A lire ou relire:
Anne Soupa et Christine Pedotti, Les pieds dans le bénitier, Paris, Presse de la Renaissance, 2010, 269p.
Recension Sylvaine Landrivon
Le 06 novembre 2008, le cardinal-archevêque de Paris André Vingt-Trois, répondait à un journaliste de La Croix lors de l’émission « Face aux chrétiens ». Au cours de cet entretien, une phrase maladroite mais chargée de sens a donné l’impulsion à l’expression d’une vague de contestation au sein de l’Église catholique française.
André Vingt-Trois intervenait sur la possibilité accordée aux femmes de lire l’Écriture lors de la messe et il eut cette remarque fâcheuse qui se donnait l’air d’une boutade : « le tout n’est pas d’avoir une jupe, mais d’avoir quelque chose dans la tête »…
La création du Comité de la jupe fut la réponse espiègle mais pleine de remontrance à cette plaisanterie douteuse révélatrice d’une coutumière considération des femmes dans l’Église catholique.
Anne Soupa et Christine Pedotti décident qu’il est temps d’expliquer aux clercs que leur volonté de réserver la gouvernance dans l’Église aux seuls individus masculins, repose sur des justifications théologiques très contestables. Aux yeux des 500 participant.e.s à la marche du 11 octobre suivant, persister à éloigner les femmes des instances de responsabilité est perçu comme « une énorme déperdition d’énergie, d’intelligence, de richesse humaine spirituelle, un contre-témoignage porté contre l’Évangile [1]».
Cette revendication pour une plus juste reconnaissance de la place des femmes va très vite s’étendre à celle d’une meilleure prise en compte des « laïcs-fidèles du Christ ». Il s’agit de revaloriser la position de tout baptisé. C’est le temps de la création de la Conférence Catholique des Baptisé-e-s de France.
Le mouvement est lancé ; leurs initiatrices s’en expliquent dans Les pieds dans le bénitier.
Leurs autrices ne sont pas étrangères à l’univers sur lequel elles veulent agir.
Anne Soupa est alors journaliste rédactrice en chef de la revue Biblia, « catholique de toujours et catholique de mon temps », et l’éditrice Christine Pedotti, « catholique du milieu de la nef » ; elles n’appartiennent ni l’une ni l’autre à des mouvements militants mais profitant de cette « felix culpa » de monseigneur Vingt-Trois, ces «minettes endormies », se révèlent : « nous venions de nous réveiller et de découvrir que nous avions des griffes.[2] ».
Les « griffes » sont en effet assez bien aiguisées dans les quelque 250 pages de leur ouvrage. Souhaitant stimuler une Église catholique qui s’enfonce dans un repli identitaire oublieux de son message, elles mettent à jour le cœur des problèmes auxquels l’institution est confrontée depuis des lustres.
Elles mettent en évidence que l’épisode de la jupe n’est que l’illustration de la fracture qui se vit dans la communauté chrétienne et souligne : « la faillite d’une institution qui méprise les femmes[3] ». Dans la même direction, l’image de Marie véhiculée par les clercs conduit les deux essayistes à écrire : « Pardonne-nous de t’avoir transformée en meringue blanche et évanescente». Il faut reconnaître avec ces autrices que la mère de Jésus décrite dans les évangiles, -celle qui ose l’inouï du « oui » lors de l’Annonciation, qui proclame le Magnificat et qui est à l’origine du premier signe de Jésus à Cana-, est à des années-lumière des représentations mariolatriques vénérées depuis le XIXe siècle.
Concernant la structure de l’ouvrage : deux chapitres de présentation en précèdent huit autres qui établissent le bilan de notre société ecclésiale de l’époque et situent la position d’Anne Soupa et Christine Pedotti.
Les revendications de cet ouvrage sont fortes et pointent de vraies questions.
Les autrices aspirent à sortir de la « presbytérocratie » et d’un cléricalisme d’un autre âge, qui vide nos églises en distribuant mal les rôles. Elles ne contestent pas l’existence des prêtres ni leur action, mais leur « omnipotence ». Elles rappellent simplement que « l’Église n’est faite ni exclusivement de prêtres, ni pour les prêtres ».
Alors, fortes d’un travail approfondi sur le baptême, A. Soupa et Chr. Pedotti revendiquent pour tous les laïcs une entière liberté de parole et de pensée. Elles souhaitent « rendre au peuple de Dieu, c’est à dire à tous les baptisés, une véritable place dans toute l’économie ecclésiale et pour cela, « il ne s’agit pas d’obéir au pape, à son directeur spirituel ou au Catéchisme de l’Église catholique, il s’agit de nous laisser ajuster, modeler par la parole de Dieu.»
Le premier but de cet ouvrage veut rappeler que « le Christ est présent au monde non par le biais de quelques professionnels spécialisés dans la célébration du culte, mais par son corps vivant, l’Eglise, constituée de tous les baptisés [4]». En somme, il s’agit de revenir au plus près des constitutions du Concile de Vatican I
Il n’y a donc rien de franchement révolutionnaire, défaitiste ou de désespéré dans ce qu’il convient pourtant d’appeler un combat et personne ne pourra contester à ces pages leur entière fidélité évangélique. Comme l’écrit Monique Hébrard, «Anne et Christine aiment l’Église, et savent de quoi elles parlent car bien que portant une jupe, elles sont aussi formées qu’un clerc et elles pensent juste.[5] »
Leur analyse d’une recherche de sécurité dans les « miroirs du passé » montre avec clarté qu’il s’agit d’une voie sans issue et qu’en effet « si l’on persiste en haut lieu à exalter la figure “surnaturelle” du prêtre, à insister sur sa distinction d’avec le “vulgaire” en réinstallant une ancienne phraséologie sacrale, on recrutera des jeunes gens d’une sensibilité religieuse… archaïque[6] » qui se prennent pour des « lieutenants de Dieu » et qui se croient chargés de l’autorité comme étant en lieu et place du Christ, oubliant que le Christ n’a jamais revendiqué de telles prérogatives temporelles… C’est à juste titre qu’Anne Soupa et Christine Pedotti soulignent que les paroissiens ne sont pas les « fidèles » du curé mais du Christ. Les années à venir révèleront les conséquences tragiques d’une telle dérive.
La CCBF ne se veut ni un mouvement, ni un groupe de pression, ni une spiritualité[7]… Il se donne pour mission de « veiller au maintien d’un catholicisme à la fois critique et ouvert » avec comme mots d’ordre : « Ni partir, ni nous taire ». « Ne rien demander et espérer tout. »
Une fois dressé le constat de faillite, pointé le fait que la règle de l’incardination, qui voudrait que les prêtres soient en symbiose et au service de la communauté dont ils sont issus, a fait long feu, et rappelé que « l’héritier naturel à travers la figure des Douze est le peuple entier[8]», que proposent nos deux autrices ? Une conversion radicale, objet du chapitre 8 qui exige de redonner aux laïcs un rôle central au sein de l’institution ecclésiale.
Il faut rendre hommage à ce témoignage qui traduit avec justesse ce que vit le Peuple de Dieu qui n’a pas disparu, même s’il s’éloigne un peu de ses églises.
Le désir de donner une meilleure représentation des laïcs-fidèles du Christ dans toutes les instances de l’Église, c’est à dire dans la liturgie, la prédication, l’annonce de l’Évangile, la présidence des communautés et le gouvernement paroissial, national et romain rejoint une authentique revendication de très nombreux laïcs impliqués dans la vie de leur paroisse.
Mais il est en même temps certain que le chemin sera long pour que les baptisés redeviennent sensibles à cette mission que les clercs ont confisquée depuis des siècles.
N’appartenant plus à une culture fondée sur l’obéissance silencieuse, le peuple de Dieu n’adhérera plus jamais aux injonctions de soumission adressées par d’autoproclamés détenteurs de la parole de Dieu. C’est devant cette évidence qu’Anne Soupa et Christine Pedotti convoquent tous les membres du Christ, tous les baptisés, à retrouver le sens de la communion et de l’implication.
Leur interpellation rejoint celle de Joseph Moingt à propos des femmes dans son dernier article paru dans Etudes :
« La plupart des femmes dévouées à l’Église sont loin d’ambitionner le presbytérat ou de revendiquer du pouvoir ; cela ne les empêche pas d’être blessées par la méfiance dont elles se sentent l’objet (…) Ces femmes, qui ont pu être ou sont encore en poste de responsabilité également dans la vie civique ou professionnelle, voient bien que l’Église n’est pas prête à leur concéder les droits et compétences équivalents à ceux qu’elles ont acquis dans la société. Plusieurs, découragées, s’en vont ; beaucoup d’autres, qui fréquentaient l’Eglise sans s’être mises à son service, humiliées des interdits et des exclusions qui frappent leur sexe, la quittent, et son refus de leur reconnaître une « citoyenneté» de plein exercice ne fait qu’accroître l’hémorragie dont elle risque de mourir. [9]»
Ce livre ne trahit jamais ses fondements placés dans le prologue : la volonté de vivre la foi en disant « nous croyons » plutôt que « je crois » et l’envie d’œuvrer à un meilleur avenir pour le christianisme afin de rendre le monde plus hospitalier.
Relu plus de dix ans après sa parution, ce livre permet de mesurer à quel points les recommandations actuelles de la CIASE sur l’intégration des laïc.ques et particulièrement des femmes, étaient connues et auraient mérité d’être entendues plus tôt…
[1] Anne SOUPA, Christine PEDOTTI, Les pieds dans le Bénitier, Paris, Presse de la Renaissance, 2010, 269p, p 36-37
[2] Anne SOUPA, Christine PEDOTTI, Les pieds dans le Bénitier, op. cit. p 35
[3] Anne SOUPA, Christine PEDOTTI, Les pieds dans le Bénitier, op. cit. p 69
[4] Anne SOUPA, Christine PEDOTTI, Les pieds dans le Bénitier, op. cit. p 85
[5] Monique HÉBRARD, »Il faut rendre aux baptisés ce qui leur revient… », in http://www.baptises.fr/conference-des-baptises-de-france/ministeres/esperance/les-pieds-dans-le-benitier/
[6] Anne SOUPA, Christine PEDOTTI, Les pieds dans le Bénitier, op. cit. p 123-124
[7] Cf p 150
[8] Anne SOUPA, Christine PEDOTTI, Les pieds dans le Bénitier, op. cit. p 175
[9] Joseph MOINGT s.j., « Les femmes et l’avenir de l’Église », Études N° 4141, Paris, SER. SA, (Janvier 2011), [p 67-76], p 71