Séquence 2 : Que fête-t-on à Pâques ?

Par Anne Soupa et Sylvaine Landrivon

Ci-dessous le lien pour voir la vidéo :

https://youtu.be/nf3IwmTIAEU

1/ Sylvaine Landrivon

Que fête-t-on à Pâques ?

La petite Pauline a une idée : « on fait la fête pour trouver des œufs dans le jardin ». « C’est idiot, répond Baptiste, c’est parce que Jésus est vivant ; et sa sœur aînée désabusée réplique: « mais non c’est parce que Jésus est RESSUSCITE ! »

Nous allons voir que l’on peut trouver un sens aux œufs, à partir de la fête païenne – puis nous verrons la Pâque juive et comment Jésus intègre pour nous, le schéma de la Pâque juive dans un “passage” qui le fera traverser la mort.

D’abord un rite de bergers nomades

Le nom de Pâque est connu comme étant celui d’une fête juive et chrétienne. Il s’agit au départ d’un vieux rite de bergers nomades. Au moment où naissent les chevreaux et les agneaux, au début du printemps, les bergers consommaient solennellement un animal de l’année précédente aromatisé d’herbes cueillies dans la steppe environnante et accompagné de galettes non levées, en attendant le levain de l’année nouvelle.

Le but était de célébrer le « passage » de l’année finissant avec l’hiver à la nouvelle apparition de la vie qu’annonçaient la montée de la sève dans les végétaux, la naissance du petit bétail. On fête le retour du printemps, en offrant des œufs peints, signes de vie à venir. C’est une coutume qui perdure depuis des millénaires. La vie revient. Pauline a raison, c’est la fête.

A partir du culte du Dieu Unique, cette célébration du cycle des saisons va se transformer, et va intégrer ce que l’on nommera le « mémorial de l’Exode ».

Comme dans toutes les cultures, les fêtes se greffent sur d’autres qui les ont précédées, et souvent pour célébrer des événements qui ont des liens les uns avec les autres. Par exemple, Noël est fêté fin décembre non pas parce que la naissance réelle de Jésus se serait produite à ce moment précis de l’année, mais parce qu’il est la lumière apportée au monde et qu’avec le solstice d’hiver, il est important de croire en la force de la lumière. D’où la proximité avec Hannoukah, la fête juive de la lumière, et avec d’autres anciennes fêtes païennes du solstice, sous nos latitudes.

Il en va de même pour Pâque(s). Son nom viendrait de passah qui, au sens figuré, signifie « passer ». Il va évoluer en hébreu pour se dire pesah. Et du passage de la mort hivernale au retour de la vie avec le printemps, elle va bientôt signifier un autre passage pour le peuple de Moïse.

Le bibliste Hugues Cousin explique que, « comme les semaines sont rythmées par le Shabbat, l’année juive est rythmée par des fêtes, qui, pour la plupart, commémorent des interventions de Dieu dans l’histoire de son peuple.[1] ».

Toutes les fêtes mentionnées dans la Torah sont des « rendez-vous » (mo’ed) que Dieu fixe avec son peuple. Ce sont des fêtes pour Dieu, à qui des sacrifices précis doivent être offerts. Et elles sont chômées, parce que l’être humain se rend maître et possesseur du monde par son travail, or le temps de fête veut signifier que tout est à Dieu. Et c’est une occasion de joie.

Pesah fait partie des trois fêtes de pèlerinage avec Shavuot (fête des moissons /cf Ruth = Pentecôte 16-18 mai cette année) et Sukkot (fête des cabanes en septembre commémore la fin de l’Exode). Comme tout juif, Jésus a célébré ces fêtes de pèlerinage, et de même, la première Église.

Selon les évangiles, trois fois par an dès l’âge de 12 ans, Jésus est monté au temple pour Pesah (cf Lc 2,41-50 ; Jn 2,12) : il y est venu aussi pour Shavuot (probablement la fête mentionnée en Jn 5,1) et le chapitre 7 de Jean nous le situe à la fête de Sukkot (Jn 7,1-39).

Nous allons nous centrer sur la fête de Pesah mais il ne faudra pas la dissocier de la célébration d’une autre fête : celle des Azymes (le fameux rite agraire) car l’une et l’autre sont liées à la loi sur les premiers-nés (Ex 13,1s). Ce lien s’imbriquera dans le récit de la dixième plaie (Ex 11) qui atteint les premiers-nés d’Égypte alors que le fléau épargne les premiers-nés des Hébreux grâce à la présence du sang d’un agneau sur les linteaux de leurs portes. Nous effleurons déjà l’importance de mettre en lien la Pâque juive et celle des chrétiens. Nous allons développer.

La pâque juive

Le texte biblique contenant l’institution de rituels dont il est impératif de se souvenir, se situe dans la section 12,1/13,16 du livre de l’Exode. Le passage sur lequel se fonde la Pâque et son rituel se place au début du chapitre 12 du livre de l’Exode :

« Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron dans le pays d’Égypte : Ce mois sera pour vous en tête des autres mois, il sera pour vous le premier mois de l’année. Parlez à toute la communauté d’Israël et dites-lui : Le dix de ce mois, que chacun prenne une tête de petit bétail par famille, une tête de petit bétail par maison. Si la maison est trop peu nombreuse pour une tête de petit bétail, on s’associera avec son voisin le plus proche de la maison, selon le nombre des personnes. Vous choisirez la tête de petit bétail selon ce que chacun peut manger. La tête de petit bétail sera un mâle sans tare, âgé d’un an. Vous la choisirez parmi les moutons ou les chèvres. Vous la garderez jusqu’au quatorzième jour de ce mois, et toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’égorgera au crépuscule. On prendra de son sang et on en mettra sur les deux montants et le linteau des maisons où on le mangera. Cette nuit-là, on mangera la chair rôtie au feu ; on la mangera avec des azymes et des herbes amères. N’en mangez rien cru ni bouilli dans l’eau, mais rôti au feu, avec la tête, les pattes et les tripes. Vous n’en réserverez rien jusqu’au lendemain. Ce qui en resterait le lendemain, vous le brûlerez au feu. C’est ainsi que vous la mangerez : vos reins ceints, vos sandales aux pieds et votre bâton en main. Vous la mangerez en toute hâte, c’est la Pâque du Seigneur. Cette nuit-là je parcourrai l’Égypte et je frapperai tous les premiers-nés dans le pays d’Égypte, tant hommes que bêtes, et de tous les dieux d’Égypte, je ferai justice, moi le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous vous tenez. En voyant ce signe, je passerai outre et vous échapperez au fléau destructeur lorsque je frapperai le pays d’Égypte. Ce jour-là, vous en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour le Seigneur, dans vos générations vous la fêterez, c’est un décret perpétuel. »

Dans la suite de ce chapitre, une autre formulation du rituel pascal montre que ce rite du sang lié à la sortie d’Égypte, viendra s’intégrer au mémorial (zikkarôn) du salut promis par Dieu et fédérera les différents clans qui constitueront son peuple.

La date du rituel de la Pâque est fixée par le Deutéronome au début du chapitre 16 : « Observe le mois des Epis, et célèbre la Pâque pour le Seigneur ton Dieu, car c’est au mois des Epis que le Seigneur ton Dieu t’a fait sortir d’Égypte, la nuit. » (Dt 16,1)

Entre autres souvenirs du lien avec l’antique tradition nomade, la Bible prescrit de manger de la viande « rôtie au feu avec des azymes et des herbes amères », mais la fête va désormais commémorer la délivrance du peuple d’Israël soumis à l’asservissement en Égypte.

Revenons à l’histoire : Le peuple d’Abraham et Jacob a dû quitter des terres infertiles en de longues périodes de famine, et s’est rassemblé nombreux en Égypte où il a vite été réduit en esclavage. Les conditions sont terribles ; et Dieu, par la main de Moïse, veut sauver son peuple et lui rendre sa liberté. Il va frapper ses bourreaux et lui donner assistance et force, afin de lui permettre de revenir dans son pays.

La Bible raconte comment la Pâque juive correspond au « passage » de Dieu, qui passa par-dessus les maisons des Israélites en frappant celles des Égyptiens.

Le livre de l’Exode 12, 26-27 le reprend ainsi : « Et quand vos fils vous diront : Que signifie pour vous ce rite ? Vous leur direz : C’est le sacrifice de la Pâque pour YHWH qui a passé au-delà des maisons des Israélites en Égypte, lorsqu’il frappait l’Égypte, mais épargnait nos maisons. »

Première notion de « passage ».

L e contenu de la célébration évolue et adjoint la fête des Azymes, Massot (Dt 16,3-4)[2]Ainsi, les fêtes de Pesah et des Azymes commémorent le Dieu libérateur qui a fait sortir son peuple d’Égypte. Elles se célèbrent à la veille de la pleine lune, le 14 Aviv (Aviv qui deviendra plus tard le mois de Nisân). Elles se fêtent par l’offrande d’un agneau (la Pâque selon Ex 12,1-11) et par l’apport de la première gerbe d’orge, qui sert à la fabrication de pains sans levain, les Massot (Ex 13,3-10 ; 34,18).

Vient alors un second passage, en forme de traversée : Ex 14, 19-22 :

« L’Ange de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël se déplaça et marcha derrière eux, et la colonne de nuée se déplaça de devant eux et se tint derrière eux. Elle vint entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. La nuée était ténébreuse et la nuit s’écoula sans que l’un puisse s’approcher de l’autre de toute la nuit. Moïse étendit la main sur la mer, et YHWH refoula la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il la mit à sec et toutes les eaux se fendirent. Les Israélites pénétrèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux leur formaient une muraille à droite et à gauche. »

Par une description très ritualisée, fondée sur cette sortie d’Égypte, nous comprenons que le passage s’annonce et se réalise selon un schéma d’efforts de libération.

Grace à une assistance extérieure divine, il s’agit de quitter un monde de peine, pour accéder à un autre plus lumineux, mais peut-être plus exigeant aussi en termes de responsabilisation. Livré à lui-même et libre de choisir son devenir, le Peuple de Dieu va devoir assumer ses décisions et se confronter aux tentations (celle du veau d’or quand il se sent abandonné, et toujours pour tout humain, chacun à son niveau, celle du pouvoir dans des guerres intestines…).

Nous constatons qu’une évolution s’opère alors sur le plan religieux et sur le plan politique. L’objet du “rituel du sacrifice” sera de “faire mémoire” de la libération d’Égypte, et ce sacrifice est réalisé « seulement au lieu choisi par le Seigneur ton Dieu pour y faire demeurer son nom » (Dt 16, 6)

Tout se centralise à Jérusalem et est contrôlé par le pouvoir politique. La fête de Pâque prend alors le caractère d’une “fête nationale” (2 R 22-23)[3]. Elle manifeste pour le croyant l’unité du peuple à Jérusalem.

Depuis, la délivrance s’actualise pour le peuple hébreu dans une Pâque annuelle, avec beaucoup d’importance accordée au sens de libération, chaque fois qu’Israël subit de nouvelles servitudes : sous le joug assyrien vers 710, ou babylonien en 592 avant notre ère. La Pâque juive revêt donc un sens très riche (qu’explique le Targum d’Exode 12.42) : Israël tiré de l’esclavage évoque le monde tiré du chaos, l’humanité tirée de sa misère.

Il y a donc toute une démarche d’actualisation dans l’institution du rituel de la Pâque juive. En faisant mémoire de la libération d’Égypte, en mangeant l’agneau pascal avec des pains sans levain comme l’avaient fait ses pères au moment de quitter l’Egypte, chaque juif devient héritier spirituel de cette libération. C’est un « mémorial », c’est-à-dire un récit qui accomplit ici et maintenant, ce qu’il raconte. Ainsi le mémorial intègre les participants à l’événement comme s’ils y avaient été. Comme le précise Dt 5,3, c’est chaque génération qui sort de servitude et entre en terre promise : « Ce n’est pas avec nos pères qu’YHWH a conclu cette alliance mais avec nous, nous-mêmes qui sommes ici aujourd’hui tous vivants. »

Odette Mainville l’exprime autrement [4]: «Faire mémoire, cela ne se résume pas à se rappeler passivement, c’est faire advenir ce qui est derrière cette mémoire. C’est faire vivre. Le lieu de mémorial devient un lieu d’engagement. »

Cette manière de rendre actuel un événement de l’histoire se retrouvera dans notre liturgie catholique avec le sacrement de l’eucharistie. La célébration eucharistique rend la Cène présente en la re- présentant. En quelque sorte, elle rend les chrétiens de tous les temps, contemporains de la Croix. Et comme le rappelle le CEC (N° 1363) la célébration « ne renouvelle pas celle-ci, elle renouvelle les croyants dans leur participation au mystère de la Croix ».

Anne vous exposera en détail la liturgie de la Pâque chrétienne car les chrétiens vont célébrer, eux aussi, une pâque annuelle qui donne à la pâque juive un contenu nouveau.

À côté de la Pâque juive, vient la Pâque chrétienne.

Il est important de mettre en évidence le lien entre la Pâque juive et celle que nous célébrons, car la mort de Jésus ne survient pas n’importe quand dans le calendrier juif. Sa Passion a lieu dans le contexte précis du temps de Pâque. Jean le signale clairement à plusieurs reprises : « La Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. » (Jn 2,13) ; « la Pâque, la fête des Juifs, était proche. » (Jn 6,4) ; « la Pâque des Juifs était proche et beaucoup de gens montèrent de la campagne à Jérusalem, avant la Pâque, pour se purifier. » (Jn11,55). Et dans cet évangile, Jésus meurt le jour même de la fête de Pesah.

Ainsi le lien symbolique est immédiat.

Jésus devient le véritable agneau pascal  et les Ecritures nous le rappellent : Jean Baptiste l’annonce dès Jean 1 : « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » (Jn1,29 ; 1,36) ; Pierre le rappelle dans sa Première épître :« vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre héritée de vos pères, mais par un sang précieux, comme d’un agneau sans défaut et sans tache, celui du Christ » (1Pi 1,19)

Et Jésus devient cet agneau immolé au moment même où, dans le temple, sont sacrifiés les agneaux destinés à la célébration de la Pâque.

Les rappels à la Pâque du Premier Testament sont clairs dans la mise en scène et la transmission du récit de la mort de Jésus : « Car cela est arrivé afin que l’Écriture fût accomplie : Pas un os ne lui sera brisé » (Jn 19,36) qui cite Ex 12,46 : « On la mangera dans une seule maison et vous ne ferez sortir de cette maison aucun morceau de viande. Vous n’en briserez aucun os » et nous renvoie aussi au Psaume 34 « YHWH garde tous ses os, pas un ne sera brisé » (Ps 34,21).

Dans cette Pâque, Jésus prend la place de la victime et effectue pour nous son propre exode, son « passage », de ce monde au Royaume de son Père (Jn 13,1).

Comme les juifs, les chrétiens fêtent eux aussi une délivrance. Mais la libération dont il s’agit n’est plus celle de l’asservissement par un peuple étranger, c’est celle du péché et de la mort. Avec et par le Christ mort et ressuscité, le chrétien entre dans une vie nouvelle.

Paul l’explique dans sa lettre aux Romains : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6,4).

Nous l’avons esquissé lors de la séquence précédente, les chrétiens ont rarement conscience du symbole de mort que comporte le baptême. Il s’agit d’une première traversée avec un anéantissement dans l’eau (baptême vient du grec baptizô, qui signifie «plonger») qui vise à faire renaître le nouveau chrétien dans la lumière proposée par le Christ. Ainsi régénérés par une nouvelle naissance, le chrétien accède au mystère pascal* qui s’illuminera par la rencontre ultime avec leur Seigneur, la Pâque terrestre préparant cet ultime « passage » vers l’au-delà.

*L’expression « mystère pascal » employée ici englobe plusieurs sens. Elle dit : « d’un point de vue historique l’événement de la mort et de la résurrection du Christ ; d’un point de vue liturgique, l’ensemble des rites qui célèbrent cet événement : chaque année lors de la Pâque, et chaque jour dans l’eucharistie.[5] »

Cette fête va très vite devenir le centre de la foi et de la liturgie catholique. Et peu à peu son nom va s’orthographier au pluriel. Anne vous l’a dit la semaine dernière, il est bien difficile de savoir pourquoi. Une hypothèse fournie par Karl Rahner, dans le Petit dictionnaire de théologie catholique est la suivante :

« La fête pascale de la communauté chrétienne commémore à la fois l’institution de l’ancienne et de la nouvelle alliance (nuit pascale). » Cette association des deux fêtes expliquerait d’une certaine façon la forme plurielle du mot Pâques. Rien n’est certain.

Mais une question se pose : est-ce au cours de cette fête de Pâques que Jésus a institué ce qui deviendra l’Eucharistie, durant le repas que nous appelons la Cène ?

Ce repas de Jésus et de ses amis a été introduit par la bénédiction rituelle juive sur le vin et le pain prononcée par Jésus. C’est globalement ce que redit le prêtre à la messe. Dans celle-ci, comme dans la bénédiction juive, les aliments sont désignés par un geste qu’une parole vient expliciter avant d’être consommés.

Beaucoup de points communs ont été relevés entre l’Eucharistie et ce que nous transmet la fin de la Haggadah (de n.g.d = récit) dans la célébration de Pesah.

Le mémorial du Seigneur comporte les trois dimensions de tout acte de mémoire, aussi bien dans la liturgie eucharistique, que dans la bénédiction de rédemption qui suit la première partie du Hallel.

Ces trois orientations nous réfèrent à la Pâque du Christ et correspondent à :

  • l’évocation du passé : la nuit qu’il fut livré
  • une actualisation dans le présent : ceci est mon corps pour vous, ceci est la nouvelle alliance;
  • et l’attente de la réalisation définitive : chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne.

Il faut donc voir à quel point la nouveauté chrétienne s’inscrit dans une continuité. La résurrection du Christ célébrée à Pâques conduit la Pâque juive à son universalité.

Mais en quoi donc le schéma Passion-mort-résurrection du Christ répond-il à ce que nous avons mis dans la définition d’une Pâque reçue comme passage transformant et libérateur ?

Jésus, le Verbe de Dieu venu dans le monde pour nous sauver, a assumé sa vie humaine jusqu’à la mort infamante et injuste, puis il est ressuscité et monté vers son Père qui est Notre Père, pour nous préparer une place dans le Royaume. Il s’agit bien d’un passage mais de quoi est-il vraiment question à Pâques ?

Il faut peut-être voir dans ce moment, l’acte d’amour toujours déjà donné pour l’être humain faillible que nous sommes chacun. Car la libération de Pâques, c’est nous qui en sommes les bénéficiaires, comme l’ont été les Hébreux à la sortie d’Égypte.

Nous verrons en détail le sens de la croix la prochaine fois. Là, il s’agit d’apercevoir le mouvement global d’un Dieu qui se baisse pour venir au secours de ses enfants afin de les aider à se relever, de les aider à traverser, pourrions-nous dire pour poursuivre la métaphore.

Le prophète Osée a décrit cet amour maternel divin : « Et moi j’avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par les bras,  (…) Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour ; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger. » (Os 11,3-4). Osée sait rendre Dieu féminin.

Jésus, lui, se fait serviteur, il lave les pieds de ses amis. Cette illustration nous rappelle qu’il a fait bien davantage pour nous : il a choisi notre condition humaine pour nous permettre de devenir fils et filles du Père, partageant avec nous sa propre filiation divine. Et c’est ainsi qu’il nous veut, non plus vaincus par la faute, baissant le front, mais debout. Il faut entendre ici les admirables paroles de saint Irénée qui écrit dans la Démonstration apostolique (38) : « Il montra sa résurrection, devenant lui-même premier-né des morts et relevant en lui-même l’homme tombé à terre, en l’élevant en haut dans les parties supérieures du ciel à la droite de la gloire du Père. »

Par l’abaissement et l’élévation du Christ, la vocation de l’être humain n’est définitivement pas de se laisser humilier, de vivre courbé ou à genoux. Pour Irénée, le Christ est venu faire sortir l’homme de sa condition « étendue », « vautrée » dans le péché et dans la mort qui le clouaient au sol, pour lui rendre la liberté de se redresser.

C’est dans sa verticalité que la résurrection ouvre le chemin à une re-création humaine.

Et c’est là que se trouve le cœur de Pâques : avec la venue du Verbe parmi nous, le premier humain est re-créé, par le don du Fils et par l’œuvre de l’Esprit. Le salut ainsi offert ouvre à une nouvelle naissance qui nous restitue chacun comme « image du Père ».

C’est ce qu’Irénée appelle notre chemin de divinisation et qui lui fait dire : « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu » (A.H. IV,20,7), montrant que dans cette traversée transformante de la vie humaine, c’est toujours l’être humain qui est sujet de la vie de Dieu et de son amour.

Nous verrons la prochaine fois ce qu’il en coûte à la Trinité de nous ramener dans les voies du salut

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[1] Hugues Cousin, Éditorial, Les fêtes juives. Supplément au Cahier Évangile N° 86, Paris, Cerf, 1993

[2] Dt 16, 3-4 : « «  Tu ne mangeras pas à ce repas du pain levé ; pendant sept jours, tu mangeras des pains sans levain -du pain de misère, car c’est en hâte que tu es sorti du pays d’Égypte – pour te souvenir, tous les jours de ta vie, du jour où tu es sorti du pays d’Égypte. On ne verra pas de levain chez toi, dans tout ton territoire, pendant sept jours ; et de la viande que tu auras abattue le soir du premier jour, rien ne passera la nuit jusqu’au matin. »

[3] JacquesPirenne , Civilisations antiques. La société hébraïque d’après la Bible, Paris, Albin Michel, 1965, p.121.

[4] Odette Mainville est professeure en exégèse du Nouveau Testament à la faculté de théologie et de science des religions de l’Université de Montréal.

[5] Dictionnaire critique de théologie, Jean-Yves Lacoste Dir., Paris, PUF Quadrige, éd. 1998, p.853.

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    2/ Anne Soupa : Que fête-t-on à Pâques ?

La fête de Pâques n’est ni un spectacle, ni un concert, ni un tribunal, ni un voyage interstellaire, c’est un événement. Cet événement n’est pas anodin. S’il glisse sur nous comme sur les plumes d’un canard, c’est que le rendez-vous est raté. Mon ambition, ce soir, est donc de vous montrer que le rendez-vous est possible, et qu’il vaut la peine.

Comme vous l’a montré Sylvaine, la fête de Pâques est un acte de remémoration. Une remémoration n’est pas un simple souvenir. Elle ne se contente pas d’évoquer. Elle « fait mémoire ». Faire mémoire est une action que nous avons du mal à comprendre parce que notre conception du temps, à la différence de celle des Juifs, met une coupure nette entre le passé et le présent. Pourtant, notre mémoire travaille, elle colore notre présent. Pouvoir s’appuyer sur ma mémoire, savoir comment le faire, élargit mon assise et m’en priver m’appauvrit. Aussi, dans la liturgie juive, la mémoire est un acteur clé. Elle actualise, elle rend présent l’événement source, et elle permet d’intégrer le nouveau venu dans une histoire fondatrice qui devient la sienne. Comment ? Par le récit, par les gestes d’engagements des personnes qui sont présentes. Alors, le récit source devient le mien. Moi aussi, j’ai traversé la Mer avec Moïse. Vous comprenez donc mieux pourquoi il est finalement de peu d’importance que les Hébreux opprimés aient ou non traversé la Mer, à la manière dont une agence de presse relaterait l’événement. Et pourquoi nous insistons sur la portée anthropologique de la Pâque. Pâque épouse le mouvement même de ma vie. Si ce n’est pas vrai, je perds mon temps, et ce que je pourrais dire ne tient pas debout.

Vivre la Pâque, c’est donc raconter l’événement source, la Passion de Jésus, terme qui englobe mort et résurrection, à partir de ce que la liturgie nous en offre. Cela n’est pas évident pour les femmes, qui sont quasiment privées de toute responsabilité liturgique, et ne disposent donc pas de modèles sur lesquels s’appuyer.

La liturgie est « l’action du peuple ». Le peuple, en priant, exprime sa foi, à chaque fois qu’il ouvre les mains, qu’il chante, qu’il reprend les paroles d’un psaume. Ceci pour dire qu’il est vital pour les chrétiens de disposer d’une liturgie signifiante, riche, dans laquelle peut se dire leur foi. Si la liturgie est sèche ou insignifiante, il s’en va. Et en partant, il dit que sa foi vaut mieux que ce qu’on lui offre. Si Pâques est notre salut, la liturgie doit l’exprimer et l’annoncer. Il est donc logique, vital, même que la liturgie pascale soit hautement signifiante. Et, comme pour renforcer ce préambule, la liturgie de la Semaine Sainte est d’une incroyable richesse. C’est l’un des hauts lieux du patrimoine spirituel occidental.

wetransfer-f112d6 La liturgie de Pâques nous enseigne une libération de la mort. Qu’est-ce que la mort : mort physique ? Spirituelle ? (Genèse 2 « si vous en mangez, vous mourrez »). Il reste que la mort de Jésus n’est pas feinte. Jésus ne fait pas semblant de mourir, comme le croient les docètes. Ns sommes donc amenés, nous chrétiens, à reconnaître que nous fêtons quelque chose qui se libère dans la mort physique. Quelque chose qui nous met en décalage avec notre société. Il y a une acceptation chrétienne de la mort physique. Est-ce la consolation de voir se succéder les générations ? (Jn 12, 24, si le grain ne meurt). Est-ce un amour qui ne peut se dire que par le don total, celui de la vie (Jn 13) ? Cette acceptation de la mort repose une certitude, celle de fêter « la mort pour la vie » et non « la mort pour la mort ».

Vous savez que les 4 récits de la Passion ont des caractéristiques très différentes. Jean omet le récit de la Cène et le remplace par le Lavement des pieds ; les synoptiques situent la Cène en coïncidence avec le repas pascal, tandis que Jean fait coïncider la mort de Jésus avec la Pâque juive. Les récits d’apparition sont unanimes sur la présence des femmes, mais donnent des certaines informations parfois peu conciliables.

Dès la paix de l’Église, au 4e siècle, la fête de Pâques s’est déployée sur la base d’une semaine. La Grande Semaine, temps de recréation construit sur le modèle des 7 jours de la Création en Genèse, selon ce qu’avait déjà fait l’évangéliste Jean en construisant le mystère pascal en 7 jours. C’est la pélerine Egérie, une voyageuse venue d’Aquitaine jusqu’à Jérusalem, qui a écrit son journal de voyage où elle raconte comment est célébrée Pâques à Jérusalem au 4e siècle. On y voit en particulier mention des 3 derniers jours, appelés le Triduum.

Ce que va nous demander la liturgie, c’est d’être là, au sens fort d’une présence d’être. Je crois que c’est la qualité essentielle que nous ayons à manifester pendant ces célébrations de Pâques. Si ces trois jours sont des événements, notre corps est mobilisé, puisqu’il est invité à passer. Entrons donc de bon coeur lorsqu’il va s’agir de marcher, de péleriner dans l’église, d’embrasser, d’allumer le feu, de nous laver, et de chanter, par-dessus tout, oui, de chanter. Être là, mais authentiquement là, de toutes nos facultés. Me demander si j’assume chaque mot du psaume que je prononce… Ne pas vouloir se mettre « à la place de Jésus », ce qui est un non-sens, quand nous dormirons dans notre lit le soir même, mais accepter d’être le destinataire lointain du don de sa vie par Jésus. Nous ne sommes pas à Oberammergau, ni à Séville, dans un spectacle, mais, à notre place de croyants, nous sommes des acteurs. Et là, la ferveur, même si elle a sa place, ne suffit pas : c’est la foi qui est notre viatique.

Selon les lieux, les célébrations diffèrent. La plupart des paroisses assurent la messe du Jeudi Saint, la Cène, l’office de la Croix, le Vendredi, la veillée pascale du Samedi Saint et la messe du jour de Pâques, le dimanche matin.

Á Sylvanès, dans l’Aveyron, il existe une liturgie de la Semaine sainte très élaborée, construite sur le lectionnaire dominicain, sur une musique écrite par le frère dominicain André Gouzes. C’est cette liturgie que je vais maintenant raconter, parce que je l’ai suivie pendant des années. Chacun des trois jours a un relief particulier, chacun conduit à Pâques avec un art consommé, qui exhausse leur signification profonde. La journée commence par un « Office des Ténèbres », ainsi appelé parce qu’il était célébré de nuit dans les monastères. Il est découpé en trois nocturnes qui alternent lectures de psaumes, prières, chants, textes bibliques, textes patristiques, entrecoupés par l’extinction progressive des cierges jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, celui du Christ seul devant sa Passion. L’exercice paraît rude le jeudi, tant nous sommes rouillés ; mais le samedi, nous ne voyons pas passer les 2 h de l’office.

Le second grand office de chacun de ces 3 jours est la célébration du soir. Celle du Jeudi Saint fête la Cène, mémorial du don de son corps et de son sang par le Christ. La liturgie réunit là le récit de la Cène des synoptiques (le seder de la Pâque juive) et le Lavement des Pieds de Jean. Avec Jésus, ce repas prend une couleur particulière : il devient l’anticipation du banquet de la fin des temps, omniprésent dans la spiritualité juive. C’est un jour de fête, de joie, le Jeûne du carême est rompu, et dans les églises, tout doit être beau. L’église est décorée avec des fleurs des champs, des branchages verdoyants, une belle nappe blanche disposée dans toute la longueur du bâtiment, beaucoup de lumière…

La liturgie s’appuie sur les deux gestes dont l’être humain a le plus besoin : manger et parler. La communion des fidèles se fait avec le Corps et le sang du Christ et Jésus, qui demain sera silencieux, parle. Il dit tout ce dont l’être humain a besoin, au seuil de la mort, pour passer comme un vivant qui s’accomplit.

Au début du repas, dans la pièce à l’étage, garnie de coussins que Pierre et Jean ont fait préparer (Lc 22, 12), Jésus dit : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir, car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le Royaume de Dieu » (Lc 22, 15-16).

Je reviendrai la semaine prochaine sur la question du don de sa vie par Jésus, mais je voudrais juste souligner ce soir que Jésus désire « manger la Pâque avec vous ». Littéralement, Jésus veut « manger le passage ». Il a besoin d’être porté par sa tradition, celle du repas pascal. Son travail de remémoration est intense. Jésus veut être avec ceux qu’il aime. Je pense à la chanson de Jacques Brel « Á mon dernier repas », où le chanteur convoque ses amis.

Jésus annonce alors sa souffrance à venir. Sa souffrance est annoncée, identifiée, assumée. Jésus n’est pas surpris.

J’admire ici l’art de passer de Jésus. Quelle extraordinaire leçon de vie ! On ne passe bien les épreuves de la vie que porté et relié. Jésus est relié, non seulement aux amis présents, mais à l’humanité qui suivra parce qu’elle aura écouté ses paroles : « Faites ceci en mémoire de moi ». Il est aussi porté. Nous venons au monde portés par nos mères et reliés à elle par un cordon. Ce cordon dit « ombilical », que très peu de gens voient car il est jeté sitôt expulsé, en fait, en réalité devrait être honoré, ne serait-ce qu’un instant, car il est l’ancêtre de tous nos liens.

Le second temps liturgique de la célébration du Jeudi Saint est le Lavement des Pieds. Juste après la lecture de l’Évangile, le célébrant, comme Jésus, « se lève de table, dépose ses vêtements et, prenant un linge, il s’en ceint. Puis il met de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples » (Jn 13, 4-5). Douze personnes -hommes et femmes- sont donc choisies dans l’assemblée pour qu’on leur lave les pieds. C’est un moment de grande intensité, où apparaît avec force que Jésus, lui le Fils de Dieu, est le serviteur de tous.

Á Sylvanès, à la fin de la messe du Jeudi Saint, mémorial de la première Cène, la réserve eucharistique, qui sera consommée le lendemain, est portée solennellement au reposoir, pour un moment de prière silencieuse qui coïncide avec le temps de l’arrestation au Jardin des Oliviers. Puis, l’assemblée retourne dans l’église et, en silence, elle dépouille l’église de tous ses ornements : les belles nappes, les fleurs, les chandeliers, et dans certaines églises, on recouvre même les images. Pendant ce temps, un récitant chante d’une voix grave le psaume 22, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » L’église se vide lentement et, de ce moment, chacun s’efforce de se tenir en silence pendant les deux jours suivants.

La tonalité liturgique du Vendredi est, nous le savons bien, totalement différente. Jésus descend dans les cachots du monde. Pour lui, la journée est, non seulement celle de la souffrance, des injures, des humiliations, et de la mort, mais celle où les liens si vantés la veille seront à l’épreuve des faits. Déjà Judas l’a livré aux grands prêtres, ensuite Pierre l’a renié devant la servante du grand prêtre. Le lendemain, lorsqu’il lui faudra monter sur cette croix, ses amis auront disparu, sauf Jean, sa mère et les femmes. L’épreuve des faits, elle crève les yeux : c’est l’omniprésence du mal. La seule portance, c’est celle de la Croix, la dernière reliance, c’est celle, hypothétique, avec son Père. Que penser de la parole du psaume 22 évoquée à l’instant ? Est-ce un véritable abandon de la part du Père, ou un cri de tristesse avant d’éprouver le salut de Dieu que la fin du psaume annonce ? L’Église ne tranche pas. Nous restons devant l’indécidable. L’office des ténèbres de ce jour est rude, les accords musicaux peu harmonieux, l’église froide et nue.

Le soir, pour la grande célébration de la Croix, les célébrants sont vêtus de rouge, couleur du sang et de la tunique de pourpre dont les soldats avaient revêtu Jésus. Improbable roi, selon eux ! Les célébrants se prosternent, les fidèles, exceptionnellement, s’agenouillent. Les lectures et la récitation chantée de la Passion sont suivies par une longue et très ancienne intercession, modèle de toutes les prières universelles, qui rassemble les intentions du peuple chrétien. Nul ne doit être exclu de cette longue intercession. Puis, solennellement apportée du fond de l’église, entre deux chandeliers, s’avance la croix, voilée de rouge, dévoilée en trois étapes. Ce rituel du dévoilement atteste d’un mystère qui se dévoile peu à peu, mais jamais complètement, sans doute. C’est pour le signifier que nous quittons nos bancs pour venir au plus près de la croix. Le baiser que nous lui donnons montre que nous « l’adorons », au sens premier du terme (« ad orare », porter à la bouche), pour montrer que nous adhérons au salut offert. Encore une fois, c’est notre corps qui, dans un geste très intime, est entraîné à s’en remettre à la croix. Après le chant des Impropères (reproches du Christ à son peuple : « O mon peuple, que t’ai-je fait ? Je t’ai libéré d’Égypte, et tu m’as donné du vinaigre »), le célébrant élève une dernière fois la croix au-dessus de toute l’assemblée, et celle-ci répond par son chant de louange devant cette croix aux bras ouverts sur le monde.

Voilà que Jésus, hier passant exemplaire, hier porté par sa tradition, se fait ce soir porteur. Porté par la croix, en réalité, il la porte, en portant le péché du monde, en mettant un arrêt à la propagation du mal, parce qu’il pardonne. L’assemblée peut alors réciter le « Notre Père » et communier au pain consacré la veille. Nous nous dispersons alors, sans geste, sans parole, sans fin structurée. C’est le temps du silence du tombeau.

Pourtant, dès 9 h, le samedi, le dernier office des ténèbres nous rassemble encore. La tonalité du Samedi saint est très particulière. En dehors de cet office, l’Église ne prévoit aucune autre liturgie, afin de marquer le caractère exceptionnel de cette journée où le Christ descend aux enfers pour visiter les tombeaux et libérer nos premiers parents. Au cours de la journée, l’espace de silence que nous maintenons en nous travaille nos cœurs, il nous libère de quelques unes des scories de superflu qui l’occupent et, dans le même temps, le tombeau se défait peu à peu de la mort qui l’encombrait. Il se fait espace d’attente jusqu’à l’inouï de Dieu qu’annoncera le crépitement du feu, dès que la nuit sera bien noire.

Á cette flamme vigoureuse, le célébrant allumera le cierge pascal. Ce cierge est un élément fondamental de la veillée pascale. Il symbolise le Christ illuminant la nuit des tombeaux.  Formellement, c’est lui qui annonce la résurrection. C’est pourquoi, en le voyant allumé, nous entonnons le Lucernaire, ce chant à la lumière (« Joyeuse lumière ») l’un des plus anciens chants de notre patrimoine vocal. Ce cierge est une vraie catéchèse. La croix y est peinte en rouge. Elle est percée de cinq trous qui recevront cinq grains d’encens représentant les cinq plaies du sacrifice (pieds, mains et côté). André Gouzes explique : « Ce par quoi le Christ a souffert et il est mort devient ce par quoi il rayonne la vie ». N’y voyons pas trace de dolorisme, mais la preuve d’un amour qui va jusqu’au bout. Dans les creux de la croix est inscrite l’année en cours, que l’on place sous la royauté du Christ, tandis qu’au-dessus et en dessous figurent l’alpha et l’omega grecs, qui attestent que le Christ est le commencement et la fin de toutes choses.

Une fois le cierge pascal allumé, les participants allument à sa flamme leur propre cierge. Le Christ nous transmet sa lumière, sa résurrection est prémisse de la nôtre. Quelle puissance dans ce geste !

Les fidèles entrent alors dans une église maintenue fermée et noire de toute autre source de lumière. Sans préalables, la célébration s’ouvre avec l’Exultet, un chant qui dit le débordement de la joie. Tout de suite, viennent les lectures, au nombre de sept, mais rarement toutes lues. Retenons les plus importantes : Genèse 1, Exode 15, Genèse 22 et Ezéchiel 37. Puis, de retour après 40 jours d’abstinence, une folie d’« Alleluia », « Louez Dieu », annoncent la lecture de l’Évangile de la nuit. Cette année, ce sera l’annonce de la résurrection en Marc, 16 1-7, puisque nous sommes dans une année Marc.

Un aspect essentiel de la nuit de Pâques est d’accueillir des baptêmes. Un baptême, c’est une plongée dans la mort et la résurrection de Jésus. Quoi de plus évident, de plus pédagogique alors, que de préparer les catéchumènes à recevoir le baptême au cours de la veillée pascale, au milieu de tant de signes ? L’Église s’est enrichie de ses nouveaux membres. Avec eux, elle se renouvelle.

Le lendemain, la liturgie aura un encore autre message à délivrer. Il sera question de la venue au tombeau de Pierre et Jean, du grand jour de la résurrection. Il ne sera, hélas, pas question de la rencontre entre Marie de Magdala et Jésus, même si elle est un des hauts lieux de la Bonne Nouvelle.

Enfin, à Sylvanès, au cours de l’après-midi du dimanche, les fidèles accompagnent les gens du village au cimetière, afin qu’ils annoncent la résurrection à leurs morts.

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4 réponses pour “Visio conférence VIVRE LA PÂQUE N°2 Que fête-t-on à Pâques ?”

  • Merci à toutes les deux, c’est aussi passionnant à lire qu’à regarder !
    Dans ma paroisse (Gif-sur-Yvette) les messes sont plus des spectacles , certes avec force chorale et lumières
    colorées (selon les temps liturgiques), et non participation à un repas partagé, avec en ces temps perturbés
    prise de tickets (130 maximum), ce qui me fait déserté cette assemblée !
    Je le regrette beaucoup car on je n’ai plus l’impression qu’on forme une communauté (Eglise), mais plutôt un genre de secte !

    Merci encore de nous faire partager ce qui fait l’essentiel de notre foi ! Continuez !

    • Merci de ce sympathique message qui nous encourage à poursuivre et merci de partager ces moments avec nous. Ces conférences sont aussi un moyen de faire Eglise en partageant la Parole.

  • Merci de nous offrir des visioconférences si riches d’enseignement, à un niveau à la fois théologique et humain ambitieux qui nous aide sur notre chemin de foi.
    J’ai un tel besoin de comprendre et d’approfondir que je ne peux m’empêcher de profiter de ce site pour poser des questions. J’espère que cela est possible. Sinon dîtes-le moi sincèrement.

    Ainsi, comme nous pouvons le lire dans les évangiles, c’est bien Marie de Magdala qui a eu la première la révélation de la résurrection. Je ne connais qu’un seul texte : l’évangile de Marie (évangile gnostique retrouvé à Nag Hammadi en Haute Egypte) qui témoigne d’une tradition scripturaire remontant à l'”apôtre des apôtres”. En existe-t-il d’autres ?

    Je m’interroge également sur la “descente aux enfers” de Jésus. Comment le comprendre ? Le salut de tous les morts depuis Adam ? La part d’ombre de notre psyché humaine assumée ? Si nous sommes sauvés “de la mort et du péché”, ne s’agit-il pas de l’offre de réconcilier notre condition humaine (qui est un fait non contestable avec ses limites) avec sa verticalité ? Le mot de péché est si chargé de culpabilisation que j’ai l’impression qu’il ne nous aide pas beaucoup aujourd’hui.

    Par ailleurs peut-on dire que l’on célèbre d’un point de vue historique la mort et la résurrection de Jésus puisque la résurrection n’est pas un fait historique, ce qui est historique c’est la vision qu’en ont eu les apôtres (les femmes et les disciples) et leur témoignage ?

    • Brigitte, n’hésitez pas à écrire ! Ce site est fait pour échanger.
      Concernant Marie de Magdala, j’ai déjà écrit deux livres sur elle 🙂 Et je continue. Oui, il existe en plus de L’évangile selon Marie, la Pistis sophia, apocryphe également. Nous l’évoquerons jeudi lors de la 4ème séquence durant laquelle je parlerai beaucoup de cette importante apôtre.
      Pour la question concernant le salut, bien sûr qu’il s’agit de relever l’être humain. Le Christ, venant tout récapituler, ne laisse plus aucune victoire au “péché”. La culpabilisation a été une arme terrible de l’Institution pur museler les humains au lieu de chercher à les responsabiliser. Il faut lire les belles pages positives de saint Irénée pour retrouver l’idée de croissance, de “verticalité” dont vous parlez. Enfin, nous discuterons jeudi du dernier point que vous abordez. Mais, en effet, la résurrection procède d’un acte de foi et non d’une vérité “historique”. Toutefois, que veut dire “historique” ? (Après la mort de nos parents qui peut affirmer notre naissance comme vérité absolue ?…) Nous évoquerons cela jeudi si vous êtes avec nous ; sinon je développerai car ce raccourci l’est beaucoup trop, j’en ai conscience 🙂

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