit : « “(…) Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?” Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » (Lc 24,25-27)
C’est bien une résurrection dans toute son épaisseur mystérieuse que contemple Marie la Magdaléenne en Jean 20,16-17, quand Jésus se fait reconnaître à elle en l’appelant par son nom.
Jn 20,15-18 : « Jésus lui dit : “Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?” Le prenant pour le jardinier, elle lui dit : “Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je l’enlèverai.” Jésus lui dit : “Marie !” Se retournant, elle lui dit en hébreu : “Rabbouni” – ce qui veut dire : “Maître.” Jésus lui dit : “Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.” Marie la Magdaléenne vient annoncer aux disciples : « j’ai vu le Seigneur et il lui a dit cela. »
La liturgie a trop souvent tendance à minorer un élément majeur, au centre du mystère de la résurrection : ce sont des femmes qui l’attestent et c’est à l’une d’entre elles d’abord, que le Christ confie un message qui contient d’immenses enseignements. Qui est cette femme ? Et que nous dit l’échange entre Jésus et Marie au sortir du tombeau ?
Nous allons aborder d’abord le sens de l’échange tel qu’il nous est raconté par le Quatrième évangile. Puis nous observerons la réception qui en a été faite, afin de voir comment celle qui fut depuis toujours ou presque, nommée « apôtre des apôtres », s’est retrouvée assimilée en Occident à une prostituée pour servir un schéma de repentance au lieu de permettre aux femmes à sa suite, de devenir elles aussi, les envoyées de la Bonne Nouvelle.
L’échange entre Marie et Jésus selon Jean
L’évangile de Jean nous présente Marie de Magdala comme la première à qui Jésus ressuscité s’est adressé. Cette rencontre souvent étudiée, l’est cependant rarement pour établir une claire continuité entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi. Or, ce que Marie va découvrir, ce qu’elle sera chargée de transmettre c’est que celui dont elle a pleuré la mort est bien celui qui l’appelle par son nom ; mais tout en restant le même, il est devenu Tout Autre. Et par cette élévation, il nous conduit vers le Père et fait de nous ses frères.
Les théologiens vont, bien entendu, très vite chercher à interpréter le sens de cette rencontre.
Notons que contrairement à ce que l’on enseigne souvent, ce n’est pas Pierre mais la Magdaléenne qui, la première, découvre le tombeau vide. Non seulement Jésus est mort mais son corps a disparu. Elle mesure alors l’absence radicale évoquée par Jésus lorsqu’il annonçait qu’encore un peu et on ne [le] verrait plus (chap 16). Il lui faudra dépasser son chagrin pour le retrouver. La présence des anges est un premier baume qui oriente la scène de la mort vers la vie en Dieu mais la leçon n’est pas suffisante. Marie doit opérer un déplacement et se retourner vers celui qui l’appelle par son nom. Ce retournement est à entendre au sens métaphorique de conversion. Elle retrouvera sa foi intacte en se faisant interpeller dans l’individualité de sa relation à Jésus. Mais Jésus n’est plus celui qu’elle a connu comme maître. Le terme « rabbouni » est devenu invalide. Celui aux pieds de qui elle se tenait a pris possession de sa gloire par son élévation sur la croix. C’est pourquoi, selon l’évangile johannique, ce n’est plus l’ancienne relation qui opère et il ne sert à rien de toucher le Seigneur. Le Christ devient accessible selon un autre mode d’échange qui va transiter par la Parole et cette parole assigne un rôle à Marie : son envoi en mission.
Tout bascule quand le Ressuscité interpelle Marie et lui dit « qui cherches-tu ? »
C’est par ce verbe « chercher » qu’il convient de sortir du domaine psychologisant. La question consone en effet avec celle que le Christ a adressée aux premiers disciples qui se sont mis en route à sa suite, au début de l’évangile, quand il leur a demandé : « que cherchez-vous? » (Jean 1.38). St Thomas en fait le commentaire dans sa lectio 15 et rappelle que ce « que cherchez-vous ? » est la première parole prononcée par le Christ dans cet évangile[2]. Il ne développe pas mais nous pouvons considérer qu’elle fait inclusion[3] avec le « qui cherches-tu ? » adressé à Marie, auditrice de la première parole du Ressuscité.
Dans le cas des premiers disciples comme dans celui de Marie, Jésus utilise la question pour sonder l’intention de ses interlocuteurs. Saint Thomas l’interprète ainsi quand il analyse la relation aux premiers compagnons : « pour qu’en mettant à découvert leur intention droite, il les rende davantage intimes, et qu’il les montre dignes de son écoute. » D’ailleurs la comparaison entre les deux textes peut se poursuivre car de même que Jésus se retourne pour faire face aux disciples qu’il devance en Jean 1, de même il se fait reconnaître à Marie, comme pour inaugurer cette rencontre qui sera la nôtre le jour de la vision bienheureuse, quand à notre tour nous verrons son visage, selon ce qui est dit dans le Psaume 80 (79),4b : « montre nous ton visage et nous serons sauvés. » Remarquons pourtant que ce face à face avec Marie a fait couler beaucoup moins d’encre que l’étude du Noli me tangere, interprété en dépit du bon sens.
C’est la parole du Christ qui la convoque en l’appelant par son nom, qui la guide sur la voie de la reconnaissance. Nous retrouvons mais cette fois en vérité, la démarche effectuée par Marthe avant elle.
L’aspect ambivalent du premier temps de cette reconnaissance transparaît ici dans l’usage du terme « rabbouni » (Jn 20,16). Jésus est certes le maître, mais le titre n’est plus à comprendre au sens de la relation avec celui qui sillonnait les routes de Galilée. Le passage qui s’opère progressivement en Marie et qui la conduit de l’amour humain à la clarté spirituelle montre que c’est cette rencontre, et plus encore le changement de plan qu’elle objective, qui initie l’envoi en mission pour l’annonce de la Bonne Nouvelle.
En Jean 1.38-39, Jésus contraint André et son compagnon à s’interroger sur sa véritable identité. Les propos du baptiste n’ont pu suffire à les convaincre qu’il est « l’Élu de Dieu » ; il faudra le repositionnement opéré par la question de Jésus pour réaliser l’adhésion.
Avec Marie, le procédé est similaire. Elle a reçu Jésus comme Maître et lui a accordé toute sa confiance. Il faut cette confrontation au bord de l’ultime et cette question « Qui cherches-tu ? », pour que la relation atteigne une reconnaissance en vérité. Une modification qui semble un détail s’est toutefois glissée entre les interrogations des disciples et de Marie ; nuance textuelle si infime qu’elle pourrait passer inaperçue et qui cependant contient peut-être le sens de tout le chemin parcouru…
Aux disciples rencontrés en Jean 1, la demande de Jésus est : « QUE cherchez-vous ? » : τί ζητεῖτε, (ti zèteité) à la forme neutre. Ce « que » renvoie à un principe, une idée.
À Marie, le Ressuscité ne dit plus que mais « QUI cherches-tu ? » : τίνα ζητεῖς. (tina zèteis) Ce n’est plus un mode de vie, une vérité qu’il est nécessaire de trouver mais Celui qui est « le chemin, la vérité et la vie » ! Il s’agit désormais de le suivre, un peu comme André, mais en le reconnaissant enfin « Élu de Dieu », Dieu lui-même, ce que n’avaient pas été capables de percevoir les premiers compagnons de route.
Le progrès est donc majeur entre les deux rencontres ; et Marie la Magdeleine est la première, depuis le « oui » de Marie, – mère de Jésus – à accueillir le Sauveur en mesurant toute l’immensité de sa divinité.
L’exposé que lui fait le Christ durant ces retrouvailles, exprime ses liens avec le Père et la nouvelle relation qui s’établit entre Lui et ses disciples. Pour la première fois dans l’évangile johannique, les compagnons de Jésus deviennent ses frères. Ainsi l’élévation de Jésus, sa résurrection attestent de cet accomplissement qui fait que le Verbe quitte son statut terrestre et retourne auprès du Père mais en instaurant un lien nouveau. « La résurrection comprise comme élévation suscite un saut qualitatif, une nouvelle forme de communion avec Dieu[4] » dit Jean Zumstein. Et c’est à une femme : Marie de Magdala que le Christ confie la mission d’aller annoncer cette Bonne Nouvelle. Elle s’en acquitte d’ailleurs et son expression « j’ai vu le Seigneur » est typique d’une théophanie comme la transmettra Paul aux Corinthiens : « Ne suis-je pas apôtre? N’ai-je donc pas vu Jésus, notre Seigneur? » (1Co9,1).
Pourquoi ce témoignage, autrement dit, le choix fait par le Christ de lui confier à elle le premier et fondamental message de la victoire définitive sur la mort, ne l’ont-ils pas alors promue à la tête de son Église ? Pourquoi peine-t-on tant à partir de cette attestation canonique à proposer une ecclésiologie différente de celle en vigueur dans l’Église catholique, qui exclut les femmes de la charge d’apôtre ?
Il est pourtant probable que les témoins de la mort et de la résurrection du Christ ont occupé une place privilégiée dans la mémoire des premiers chrétiens. Paul qui ne semble pas connaître le rôle de Marie de Magdala dont il ne parle jamais, accorde cependant une place considérable aux femmes dans la constitution des premières communautés[5]. Nous nous trouvons donc là face à un paradoxe. Mais nous pouvons explorer une piste qui, si elle ne justifie rien, explique la suite.
Les propos de Thomas d’Aquin dans son Commentaire sur l’Évangile de saint Jean [6]vont d’ailleurs dans ce sens. En effet, le docteur Angélique analyse longuement cette scène de la rencontre entre le Christ et Marie. Il reconnaît dans la dévotion de Marie, le signe de sa constance à laquelle fera écho l’injonction de Paul : « soyez fermes et inébranlables [7]». Il souligne la supériorité de son amour sur celui des autres disciples en écrivant : « En effet, après le départ des disciples, un amour plus fort et plus fervent maintenait en ce lieu cette femme [8]». Et pourtant il ajoute qu’elle était inferior sexus. Toutes les qualités que Thomas accorde à Marie, tous les privilèges qu’il lui reconnaît, y compris celui fabuleux d’être supérieure aux anges[9], tombent devant ce constat : la femme, quelle qu’elle soit, est un être « inférieur ». Tout son raisonnement demeure bloqué par l’enseignement de son maître Aristote[10] qu’il ne sait pas dépasser[11]. Il va même encore au-delà dans la Somme théologique en affirmant : « la femme est quelque chose de défectueux et de manqué » et de ce fait doit être « soumise à l’homme, parce que l’homme par nature possède plus largement le discernement de la raison. [12]»
Nous constatons donc que ce rejet s’appuie à la fois sur des fondements intellectuels que l’Aquinate ne pouvait pas remettre en cause, mais aussi, sur un puissant terreau sociologique. Alors, comment accorder à Marie de Magdala, un statut identique voire supérieur aux autres disciples masculins, lorsqu’on est soumis à un tel état d’esprit !
Un propos de Marie-Françoise Baslez éclaire cette manière d’écarter Marie de Magdala du rôle qui a été le sien. Dans son introduction à une histoire des premiers temps de l’Église[13], cette autrice montre que la naissance et l’histoire de l’Église s’enracinent certes dans les deux événements que sont la Résurrection et la Pentecôte. Mais c’est la fusion des institutions de l’Empire avec celles de l’Église au IVe siècle, qui a contribué à la dimension universelle du christianisme. Il s’est voulu ouvert à tous les peuples, à toutes les catégories comme le précise Paul dans sa lettre aux Galates : « il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » (Ga 3.28). C’est peut-être là que réside le paradoxe. Pour atteindre toute la crédibilité souhaitée, l’institution a dû renvoyer ce message sur le strict plan théologique et donc entretenir la marginalisation des femmes, car pour diffuser dans tout l’Empire, il était impensable de s’appuyer sur l’autorité d’individus jugés inférieurs.
Il fallait donc d’urgence réinterpréter le rôle de Marie Madeleine et condamner les témoignages d’autorité à disparaître dans les oubliettes des récits apocryphes. L’Occident a alors réinventé une nouvelle figure de Marie Madeleine et celle-ci a envahi tout l’espace.
Le personnage de Marie Madeleine
Nous avons tous en tête une certaine représentation de Marie Madeleine or cette image est « pipée » et n’a, le plus souvent, que très peu de liens avec les textes du canon biblique. D’ailleurs, même quand nos repères se fondent sur les évangiles, ils mélangent : ce que nous dit Luc au chapitre 7 sur une « femme pécheresse », les diverses scènes d’onctions, et ce qui se passe au moment de la résurrection, notamment en Jean 20. Au point que quand nous évoquons Marie Madeleine, la première chose à rétablir est de savoir de quelle Marie on parle.
Je l’ai expliqué dans mes livres : plusieurs femmes des évangiles se prénomment Marie, et d’autres ne sont pas nommées du tout. Cela va entrainer des risques de confusion, et même créer une belle occasion de fusions volontaires entre les divers personnages.
Or en se fondant uniquement sur les évangiles, on peut se demander comment il a été pensable de mélanger une femme anonyme pécheresse (donc prostituée), Marie de Béthanie, (une amie de Jésus chez qui il logeait volontiers), et Marie dite de Magdala que nous rencontrons dans de nombreux autres passages des évangiles, mais jamais directement liée aux scènes d’onction. D’autant qu’il semble impossible d’unir Marie de Magdala et la « pécheresse » mentionnée chez Luc.
Sur ce sujet Le point de vue de la chrétienté va se couper en deux.
De nombreux Pères, parmi les théologiens occidentaux, bien que lui reconnaissant très vite le titre « d’Apôtre des Apôtres », vont assimiler Marie-Madeleine à la pécheresse décrite par Luc. Le grand responsable de cette représentation s’appelle Grégoire le grand.
Que fait Grégoire le grand ?
Grégoire le grand vit au VIe siècle. Il est élu pape en 590 et son influence sera considérable. Rome à cette époque traverse une crise terrible et Grégoire veut remettre de l’ordre, redonner des règles. Il va alors utiliser son pouvoir pour réaliser ce que les théologiens nommeront un « tour de force » exégétique, afin de mettre en place une théologie de la repentance. Deux homélies vont exposer son programme : les homélies XXV et XXXIII.
Il va rassembler tous les passages des évangiles où apparaissent des femmes autres que la vierge Marie, et réunir en une seule femme, la pécheresse décrite par Luc, et les différentes Maries autour de celle qui est « remplie de tous les vices » ; traduction un peu rapide du texte qui dit que Jésus avait chassé de cette femme « 7 démons ».
Avec cette illustration qui sert si opportunément une théologie de la pénitence, il crée un nouveau personnage totalement inconnu des évangiles, qui va symboliser l’humanité sauvée du péché : c’est Marie Madeleine.
Son homélie 33, est éloquente : « Elle trouve en elle autant d’holocaustes qu’elle avait eu de jouissances. Elle convertit en autant de vertus ses nombreux vices, afin de mettre au service de Dieu dans la pénitence tout ce par quoi elle avait méprisé Dieu dans le péché. »
Tout est ainsi axé sur le péché ; le repentir signifié par la profusion de larmes, attire la miséricorde, la miséricorde permet la conversion puis le rachat dans l’amour éperdu. Les peintres vont s’en donner à cœur joie !
Il n’est désormais plus possible de voir dans ce portrait, une disciple à l’égal des Douze. Pour retrouver une image conforme aux évangiles, c’est surtout en Orient qu’il faut chercher et notamment avec l’apport de Romanos le Mélode.
L’apport de Romanos le Mélode
Romanos est né en Phénicie à la fin du Ve siècle donc presque à la même époque que Grégoire. Il sera canonisé et restera très présent en Orient grâce à ses homélies en forme de poèmes. Il va consacrer plusieurs de ses hymnes à Marie de Magdala et pour lui, il n’existe AUCUN LIEN entre la pécheresse de Luc et Marie de Magdala.
Il s’appuie essentiellement sur l’évangile de Jean mais connaît probablement les évangiles apocryphes[14] dont la Pistis Sophia et l’Évangile selon Marie[15], qui la placent à la tête du groupe des apôtres.
Cela va colorer l’image qu’en donne Romanos et redistribuer les rôles.
Pour Romanos, Marie de Magdala est consolatrice, enseignante ; sa mission est dirigée vers l’extérieur : « Que ta langue désormais publie ces choses, femme, et les explique aux fils du royaume qui attendent que je m’éveille, moi, le Vivant. Va vite, Marie, rassembler mes disciples. J’ai en toi une trompette à la voix puissante : sonne un chant de paix aux craintives oreilles de mes amis cachés, éveille-les tous comme d’un sommeil, afin qu’ils viennent à ma rencontre. » Hymnes, 4 § 12
Elle enseigne ; elle rassemble… Et si c’est elle qui rassemble, elle devient non seulement le premier témoin de la résurrection, mais aussi le premier maillon de l’assemblée qui formera l’Église.
Elle possède, en outre, ce qui constitue les trois piliers ou charges du sacerdoce (que l’on nomme les tria munera). En effet revenons au texte de Romanos :
Elle dispose de la sanctification à travers l’idée de « publier » la parole de Jésus,
Elle détient le rôle d’enseignement avec « explique » et celui de gouvernement avec « rassemble ».
Nous sommes donc très loin de l’image donnée par Grégoire le grand mais quelque chose de cette figure parvient jusqu’à nous quand nous la voyons prêcher à Marseille sur un tableau datant du XVIe siècle qui reprend la scène décrite dans La légende dorée. (Ce n’est pas fortuit s’il sert de support visuel au site e-diocese.fr)
Le portrait de la Magdaléenne peut s’étoffer car cette femme est selon beaucoup d’aspects comparable à de grandes figures bibliques masculines comme Moïse, Paul… Voir Annexe 4/2 ci-après.
Sur la croix, Jésus a confié la transmission du message à Marie, sa mère, -figure d’Israël et modèle de foi-, ainsi qu’au Bien-Aimé, le disciple exemplaire qui, en recevant la mère de Dieu, ouvre le salut à l’Universel.
Lors de la résurrection, le Christ confie le sens de ce salut à la Magdeleine et l’envoie en mission en lui communiquant le contenu du kérygme : « va trouver mes frères et dis-leur... » Nous avons vu qu’elle remplit sa charge, aussi bien que Paul. A partir de la foi et de la fidélité de ces femmes, quels rôles leurs sœurs en Christ ont-elles acquis dans la suite de l’histoire ecclésiale ?
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[1] Pour l’hérésie qu’est le docétisme, l’humanité du Christ n’a pas de réalité objective. Son corps n’est pas un corps de chair et la mort ne l’atteint pas.
[2] Thomas d’Aquin, Sur l’Évangile de Jean, Lectio 15 : « Il faut relever aussi qu’il s’agit là de la première parole que le Christ prononce dans cet Évangile. Et cela convient bien puisque ce que Dieu recherche en premier dans l’homme, c’est l’intention droite. Et, selon Origène, après les six paroles que Jean a dites, le Christ a prononcé la septième. (…) Et le Christ parle en septième lieu pour que tu comprennes mystiquement, que le repos, qui est désigné par le septième jour, nous sera (donné) en futur par le Christ, et que en lui est la grâce septiforme de l’Esprit saint ».
[3] Procédé littéraire qui relie les deux points du texte.
[4] Jean Zumstein, l’évangile selon Saint Jean (13-21), Genève, Labor et fides, 2007, p.280.
[5] Lire sur ce sujet les récents et excellents livres de Chantal Reynier, Les femmes de Saint Paul et de Michel Quesnel Paul et les femmes.
[6] Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’Évangile de saint Jean, II,
[7] 1Co 15,28.
[8] Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’Évangile de saint Jean, II, § 2491, p. 415.
[9] « Ensuite, elle est au-dessus des anges, du fait qu’elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher », Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’Évangile de st Jean, II, op. cit., p. 424.
[10] Aristote, De generatione animalium, II, 3, 737, a27., ou De generatione animalium II, 766 b 33.
[11] Thomas demeure soumis à Aristote jusqu’à écrire dans son commentaire du Chapitre XVI sur le fait d’enfanter: « Et assurément cette dernière joie est très grande si l’enfant est de sexe masculin, car le mâle est quelque chose de parfait mais la femelle est quelque chose d’imparfait et d’incomplet ». Thomas d’Aquin, Commentaire sur l’Évangile de saint Jean, II, §2133 p. 275.
[12] Thomas d’Aquin, Somme théologique, Tome I, Paris, Éditions du Cerf, 1999, 966p., Prima pars, Q 92, a1, sol. 2, p. 790.
[13]Marie-Françoise Baslez, « Introduction Les premiers temps de l’Église : identités chrétiennes », in Les premiers temps de l’Église de saint Paul à saint Augustin, et Le monde de la Bible, 2004, 846p.
[14] Apocryphe : non pas au sens où ces documents seraient suspects ou faux, mais parce qu’ils ne sont pas reconnus dans le canon biblique.
[15] Redécouverts au milieu du XXe (en 1930 dans le Fayoum égyptien puis à Nad Hammadi en 1945 et un autre document plus complet en 1983). Ces documents sont probablement du IIe siècle.
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VIVRE LA PÂQUE – ANNEXE 4/1
Paul explique le passage de la mort à la vie par la métaphore du grain de blé.
Il ne se situe évidemment pas dans une logique biologique mais veut mettre en évidence le paradoxe de la continuité/discontinuité entre le corps mortel de Jésus et son état de ressuscité : (1Co15, 42-44) : « Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts: on est semé dans la corruption, on ressuscite dans l’incorruptibilité; on est semé dans l’ignominie, on ressuscite dans la gloire ; on est semé dans la faiblesse, on ressuscite dans la force ; on est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel. »
Voici un développement proposé par François Varillon, dans son livre Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, 1981,
p. 38-39 Le grain de blé
« Le grain de blé est parfaitement heureux dans son grenier. Pas de gouttière, pas d’humidité, les petits copains du tas de blé sont très gentils, il n’y a pas de dispute, c’est parfait. Permettez-moi de dire : petit bonheur de grain de blé dans un grenier. Transposez : Bonheur de l’homme, honnête aisance financière, succès dans les affaires, bonne santé et ainsi de suite… Certes, nous ne devons pas mépriser le bonheur humain, je vous souhaite à tous d’être heureux de ce bonheur-là, bonheur d’un petit grain de blé dans son grenier, mais tout de même ! Petit bonheur au regard de ce que nous devons être pour toute l’éternité.
J’imagine que ce grain de blé est très pieux, il remercie Dieu : Seigneur, je te remercie de ce que tu me donnes, ce bonheur qui fait que ce que je suis tellement heureux dans mon grenier et je souhaite que cela dure toujours ! Il a raison de remercier Dieu. Seulement attention ! Il ne faudrait pas que ce grain de blé s’adresse à un Dieu qui n’existe pas ! Or un Dieu qui ne serait que l’auteur et le garant du petit bonheur de grain de blé dans un grenier, même si ce bonheur est tout à fait légitime, je dis : un tel Dieu n’existe pas, il est une idole. C’est précisément le Dieu nié par beaucoup d’athées qui sont nos contemporains. Pouvons-nous dire qu’ils ont tort ? Et si le grain de blé s’obstine à chanter des cantiques, je prends ma plume et j’écris un traité pour parler de l’illusion des croyants.
Un jour, on charge le tas de blé sur une charrette, et l’on sort dans la campagne. La campagne est encore plus belle et plus agréable que le grenier. Aussi devant le ciel bleu, le soleil, les fleurs, les arbres, les plaines, les montagnes, le grain de blé remercie Dieu de plus belle : Seigneur, je te remercie, tout cela est tellement beau ! Il a raison, il faut remercier Dieu des belles choses qui sont ici-bas. Mais il reste toujours un grain de blé : un Dieu qui ferait que le grain de blé reste le grain de blé, un Dieu qui maintiendrait le grain de blé dans son grenier sans aucune espèce de fécondité, un tel Dieu n’existe pas.
On arrive sur la terre fraîchement labourée. On verse le tas de blé sur le sol : petit frisson, c’est frais ! Peu importe, c’est agréable, c’est une sensation nouvelle. Mais voici qu’on enfonce le grain de blé dans la terre. Il ne voit plus rien, il n’entend plus rien, l’humidité le pénètre jusqu’au-dedans de lui-même. Le grain de blé qui, par la mort inévitable, est en train d’être transformé, de devenir ce qu’il doit être, c’est-à-dire un bel épi regrette le grenier où en effet, il était très heureux, mais heureux d’un petit bonheur humain. À ce moment précis, il dit ce que disent autour de nous des millions d’hommes : si Dieu existait, de telles choses n’arriveraient pas. C’est dommage car c’est précisément là qu’il s’agit du vrai Dieu : le Dieu qui le transforme pour le faire passer de l’état de grain à l’état d’épi, ce qui n’est possible que par la mort. Le seul Dieu qui existe est celui qui nous fait croître, passer d’une condition simplement humaine à une condition d’homme divinisé.
Telle est notre histoire, telle est la condition humaine. Il n’y a pas de croissance sans transformation, il n’y a pas de transformation sans mort et nouvelle naissance. »
VIVRE LA PÂQUE – ANNEXE 4/2
La nouvelle figure de Marie Madeleine évoquée dans la conférence nous permet de la regarder tout autrement, au point de percevoir qu’elle possède des ressemblances avec d’autres acteurs bibliques.
- Comme Moïse : Dieu ne s’adresse-t-il pas à Marie comme il le fait au premier chapitre du Lévitique quand il interpelle Moïse ? Le parallèle est assez saisissant :
D’un côté nous lisons : « YHWH appela Moïse et, lui parla et lui dit : Parle aux Israélites ; tu leur diras : » (Lv 1,1-2).
De l’autre : « elle ne savait pas que c’était Jésus » (« Jn 20,14b ) ; « Jésus lui dit : “Marie !” » (16a ) et « Jésus lui dit : “Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur :… » (Jn 20,17).
- dans les deux cas, le Seigneur n’est pas d’abord clairement objectivé.
Le texte hébreu pour dire l’appel : « vahiqra » n’a pas de sujet nommé ; Moïse ne sait pas qui appelle, de même que Marie ne sait pas immédiatement qu’elle a affaire à Jésus.
- ensuite vient le contenu religieux destiné à un interlocuteur précis, quand le Seigneur oriente le dire vers celui ou celle qu’il s’est choisi. Il appelle l’individu « Moïse » de la même manière qu’il s’adresse à Marie par son nom. De cet appel divin, provient un « me voici », celui-là même que prononce Samuel à l’appel de son nom en 1S 3,4-8
- Il est donc bien question de l’émergence d’une disponibilité dans le faire, qui, dans tous ces cas, va consister à se tourner vers la communauté pour transmettre le message reçu.
- Dans le cas de Moïse comme dans celui de Marie de Magdala, le Seigneur commande: « parle », « va trouver… », « dis-leur ».
- En outre, il faut noter que dans les deux scènes, le message peut ne pas être cru : il ne repose sur aucune preuve tangible. Pour Moïse, les tables de la loi ont été brisées ; quant à Jésus : qui croira sur le champ qu’il est vraiment ressuscité ?…
Donc Marie de Magdala possède des points communs avec Moïse. Elle en a aussi avec le disciple bien aimé.
- Comme Jean, le « disciple que Jésus aimait » : même proximité, même amour d’agapè. Voir le développement de ce thème dans Les femmes dans l’évangile de Jean, livre numérique : https://www.mondedelabible.com/les-femmes-dans-levangile-de-jean/
- Comme Paul:
Le rapprochement semble plus étonnant. Pourtant : l’un et l’autre ont des modes d’entrée en scène identiques : Marie guérie de maladie ; Paul est guéri de son aversion pour les chrétiens. Ils bénéficient tous deux d’une rencontre personnelle avec le ressuscité qui les appelle par leur nom. Ni l’un ni l’autre n’appartient au groupe des 12 et l’un et l’autre peuvent paraître suspects (Marie = femme ; et Paul = citoyen romain qui pourchassait les chrétiens). Enfin, tous deux sont envoyés en mission.
- Comparaison avec la Vierge Marie
Même acquiescement à la subversion : le « oui » de Marie est aussi subversif que le compagnonnage de Marie de Magdala avec Jésus qui sera dévoyé et instrumentalisé jusque dans les romans contemporains (Da Vinci code).
Même don total, même fidélité, même amour
Même présence aux moments essentiels : L’une à l’Incarnation, l’autre à la Résurrection, les deux au pied de la Croix. Nous reviendrons à la fin sur la mère de Jésus.
Mais la Mère de Dieu, mère toujours vierge = INIMITABLE ! Marie de Magdala nous offre une voie de disciple, d’envoyée, de témoin, plus humainement accessible et pourrait peut-être être considérée comme « apôtre »…
Et là, nous commençons à bien saisir comment Grégoire le grand a façonné un modèle qui empêche les femmes de réaliser ce que Jésus attendait d’elles…
Car tout laisse penser que les femmes, à la suite de Marie de Magdala, peuvent occuper les mêmes charges et responsabilités que les hommes.
Pourrait-elle être vraiment dite « apôtre » ? Observons la définition.
Apôtre, selon le P. Yves Congar, demande 1/ d’avoir vu le ressuscité, 2/ d’avoir reçu de lui une mission. Or Jésus dit à Marie : « Va trouver mes frères… dis-leur »). Elle l’a vu ; il l’envoie…Sic !
De plus, nous savons qu’elle est nommée régulièrement « Apôtre des Apôtres ». Cette expression au Superlatif absolu vient d’Hippolyte de Rome au IIIe siècle. Cette itération élogieuse trouvera un sérieux appui chez saint Thomas d’Aquin. Et elle sera confirmée par de nombreux papes, y compris Benoît XVI (audience du 14/02/2017) qui, reprenant le Commentaire sur l’Évangile de saint Jean de saint Thomas d’Aquin, cite quelques lignes du § 2519 très claires : « elle [Marie de Magdala] a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue Apôtre des Apôtres en ceci qu’il lui fut confié d’annoncer aux disciples la Résurrection du Seigneur. »
Merci beaucoup Sylvaine et Anne ! Travail énorme dont vous nous faites cadeau pour vivre Pâques encore mieux dans sa proposition de renouvellement. (retournement) Tout ce cycle constitue une base importante et des pistes rigoureuses pour une diffusion moderne avec un bagage nouveau indispensable pour vivre en adulte responsable notre foi.
(Je pense également aux cycles précédents sur Marie tous aussi productifs)
Marie ! Sylvaine ! Anne ! … de Magdala !
Merci beaucoup Clément pour ce sympathique message
Un très grand merci à Anne et à Sylvaine pour ces 4 conférences et tout le travail de recherche et de réflexion en amont qu elles supposent. Je suis sûre de relire et méditer ces textes offerts maintenant sur votre site.
A toutes deux belle montée vers Pâque , même si parfois le chemin n est pas facile. Bernadette
Merci Bernadette !!! Bon chemin vers la lumière de Pâques.
Un grand Merci en ce jour de Pâques pour vos conférences si riches dans notre humble recherche sur le mystère de la Résurrection , en route avec vous pour témoigner de cette belle Espérance d’Amour .
Merci encore
Béatrice
Merci pour ce sympathique message ! Christ est ressuscité !!! Que la lumière de Pâques vous apporte sa joie.
Voilà pourquoi “Le christianisme n’existe pas encore” (Dominique Collin) et voilà pour qui le christianisme existe déjà. Une Révélation de “l’événement-christ” qui “dépend de nous”.
Après 2000 d’histoire, le peuple juif est secoué par l’expérience de la résurrection de Jésus ; 2000 ans plus tard, le peuple catholique est secoué par l’expérience d’une nouvelle compréhension de la résurrection de Jésus.
Une ouverture féconde, qui allège et donne l’espérance que ces trois conférences !!