Des miettes et encore de l’oppression… Ce n’est pas ce que nous demandions.

Par Christina Moreira

La nouvelle est tombée aujourd’hui, tel un miracle, faisant grand bruit parmi des gens soudainement réjouis et reconnaissants alors que d’autres, -j’en témoigne-, ont montré de l’indignation, voire de la frustration. Le pape, de sa propre initiative, tout seul et parce que c’était son bon vouloir, a créé un décret (Motu proprio Spiritus Domini à lire en français par exemple sur le sitehttps://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2021-01/motu-proprio-spiritus-domini-femmes-lecteur-acolyte-eglise.html   par lequel il a décidé de modifier le droit canonique moyennant la formule suivante : « Les laïcs qui ont l’âge et les qualités requises établies par décret de la conférence des Évêques, peuvent être admis d’une manière stable par le rite liturgique prescrit aux ministères de lecteur et d’acolyte ; cependant, cette collation de ministère ne leur confère pas le droit à la subsistance ou à une rémunération de la part de l’Église. » Il explique au préalable qu’il s’agit de « mettre à disposition de la communauté et de sa mission de façon stable » les charismes que « l’Esprit du Seigneur Jésus, source éternelle de la vie et de la mission de l’Eglise, distribue aux membres du peuple de Dieu les dons qui permettent à chacun, de diverses façons, de contribuer à l’édification de l’Eglise et à l’annonce de l’Évangile ».

Voyons le texte de plus près. Dans la déclaration suivante « ces ministères laïcs, étant fondés sur le sacrement du Baptême, peuvent être confiés à tous les fidèles qui y sont aptes, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin » la non inclusivité est évidente, l’expression : « les fidèles » est déterminé par un « tous », masculin pluriel en français, et il est question de « laïcs ». Dans des phrases où le genre des mots est tranché, il apparaît que ces derniers contredisent l’intention égalitaire avancée, ils s’avèrent blessants. Les dicastères « dûment consultés » n’ont apparemment pas fait de recommandations sur le soin à apporter au langage, une fois n’aurait pas été coutume. Ce qui ne se nomme pas n’existe pas ; ce n’est pas une théorie féministe, nous le tenons de la Bible car tout ce qui existe fut créé par Dieu en nommant les êtres et les choses. Dans notre tradition, la parole est Parole et Elle est Dieu même. Cela n’est pas de la théorie du genre, c’est de l’Écriture Sainte. L’être humain est nommé homme et femme, image de Dieu, revêtu de dignité divine qui revient aux filles comme aux fils, par le baptême et la Sainte Volonté de leur Créateur.

Le texte souligne bien l’origine divine des charismes que portent les personnes et leur destination en vue du bien de l’Église et de l’Évangile, pour déboucher, en fin de compte sur la constitution de ministères qui impliquent des fonctions que les femmes exerçaient déjà. Nous savons certes que dans de nombreux diocèses il est encore interdit aux femmes de fouler du pied le chœur, servir l’autel ou distribuer la communion. À la bonheur !, ces pratiques cesseront donc, du moins nous l’espérons.

Mais encore nous demandons-nous pourquoi il faut désacraliser les ministères, justement à présent, lorsque les femelles y seraient préposées. La décléricalisation est un sujet très présent dans le discours du pape François, qui lui cause du souci, comme me l’a fait entendre son nonce à Paris, avec lequel je me suis entretenue récemment. Un souci que je partage mais encore me faudrait-il comprendre pourquoi cette question revient sur le tapis précisément lorsqu’il s’agit de proposer d’ouvrir tous les ministères à l’ensemble des enfants de Dieu. À notre demande d’égalité, on nous répond par des propos sur les maux du cléricalisme qui, disons-le ouvertement, ne sont en aucun cas attribuables aux femmes qui en seraient plutôt le plus souvent les victimes.

Il est intéressant de remarquer que deux éléments sont mélangés qui n’ont pas de lien entre eux, un peu comme si, pour répondre à une personne qui vous demande un verre d’eau, vous lui faisiez remarquer que ce serait bien de porter les lacets de chaussure moins serrés. Je propose donc de traiter les deux sujets séparément. Parlons égalité, parlons dignité humaine, puis, par ailleurs parlons cléricalisation.

Nous, femmes appartenant à cette Église, n’avons pas eu notre mot à dire sur le choix de cette forme de gouvernance, et, si j’osais, je dirais que Dieu est dans le même cas que nous. Avec, dans ses entrailles ce mal qui le ronge, l’organisme ecclésial pourtant bâti, pierre à pierre à grand renfort de sang martyriel et de dur labeur d’évangélisation, est en train de s’autodétruire parce que ce que l’on entend à présent dans ses murs et autour ce sont les sanglots des enfants, les soupirs des épouses clandestines, les plaintes des personnes qui veulent aimer leur Église et y laissent leur peau parce que l’on nous fait honte. On nous avait enseigné qu’il ne fallait pas avoir honte de la croix de Jésus mais nous ne savons que faire de la honte fruit de tant de trahisons infligées à ceux et celles que ce dernier voulait le mieux protéger ; les petits, les petites.

Entre temps, ce contingent vierge de fautes, reste capable, encore, de rendre témoignage du Maître de Nazareth et de labourer, encore, la terre pour y planter les graines de son Royaume, ce contingent fait d’humaines généreuses ô combien, à la foi inébranlable quitte à consentir des sacrifices, ce contingent est méprisé. Les charismes, lorsqu’ils brillent chez elles sont priés de s’en tenir aux commandements du droit canonique. N’avions-nous pas lu plus haut que ce sont des dons de l’Esprit ? Se trouverait-il par hasard que le Code commande à l’Esprit sa répartition de dons et se charge de distinguer à sa place ceux dont il convient de tirer profit ou, au contraire, ceux qu’il faut jeter aux cochons ? Les femmes, tout autant que les autres exclu-e-s pâtissant des mêmes maltraitances, et j’ai nommé notamment le collectif LGBTQI+, reçoivent bel et bien des charismes de l’Esprit saint, des vocations, des talents et trésors et non, nous ne les enterrerons pas. Je ferai usage, quant à moi, de la part d’héritage qui m’a été échue :

Oracle du Seigneur : les filles du Roi de l’univers ne veulent plus supporter l’opprobre d’être traitées en indigentes à qui l’on lance quelques miettes pour les contenter. Nous ne sommes pas des fillettes que l’on console avec une poignée de bonbons, voire des commissions, encore une, puis la suivante. Il s’agirait de vérifier si nos aïeules dans la foi ont servi leurs communautés en tant que diacres, presbytres, ou épiscopes, et de le vérifier sans que des conséquences en découlent à juste titre. Non, vous ne nous donnez rien, tout nous appartient, c’est cela que nous voulons et certaines l’ont déjà repris. En effet, « c’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés » et parce que son sang a coulé pour eux comme pour elles, nous refusons que nous soit encore imposée la culture de la permission patriarcale. Loin de moi l’intention de juger le pape François, en tant qu’être humain, je veux croire de bonne foi qu’il fait pour le mieux en suivant sa conscience. Mais nous aussi avons une conscience et nous avons une parole à délivrer, tout aussi inspirée par l’Esprit et informée par la théologie. Nous sommes des adultes et savons occuper nos places dans le monde depuis des décennies. Il semblerait qu’il n’y ait plus que l’Église romaine pour ne pas s’en rendre compte.

Quoique nous puissions lire dans ce texte la volonté explicite de reconnaître l’égale dignité des baptisés et baptisées, nous nous étonnons de n’en voir que de minimes effets en conséquence. Qu’en est-il des autres ministères ? Si nos baptêmes sont les mêmes, la Lettre Apostolique s’évertue à renforcer, dans un genre littéraire un tant soit peu alambiqué, proche de l’incohérence, la faille apparemment infranchissable entre les ministères destinés aux personnes laïques (peuple de Dieu de bas étage ou ordinaire) et le personnel ordonné qui aura donc reçu les ordres sacrés, j’ai nommé un contingent fait exclusivement  d’hommes mâles, en principe hétérosexuels et célibataires comme le stipule les can. 1024 et suivants.

Je sais que vous avez été nombreux et nombreuses à fêter ce qui a été décrit comme « un pas de géant » alors que d’autres se sont montrées perplexes face à cette duplicité du langage. Nous serions égaux mais certains seraient plus égaux que les autres … Nous sommes des femmes d’Église, des femmes de foi et des femmes de Dieu, actives au sein de l’Association Toutes Apôtres !, un mouvement qui fera vite tâche d’huile, le Mouvement des femmes prêtres catholiques romaines (vous avez bien lu) de l’association ARCWP et leurs communautés…. D’autres font le choix de rester sous l’emprise de la sympathie pour un homme vêtu d’une robe blanche et soumettent leur souveraineté à la sienne alors qu’il est tout à fait possible de lui donner notre soutien à partir de la franchise, le dialogue sincère et ouvert et, le cas échéant dans la controverse dans un climat de fratersororité lucide. La soumission ne donne pas de bons fruits, c’est se rendre à un mirage que de croire qu’elle pacifie, c’est une erreur de croire que se taire et obéir sont de bonnes fondations pour construire le foyer d’une famille. À long terme, nous aurons le bouillon de culture idoine pour les abus en tout genre. Ce sont les antidotes du bonheur, des empêcheurs de s’épanouir.

Je prétends soutenir François et tout frère ou sœur en contribuant par une parole vraiment sincère et tout aussi tendre, mais la soumission inconditionnelle je l’ai offerte à Dieu et il ne m’en reste plus une goutte à donner aux mortel-les. Je défends qu’il faut l’appeler à nous entendre, à répondre à nos lettres restées sans réponse (la mienne a dû lui être remise par le nonce, elle était longue, respectueuse et cordiale). Sans dialogue, la communication, la communion, l’amour s’avèrent irréalisables. Je me tiens disponible, mais de frère à sœur, d’égal à égal. Nous avons tant besoin de parler, nous nous taisons depuis trop longtemps. Que de temps perdu à cette écoute que l’on voudrait à sens unique, -comme cela se voit chez les ménages malheureux-, dans notre Église !

Le choix que j’ai posé de demander et de recevoir un sacrement que l’institution patriarcale catholique romaine, aussi vieille et lente qu’une tortue des Galapagos, interdit par voie de règlement interne aux femmes, à la moitié de ses membres uniquement en raison de leur genre, j’ai payé le prix mais les grâces reçues sont en surnombre. Assez nombreuses et belles pour oser dire que l’enjeu en vaut la chandelle et, hélas, pour acter dans la douleur ce dont nous avons été privées à chaque fois que l’occasion d’une imposition des mains, d’une onction est perdue. C’est à pleurer. Au lieu de les donner au compte-goutte ne ferions-nous pas mieux de les multiplier, pour tous les ministères, le lectorat et l’acolytat, le fleurissement des espaces, le chant, la musique, l’enseignement… Consacrons sans relâche pour croître et multiplier au lieu de soustraire et d’exclure. De la fécondité comme Dieu l’aime.

Moi, humaine de genre et sexe féminin, mariée, mère, disciple du Christ et baptisée, j’ai célébré hier l’eucharistie, mes mains près de celles de mon époux, et de celles du Seigneur, avec sa Maman Marie de Nazareth qui est toujours là… et notre merveilleuse communauté Home Novo (La Corogne, en Espagne) qui m’a élue pour la servir en tant que prêtre, en communion avec les près de 300 femmes prêtres de l’association RCWP-ARCWP et leurs communautés sur toute la planète. Je ne suis pas seule, ni auto-référencée. Je suis une personne, rien de plus mais rien de moins qu’une fille du Très-Haut et de l’humanité, petite et pécheresse, je vous le garantis, mais debout, adulte et en possession de sa dignité. Je ne suis pas prête à dire merci pour de menus monnaies car tous les trésors de mon Père m’appartiennent aussi. Il n’est pas question d’accepter la bouche en cœur des mini- stères bouche-trou ou de jouer les extincteurs afin que le clergé puisse se consacrer plus confortablement à pérenniser le système clérical qui, soit dit en passant, on dit vouloir éradiquer… On ne nous bernera pas, je ne me montre nullement reconnaissante. Tout mon respect à celles dont c’est la posture mais ce n’est pas ce que nous avions commandé ; je retourne le colis. Ce n’est pas ce que le Seigneur m’a demandé car je lisais déjà bien à l’église lorsque son appel m’a été adressé et je savais donner la communion sans embarras.

Pour finir, permettez-moi de prédire qu’un jour ces débats nous paraîtrons risibles et désuets, et alors quelqu’un dira « il faudrait réintégrer ces femmes et les réadmettre à la communion (comme si on eût été capable de nous en priver… pourquoi pas de dessert aussi) comme il en est question dernièrement pour le grand diseur des quatre vérités que fut notre frère Luther. Plusieurs centaines d’années plus tard. Ne soyons pas sots… évitons tout de suite d’être ridicules, profitons de toutes les bonnes volontés pour remettre sur pied la tente de la Rencontre, et qui sait, peut-être est-il encore temps de colmater les fuites, de ramender les filets, de nous reconnaître en son Visage sans inégalités et de nous rassembler pour rompre le pain comme des frères et sœurs, là, tout de suite. Il y a urgence, pour la justice, parce que l’amour sur terre n’est pas surabondant et parce que les vents nous sont contraires. Personne n’est de trop, tous et toutes sont utiles.

PS : je renonce sciemment et volontairement à faire appel à des arguments théologiques, j’ai trop de respect pour la théologie pour la confondre avec la misogynie millénaire qui crève les yeux et que rien ne saurait justifier.

2 réponses pour “Des miettes et encore de l’oppression… Ce n’est pas ce que nous demandions.”

  • Comment ne pas communier à cette souffrance de nos soeurs qui se sont donnés sérieusement au service de notre église et qui sont méchamment discriminées ! Dans mon secteur pastoral, dés que j’ai réalisé que le choeur était réservé aux hommes,j’ai interrogé le Curé qui a été peu réceptif,et j’ai donc du décidé de ne plus mettre les pieds dans les églises du secteur concernés !!

    • Merci François pour ce commentaire. En réalité il ne s’agit pas de “souffrance” mais de réaction à une inacceptable injustice qui perdure, comme vous l’avez constaté. Notre choix est celui déclaré il y a déjà plus de 10 ans par le Comité de la Jupe : “ni partir, ni se taire”. Mais des messages comme le votre sont utiles car nous prenons de rudes coups (cf la lettre de menace de mort que j’ai reçue et contre laquelle il m’a fallu porter plainte)…
      Très cordialement,
      sylvaine

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