Séquence 3 : Déconstruire le modèle féminin biblique

   Sylvaine Landrivon :

Marie n’est pas un substitut de féminin divin.

C’est une femme issue d’une longue lignée de femmes fortes.

 

Nous avons vu que dès le début du Christianisme, une certaine forme de piété tend à enfermer Marie dans une vénération aux allures de divinisation. C’est la « circularité » que j’ai pointée au début de nos rencontres, qui vient surcharger sa différence avec notre commune humanité. Cette tendance est évidemment hérétique car nous ne croyons qu’en un seul Dieu, unique médiateur. Elle est pourtant encouragée par l’institution, soucieuse -sans l’exprimer- de détourner les qualités d’une femme qui révéleraient sa détermination et son autonomie dans sa foi de disciple.

C’est ainsi que Marie est opposée à Ève dans une obéissance déclinée en une sorte de soumission naïve que symboliserait sa virginité. Or une autre forme de lecture peut mettre en évidence un tout autre caractère de Marie.

Nous allons essayer de le voir, hors de la compréhension androcentrique* dans laquelle nous baignons depuis des millénaires.

*Androcentrisme ? La notion d’« androcentrisme » a été est utilisée pour la première fois en 1903 par le sociologue américain Lester Frank Ward. Le terme a été repris par la théologienne Kari Elisabeth Børresen dans un article de la revue Concilium en 1976, où elle le définit ainsi : l’androcentrisme est une doctrine de la relation entre l’homme et la femme élaborée du seul point de vue de l’homme, sans aucune intention de réciprocité.

Nous allons aujourd’hui « déconstruire ce modèle du féminin » pour mettre en évidence que, dès le début, la Bible nous propose un cheminement humain, y compris dans ses harmoniques féminines. Et Marie honore pleinement celles-ci, sans qu’il soit nécessaire de l’assimiler à une forme de féminin divin. Nous montrerons que cette déviance provient du refus d’adhérer au caractère féminin de Dieu lui-même, pour « LE » maintenir dans la caricature d’un dieu viril, dont nous peinons à sortir. Et Mary Daly dans The Church and the Second Sex résume ce danger sur le mode de la plaisanterie un peu polémique : « si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu[1] ».

Or à l’inverse, la Bible nous montre que Dieu n’est pas dans le genre. En revanche il a créé l’humain homme et femme. Et l’engagement de Marie est peut-être à comprendre comme vecteur et aboutissement de cette force féminine qui traverse les Écritures sans jamais devenir audible dans l’enseignement traditionnel.

Et cette omission commence dès le chapitre 2 du livre de la Genèse : avec Gn 2,18

Nous croyons tous bien connaître ce verset : « Le Seigneur dit : il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée ». (Traduction de la TOB)

Repris littéralement à partir de l’hébreu, ce verset dit déjà autre chose  et à plusieurs niveaux :

  • « il n’est pas bon que l’humain (pas l’homme) soit seul : le mot utilisé ne fournit aucune connotation sexuelle puisque contrairement aux animaux, l’humain n’a pas fait l’objet d’une création avec un mâle et une femelle. Mais il va falloir le sauver de la solitude. Dieu modifie donc sa création.
  • « Je veux lui faire une « ‘ezer», que l’on traduit généralement par « aide ».

Or comme le constatent de nombreux exégètes contemporains[2], ce mot partout ailleurs signifie « secours » et comme le dit A. Wénin dans Pas seulement de pain…[3], le mot « secours » est précis en hébreu biblique ; il renvoie toujours à l’intervention de Dieu pour sauver une vie d’un péril mortel. Ce que confirme le théologien D. Bonhoeffer : « ailleurs dans la Bible, l’appui, l’aide de l’être humain ne sont rien d’autre que Dieu lui-même[4] ».

Et enfin, ce « secours » nécessaire va se placer « kenegdô », c’est-à-dire, non pas « assorti », mais en vis-à-vis ; autrement dit comme une altérité « en face » de lui. Pas un « même », semblable, identique, mais un être différent, d’une différence au-delà de la sexualité, puisque cet humain est créé, à l’image de Dieu.

Ainsi ce verset, en peu de mots, dit énormément, et notamment il nous enseigne l’impératif d’une relation qui ne soit ni verticale comme entre Dieu et ses créatures, ni dans le prolongement d’un « même », mais forte de la richesse d’une complémentarité dans la différence.

De ce premier humain, Dieu crée donc un nouvel être « ézer » secours, qui deviendra Ève (la vivante), et la partie « restante », glaise de départ qui a reçu le souffle divin, deviendra, l’homme Adam.

Il y a donc bien deux formes d’humanité en vis-à-vis avec l’espoir/ l’espérance à terme de prendre en compte la réalité masculo féminine primordiale quand l’humain aura cheminé suffisamment loin dans le parcours de sa divinisation (pour reprendre cette idée de divinisation chère à st Irénée). En attendant, -et il ne s’agit pas dans mon esprit de revenir au mythe d’Aristophane dans Le Banquet de Platon, mais à une autre forme de plénitude en Dieu- en attendant donc, la part de responsabilité, d’engagement d’amour, et de foi va se transmettre aussi bien par les hommes que par les femmes.

Poursuivons jusqu’au chapitre suivant où tout se dégrade parce que Ève a voulu aimer davantage, et pour cela comprendre, jusqu’à confondre en un seul arbre celui de la Vie et celui de la Connaissance. Son questionnement sera perverti par le serpent, puis finalement transgressé, jusqu’à inciter les deux premiers humains à rejeter leur statut d’image de Dieu (imago Dei) au « profit » d’un projet illusoire : celui de vouloir devenir sicut Deus (comme Dieu).

« Comme » funeste ! Il faudra que se produise l’Incarnation du Verbe et le passage du Christ par la Croix, pour sauver cet humain « mal entendant » de ce basculement dans l’absurde qui ne cesse pourtant de le tenter. Et déjà Ève pour Adam semble moins une complice qu’un suspect sur lequel il s’empresse de rejeter les responsabilités : « La femme que tu as mise auprès de moi, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. »

Il est cependant possible d’accorder un regard positif au troisième chapitre de la Genèse si nous y cherchons autre chose qu’une forme dégradée de relation entre l’homme et la femme se traduisant, à partir de la « chute ».

Dès sa création, la femme en tant que secours (ezer) est placée en situation d’exercer sur l’homme une influence positive. Comme l’écrit M.- T. Porcile Santiso : « elle le tirait de son isolement, suscitait la communication, rendait possible la communauté[5] ». Et pourtant, dans le chapitre évoqué, Ève semble présentée sous un jour plus sombre. Son rôle de médiation n’est pas dirigé vers son partenaire mais dialogue avec ce qui est au-delà de l’humain : le serpent, puis Dieu lui-même. D’ailleurs lorsque Dieu intervient, c’est à la femme qu’il pose la question de la responsabilité : « qu’as-tu fait là ? », non à Adam. Et c’est peut-être pour cela que les sentences qu’Il va promulguer atteignent différemment la femme et l’homme.

Notons alors, comme le fait remarquer Paul Beauchamp[6], que la sentence de la femme n’est précédée d’aucune motivation rappelant sa faute. D’autre part la peine énoncée utilise les termes d’une bénédiction. (Le verbe « je multiplierai » est typiquement celui des formules de bénédiction[7]). C’est ainsi que P. Beauchamp écrit : « il semble bien que l’horizon soit plus ample que la simple fécondité. Comme reprise de Genèse 2, 19-24, cette nomination nous oriente vers l’avenir de l’humanité. Elle contraste violemment avec l’état de subordination de la femme annoncé au verset 16[8]. »

D’ailleurs Dieu, dans le choix de la sentence adressée à Ève, non seulement n’interrompt pas l’acte de création mais d’une certaine manière, il le délègue et le partage. Il le délègue car l’histoire continue – nous pourrions même considérer que l’histoire humaine commence – et d’autre part, Ève semble si bien connaître la Torah qu’elle est l’interlocutrice de la discussion comme si c’était à elle de la réaliser et de la transmettre aux Fils de la promesse.

La femme va ainsi se situer du côté de la « réalisation », et pourra symboliser le peuple d’Israël porteur du message d’espérance.

Mais pour parvenir à cette lecture positive, il faut avoir fait très attention au texte déjà en amont des sentences. Car, avec l’influence des traductions et interprétations habituelles de Gn 3,15, comment repérer que la première annonce d’une victoire sur le mal, autrement dit, la première bonne nouvelle du Salut est exprimée à Ève ? Pour le comprendre, il est impératif de lire l’hébreu car les traductions, dès celle de la Septante, orientent le texte.

Il est littéralement écrit : « celle-ci [Ève/la femme] t’écrasera la tête »[9], ce qui n’est équivalent ni à la traduction : « celle-ci te visera à la tête », ni à la version de la BJ qui restitue le verset ainsi : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête »

La femme, dans cette interprétation, est mise à l’écart au bénéfice du « lignage » (sic!), insinuant que ce serait un descendant d’Ève qui terrasserait le serpent. On passe, comme par hasard, par-dessus le féminin, à la fois grammaticalement en écrivant « il », et en omettant le rôle de la « femme ». L’objectif était sans doute de chercher à infléchir le texte selon un angle plus messianique, mais le livre de la Genèse ne dit pas cela : il annonce le triomphe sur le mal par la femme.

Il est bien sûr possible d’honorer les deux interprétations, à condition de redistribuer les « rôles ». Si nous acceptons, que c’est par une femme que la victoire sur le mal se réalise, le lien avec Marie possède sa pertinence. Souvenons-nous que c’est ainsi –et seulement ainsi- : « femme », que Jésus la nomme dans l’Évangile de Jean.

L’ordre revenu dans la lecture de la Genèse, nous pouvons repérer que Dieu n’a aucun besoin d’une « représentante » féminine en la personne de qui que ce soit, pas même de Marie. Toute la Bible nous montre que Dieu n’est pas dans le genre !

Nous voyons pourtant que « La représentation du mystère divin a été moulée sur le rôle du monarque, du souverain absolu[10]. » comme le dénonce E. Johnson. Or un discours sur Dieu tissé uniquement de termes masculins n’exprime pas un monde où les hommes et les femmes participent également du principe divin. Cette participation est entretenue chez les hommes grâce aux images masculines de Dieu, particulièrement par l’incarnation du Verbe en un corps mâle, alors que les femmes doivent s’abstraire de leur identité, de leur corporéité, pour reconstituer ce lien.

Le concept d’un Dieu possédant les attributs masculins et féminins est toutefois bien attesté dans la Tradition et dans l’ensemble des Écritures[11], pour peu que l’on prenne le temps de les objectiver. Mais il va sans dire que cette lecture nouvelle bouscule les modèles habituels.

Les femmes sont donc image et ressemblance de Dieu aussi bien que les hommes, par leurs aptitudes propres, sans qu’il soit besoin d’un modèle divinisé comme le deviendrait vite une Vierge Marie médiatrice et co-rédemptrice, ayant perdu toute attache avec sa réelle humanité. Les exemples qui suivent vont nous le confirmer.

Elizabeth Moltmann-Wendel fut l’une des premières à relire l’histoire des femmes de la Bible en la débarrassant des déformations cléricales. Elle montre dans Dieu, Homme et Femme[12], que des figures comme celle de Sarah, de Débora et de Yaël, ou d’Esther, de Judith…, sont les signes évidents d’une culture féminine ancienne, et voit dans les premières assemblées chrétiennes, le reflet d’un statut privilégié des femmes, à la stupéfaction de leur environnement.

Dans la Bible, tantôt ce sont des épouses qui encouragent, stimulent, voire orientent, la mission de leur époux, comme Sarah ou Tsippora, tantôt ce sont des femmes qui reçoivent directement une charge pour venir au secours de la communauté, et trouvent en elles-mêmes, dans leur engagement et leur foi, le sens de leur devoir. Elles seront les maillons d’une transmission essentielle qui préparera la venue du Christ et l’accompagnera.

Il ne faudrait d’ailleurs pas se tromper sur l’intention des rédacteurs bibliques, car ces personnages féminins ne sont pas proposés comme d’étranges phénomènes au caractère singulier ; au contraire, ces femmes se présentent dans la tradition hébraïque, comme des exemples à suivre. Par le récit de leurs actions, les textes suggèrent qu’elles peuvent devenir les instruments de Dieu, même lorsqu’elles usent des ressources les plus controversées de leur féminité.

Prenons Sarah :            

Dans le récit biblique,  c’est avec Abraham et Sarah que s’inaugure le dialogue entre l’homme et la femme. En effet, si Adam et Ève, s’adressaient à Dieu ou au serpent, ils n’avaient pas encore communiqué.

Avec Abraham et Sarah le dialogue s’engage mais sur un drôle de registre puisque Abraham va prier son épouse de se faire passer pour sa sœur en allant auprès de Pharaon en Gn 12. Sarah consent, mais pour le protéger, elle s’expose à l’humiliation et à une vulnérabilité dangereuse.

Il est surprenant que les exégètes aient mis si longtemps à commenter qu’elle est ainsi le premier humain à donner priorité à la vie de l’autre sur la sienne.  Ce comportement mériterait d’autant plus d’attention que par l’acceptation de cette substitution de rôle, Sarah d’une certaine manière vient au « secours » du choix que Dieu a fait d’Abraham.

Dès la prière d’Abram : « dis je te prie… que tu es ma sœur », elle endosse les deux responsabilités de sœur et d’épouse, pour mener à bien le projet d’être porteuse avec Abraham de la promesse.(Gn 17) C’est parce que, comme plus tard Marie, elle sait, sans tout à fait l’objectiver, que le sort de la promesse passe par son consentement, qu’elle accepte de risquer son intégrité physique et morale, consciente qu’Abraham et elle œuvrent ensemble pour la réalisation d’un même but, celui d’insérer dans le cœur et l’esprit d’un peuple infini, la foi en un Dieu Un, juste et bon.

De Débora, le livre des Juges dit ceci : « Or Débora, une prophétesse, femme de Lappidoth[13], jugeait Israël en ce temps-là. Elle siégeait sous le palmier de Débora entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Ephraïm, et les fils d’Israël montaient vers elle pour des questions d’arbitrage. » (Jg 4.4-5).

Le chapitre 4 de ce livre des Juges commence par mentionner la mauvaise conduite d’Israël qui, au bout de vingt ans revient vers son Dieu et « crie vers Lui ». Arrive alors un secours providentiel en la personne de Débora, qui va d’abord intervenir en nommant Barak chef de guerre et qui, jusqu’à la victoire, lui indiquera sa mission face aux puissants Cananéens. Que cette femme cumule les fonctions de juge, de prophétesse, voire de chef politique (sens que l’on peut accorder au terme chofèt dans ce livre des Juges) n’a pourtant pas concouru à une meilleure responsabilité des femmes par la suite.

Un autre personnage biblique féminin a mérité le titre de prophétesse : Houlda, de la famille du prophète Jérémie. Que faisait-elle ? On serait presque surpris d’apprendre qu’elle enseignait. Quant à Hanna qui nous est mieux connue sous le prénom d’Anne, l’épouse d’Elqana, elle apparaît dans le premier livre de Samuel, (en 1 S 1, 1-13). Nous reparlerons du lien qui l’unit au Magnificat de Marie.

Je ne dirai rien du rôle d’Esther qui va sauver et protéger le peuple hébreu et la foi au Dieu Unique par son intelligence et son abnégation. Intelligence car elle saura capter l’amour du roi et le contraindre à sauver et servir son propre peuple ; abnégation car l’ayant sauvé, elle se retirera et laissera son oncle Mardochée prendre le pouvoir. Je vous recommande sur cette femme exemplaire l’excellent livre du grand bibliste Philippe Abadie : La reine masquée. Lecture du livre d’Esther.

Enfin le Premier Testament nous offre un modèle exceptionnel, avant celui de Marie, mais par d’autres chemins que ceux de la Mère de Jésus. Il s’agit de Judith.

Judith :    

Comme tous les personnages féminins que nous venons d’évoquer, Judith  nous est présentée comme un exemple à suivre. Par le récit de ses actions, le texte suggère qu’elle va devenir un instrument de Dieu.

Ce personnage de Judith nous conduit dans une aventure extraordinaire où tout est surprenant, « à l’aise dans la démesure [14]» comme l’a dit Paul Beauchamp en parlant d’elle. Dans Béthulie, la situation est dramatique. La ville est encerclée et sur le point de se rendre car il n’y a plus d’eau. L’armée a perdu et les prêtres prient en vain pour qu’il pleuve.

Judith, une jeune veuve séduisante et belle, va manifester assez d’autorité pour être écoutée et obéie par les chefs des prêtres dans une culture où les femmes sont cantonnées à la sphère domestique. Elle n’est qu’une « faible femme », dépourvue de toute capacité militaire, mais par son intelligence et sa ruse, elle sera victorieuse du plus grand des guerriers. Elle sauvera son peuple et surtout le culte de son Dieu. Voila ce qu’écrit Élisabeth Parmentier dans la préface de mon livre sur Judith qui s’appelle -pas du tout innocemment- Faites-les taire. Judith un enseignement subversif :

« Voilà une femme indépendante et libre, mais d’une liberté entièrement vouée au service de Dieu et de son peuple. Voilà une femme qui n’est pas mue par l’affectivité, mais par la raison et l’intelligence. Si elle est belle, sa beauté n’est pas au service de l’exercice d’une séduction narcissique. Elle agit pour le bien commun. Voilà une femme certes faible, mais dont la faiblesse donne précisément toute la mesure de la puissance de Dieu. Ainsi « l’aide » que l’on suppose soumise à l’homme dans le récit d’Adam est en réalité la représentante du secours de Dieu lui-même. Voilà une femme qui enseigne au peuple d’Israël (et même à ses chefs religieux !) le rôle de YHWH dans leur histoire. »

L’habitude d’une lecture patriarcale de la Bible voudrait nous enseigner que depuis Ève, la femme livrée à elle-même se laisse séduire par des discours trompeurs et n’entend plus la voix de la sagesse. Or dans une telle typologie, la tradition n’omet-elle pas que ce ne sont pas des hommes qui entrent en dialogue avec l’au-delà de l’humain, serpent, Dieu ou ange, mais Ève et Marie, deux femmes livrées à elles-mêmes ; et que dans les deux cas la présence masculine : Adam ou Joseph, n’est guère éclairante ?! Adam n’intervient pas pour suggérer à Ève une meilleure compréhension de la situation, et Joseph demeure bien perplexe –et c’est un euphémisme– devant le récit que lui fait sa fiancée (Mt 1.19)  :

« Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit »

C’est cette tendance à reléguer le féminin loin de la sagesse, que vient contredire Judith. Face à elle, le masculin est représenté à la fois par les anciens et par Holopherne. Les prêtres symbolisent l’autorité juste, la loi et la voix de la raison. Ils sont auto proclamés en charge du lien avec la transcendance. Or sur tous ces plans, ils sont pris en défaut. La sagesse et la foi de Judith passant par d’autres chemins, seront seules capables de mettre en place la stratégie qui sauvera le peuple et peut-être même le nom de Dieu.

Quant à ce que symbolise Holopherne : la force brute, l’outrecuidance que donne la certitude de la domination… tout sombre dans le pire des ridicules : celui d’être jeté à bas par ce qui lui est immédiatement contraire : la fragilité, l’artifice éphémère qui deviennent des armes redoutables quand elles sont forgées dans des valeurs qui ne doivent rien à la contingence.

Le livre de Judith était lu et connu du temps de Jésus. Les références scripturaires reproduites dans la bénédiction de Marie suggèrent cette imprégnation, et ce n’est pas procéder par arguments de convenance que de présumer que Jésus, composant son entourage d’hommes, mais aussi de femmes, ouvrait le monde à une dimension nouvelle de leur complémentarité. [15] Nous constatons donc que Marie ne sera pas un cas isolé de femme appelée à une destinée exceptionnelle.  L’évangile selon Luc choisit une porte d’entrée apparemment moins subversive pour présenter Marie, mais le choix de Dieu n’est pas moins audacieux. Toutes ces femmes dont l’histoire sainte a fait si peu de cas, s’avèrent finalement étrangement présentes. Elles le demeurent quand le Verbe se fait chair, mais il faut aiguiser son regard et s’habituer à lire dans les creux du texte, pour percevoir l’importance du champ que Jésus va octroyer aux femmes, contre toutes les traditions du peuple dans lequel il vient révéler sa lumière.

Ainsi dans l’épisode de l’Annonciation (Lc 1,26-38), Luca Castiglioni note que « la manière dont Marie accepte la proposition de l’ange met en évidence sa liberté intérieure, sa capacité d’auto-détermination et sa foi consciente et active. (….) elle décide de sa vie sans laisser les ingérences sociales et religieuses entraver sa disponibilité.[16] »

Et pourtant, si Israël attend un Messie et peut se prêter à l’écoute de messages hors du commun, son organisation sociale n’est pas du tout préparée à accueillir des femmes en dehors de la sphère privée, et demeure centrée sur des fondements masculins, tout particulièrement quand il s’agit de transmettre. Or Jésus associe sa mère au disciple bien-aimé, lors de la crucifixion, pour fonder l’Église. Jésus  demande à Marie de Magdala d’aller témoigner et annoncer la Bonne Nouvelle de sa résurrection. Il leur fait confiance et leur donne de grandes responsabilités.


C’est bien ce qu’ont compris certains artistes qui les représentent parfois l’une et l’autre revêtue de la « capa magna » qui signalait l’autorité dans les armées romaines et aujourd’hui celle de nos cardinaux.

Mais ce n’est pas le message que les siècles de rude patriarcat ont entretenu. Car nous sommes bien loin du portrait que St Augustin fait de Marie dans son Sermon pour la fête de l’Annonciation :

« Marie ne laissa échapper de ses lèvres pudiques aucune parole d’assentiment. Mais dès qu’elle sut que sa virginité ne subirait aucune atteinte, (…) elle répondit : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ». Comme si elle eût dit : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt », puisque mon sein doit rester intact. (…) sous ses rayons je conserverai ma blancheur, et la fleur de mon intégrité s’épanouira dans une chasteté perpétuelle. »

Cet extrait met en évidence l’enjeu de conserver une virginité qui théologiquement n’apporte rien et ne semble répondre qu’à des fantasmes masculins lesquels, au lieu de montrer Marie comme un secours dynamique pour la foi, l’enferme dans le cercle d’une vénération mythique. Nous retrouvons les deux axes de mon fil rouge.

*****

 

   Anne Soupa : L’ Annonciation : Un récit sans témoin.

Un acte qui manifeste la puissance de Dieu et puise ses racines dans AT. Marie figure d’Israël.

Marie, un modèle pour tout croyant.

Je voudrais commencer mon propos en reprenant la question que je vous avais posée lors de notre 1ère séance. Nous avions observé que le récit de l’Annonciation était sans témoin. Même pas une soubrette cachée derrière le mur…  Nous sommes bien devant une scène intime. Alors, aurait-on retrouvé des documents où Marie raconterait ce qui lui est arrivé ? Ou a-t-elle fait ses confidences à Luc, ou à Joseph, qui les aurait faites à Matthieu qui les aurait faites à Luc ? Ceux-ci ont-ils construit leurs récits ? Et s’ils les ont construits, selon quels critères, ou dans quelle filiation ? Par le chat, vous aviez proposé quelques interprétations.

Quelle Marie cherchons-nous ?

Avant de répondre, il me semble que nous devons être au clair sur la Marie que nous cherchons.

Si nous cherchons la jeune fille de Nazareth, celle de l’histoire, alors, admettons-le sans détour, l’entreprise est vaine… Au 1er siècle, Nazareth est une bourgade inconnue. Jésus n’est pas un grand de ce monde, comme Alexandre, par exemple. La lave du temps a figé l’histoire réelle d’une femme dont la vie s’est déroulée bien loin des projecteurs.

Y a-t-il au moins un contemporain de Marie qui ait directement contribué, par ses souvenirs, à établir la chronique de sa vie ? Vers l’an 70, au moment où Luc termine ses derniers chapitres, qui sont les évangiles de l’enfance, Marie aurait eu 95 à 100 ans. Est-ce vraisemblable qu’elle lui ait fait ses confidences ? Pas trop, sauf à imaginer qu’elle aurait écrit tout ça sur un papyrus et l’aurait enfoui dans une jarre, elle-même enfouie dans une grotte surplombant les falaises de la Mer Morte ?

Non ces pistes se perdent. Il faut les abandonner.

La réponse s’impose : ce récit est construit par Luc. Cela a quelque chose de vertigineux, car nous devons lui faire confiance. L’auteur écrivain acquiert une place exceptionnelle : de quelle nature seront les faits rapportés ? Quelle confiance le lecteur peut-il lui octroyer ? Vers quelle révélation intime l’auteur le conduit-il ? Et le lecteur, que fera-t-il ? Nous lecteurs, devenons des acteurs essentiels du processus, non seulement de transmission, mais de réception du récit biblique.

Quelle Marie Luc nous propose-t-il ?

       Puisque Luc il y a, tentons maintenant de savoir ce qu’il veut. Les évangélistes sont gens de l’Antiquité. Ils n’écrivent ni pour tenir une chronique de type factuel ni pour dresser des portraits à la manière d’un romancier moderne. Ils veulent rendre compte du dessein de Dieu et de la réaction humaine face à l’irruption de Dieu dans une vie. Ils veulent raconter une expérience de Dieu qui puisse aussi toucher le lecteur, ils veulent « l’édifier », au sens noble du mot, le construire.

Pour ce faire, ils construisent des « figures ». Un nombre considérable de personnages bibliques sont des figures. Les patriarches d’Israël, par exemple, Anne, mère de Samuel, la Samaritaine, sont des figures avant d’être des personnages historiques.

Qu’est-ce qu’une figure ? Une figure décrit l’archétype d’une attitude humaine : c’est une « personne emblématique ». Elle a une dimension d’initiation, d’étayage.

Luc installe donc la figure de Marie pour montrer que les promesses faites à Israël sont en train de s’accomplir avec la grossesse de Marie. Jésus n’est pas n’importe qui, il est celui qu’Israël attendait.

De plus, en ces temps antiques où l’identité est encore portée collectivement plus que par un individu, le lecteur biblique s’identifie automatiquement à Israël, au peuple dans son entier, un terme qui désigne à la fois tous et chacun. La figure biblique permet de décrire ou de suggérer une attitude pour tout Israël.

Marie est donc ici une figure « construite » selon les grandes lignes de la spiritualité juive. Marie a-t-elle existé ? Reste-elle une personne « de l’histoire » ? Oui, puisque Jésus a existé. Je rappelle cet adage du droit : « Seule la mère est certaine ». Sola mater certa est.

J’en viens maintenant à la plus essentielle des raisons qui doit nous faire abandonner des pistes de journalistes qui espionneraient des altesses royales. C’est que Marie n’est pas le centre de l’histoire que racontent les évangiles. Le centre de l’histoire, c’est Jésus.

Et la question centrale de Luc, elle est de raconter, tout au long des chapitres 1 et 2, comment cet enfant a été oui ou on accepté en Israël et par qui. Zacharie, Marie, Élisabeth, Joseph, Syméon et Anne aussi sont au service de ce projet. Zacharie car il ne comprend pas (il est du monde des lévites, les prêtres), et les autres parce qu’ils comprennent très bien.

Je prends Anne pour exemple, en Luc 2, 36-38. Anne est présentée comme une prophétesse, catégorie essentielle dans le judaïsme, car le prophète entre dans les arcanes de la volonté de Dieu. Jour et nuit, elle vit au Temple, centre de la vie religieuse, essentiel pour Luc, et elle est âgée de 84 ans, 12×7. 7 : chiffre de l’accomplissement, 12 : nombre des tribus d’Israël. Elle a donc autorité pour parler au nom d’Israël.

D’autant plus qu’elle vient de la tribu d’Aser, tout au nord, la tribu la plus éloignée, la plus crottée, la plus insignifiante d’Israël. Aser, c’est le « Perpète-les-Oies» d’Israël. Voilà donc une femme qui, par ces canaux latéraux, sans reconnaissance officielle du corps des prêtres, parle tout de même au nom de tout Israël.

Marie, figure d’Israël

Je vais maintenant vous montrer comment Marie a, comme Anne, une vraie légitimité à représenter Israël. Qu’elle est donc une figure collective d’Israël.

Jusque là, j’ai affirmé, maintenant je vais tenter de démontrer. Regardons donc ce texte de près.

Marie à l’Annonciation (Luc 1, 26-38), c’est la 1ère apparition de Marie chez Luc, la scène initiale, où elle va prendre place au cœur du dispositif du salut. Et cette scène fait précisément résonner à l’esprit du lecteur juif des thèmes bibliques qui lui sont familiers et qui concernent tout Israël.

Je vous invite à pointer ces attitudes dans le texte de Luc. Ayons bien notre texte sous les yeux. En effet,

-Marie reçoit la visite de l’ange (comme Dieu visite son peuple),

-elle a la crainte de Dieu, qui est à comprendre comme travail pour passer de la crainte à un respect aimant,

-elle est « comblée de grâce », choisie par le Seigneur (elle en assume la responsabilité),

-elle est en attente, (elle attend son enfant , et aussi parce qu’elle est disponible à l’Esprit) selon le principe central de la spiritualité juive, la derech juive, la quête. La quintessence de la spiritualité juive, c’est d’être « en recherche ». Le judaïsme donne pour première consigne à ses membres de chercher Dieu, de placer la derech en tête de son activité spirituelle. La derech est une disposition d’esprit, une attitude devant le monde, une gourmandise devant la vie, œuvre du Créateur. Un désir en éveil, un appétit.

-elle fait alliance, selon le grand modèle de l’alliance du livre de l’Exode (Ex 24 et surtout Josué 24, où tout Israël choisit Yahvé). Marie aussi dit « oui », elle obéit à Dieu, c’est-à-dire qu’elle écoute et accepte la transgression. Pas l’ordre moral des hommes, non, elle obéit au projet de Dieu.

Je rappelle la question qu’elle pose dans ce récit : « Comment cela sera-t-il puisque je ne connais point d’homme (v. 34). Cette question met Marie du côté de ceux qui n’acceptent pas n’importe quoi.  Je connais, hélas, trop peu de commentateurs qui le soulignent.

Il y a donc dans ce récit à la fois la reprise des grands thèmes bibliques qui construisent la relation du croyant à Dieu : Visitation, élection, alliance, et les trois réponses de Marie, qui sont les qualités demandées à Israël : la crainte, la quête, et ce qui va avec, l’écoute.

Qu’est-ce que cela vous rappelle ? Á quoi pensez-vous en entendant cela ? (Chat).

Nous sommes dans la mouvance du célèbre Shema Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu… » (Dt 6, 1-9). Nous pouvons en  déduire :

-d’abord que Marie aime, comme le Shema le demande (“tu aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir »). Marie aime, non par une parole, mais en actes. Elle aime tellement qu’elle accepte la transgression dont il a déjà été question.

– Ensuite qu’elle est bien la fille d’Israël, cette figure collective. Marie « récapitule » -au sens irénéen du terme- toute l’histoire d’Israël, qui est structurellement associée au Shema Israël. De là à dire que l’Annonciation en est un midrash, c’est à-dire une actualisation, il n’y a qu’un pas, que je franchis volontiers. ….

Je pense donc que Luc, qui peut-être n’a jamais vu Marie, a peint la jeune fille juive selon le cœur de Dieu. Elle est « l’Israël de Dieu ».

Le portrait de Marie qui se dessine à travers cette promenade biblique est celui d’une jeune fille en état de perpétuelle recherche de Dieu, en porosité permanente aux multiples à événements du quotidien qui disent la présence et l’action de Dieu. Marie est « gourmande de Dieu », elle a l’appétit ouvert, et en même temps, un rien la nourrit, puisque tout lui parle de Dieu.

J’ajoute un trait du prophétisme juif, c’est de symboliser l’union de Dieu avec son peuple par une image sponsale. Dieu est en position masculine, le peuple en position féminine. Nous sommes dans un registre poétique, ni anthropologique ni juridique. Rien de surprenant donc, pour ces esprits juifs que sont les lecteurs de Luc, à voir des hommes d’Israël être en position symbolique inverse de leur genre. Rien d’étonnant non plus à ce que des femmes comprennent que ce n’est pas leur féminité qui est en cause, mais leur identité collective en face de Dieu. Et dommage que notre esprit romain, juridisant, ait écrasé cette richesse symbolique.

Se libérer d’une Marie archétype de « la femme »

Comme vous l’avez déjà deviné, je vais maintenant vous inviter à vous libérer d’une Marie qui serait le modèle proposé « d’une femme » emblématique de toutes les femmes. Oui, des femmes se reconnaissent en elles, des hommes tout aussi bien. Marie n’est pas celle qui incarne « la femme », entité unique et absolue.

Secouons le poids de trop nombreux siècles de commentaires intellectuellement malhonnêtes qui ont fait l’apologie de ce qu’ils croyaient être le charisme marial, -l’obéissance et la virginité – et en ont déduit que ce modèle était celui que les femmes devaient suivre.

Pour être honnête je rappelle ce que nous avons observé ensemble, la dernière fois, à savoir que les Pères des premiers siècles, dans leur grande majorité, avaient gardé ce sens de la figure. Ils n’étaient pas prisonniers du sens littéral comme nous le sommes devenus, dans un tragique appauvrissement. Je me suis demandé quand cela avait été perdu. Exactement, je ne sais pas dire, mais probablement sur une longue période, à mon avis, à partir de la Renaissance.

Ce que je sais, c’est que la camisole pontificale actuelle est très puissante. Combien de fois ai-je entendu, sous les louanges des commentateurs, clercs, médias, et des femmes, séduites et transies d’admiration, tout ce beau monde vanter la pertinence des propos du pape dans Mulieris dignitatem, par exemple. Dans les années qui ont suivi 2008, nous avons été, Christine Pedotti et moi, dans les premières à vouloir secouer cet emprisonnement dans un destin qui serait voulu par Dieu. Je cite Jean-Paul II : « La «plénitude de grâce» accordée à la Vierge de Nazareth en vue de sa qualité de «Theotokos» signifie donc en même temps la plénitude de la perfection de «ce qui est caractéristique de la femme», de «ce qui est féminin». Nous nous trouvons ici, en un sens, au point central, à l’archétype de la dignité personnelle de la femme ».

Aïe… Je vois plutôt dans ce texte la manifestation flagrante d’une faute intellectuelle grave, à la fois une ignorance de la visée biblique et une impasse théologique.

Á la suite de ces propos, j’ai entendu, vous aussi peut-être, que les hommes représentaient des hommes et les femmes des femmes… Il y a dans ce rétrécissement, dans ce fondamentalisme contraire au génie catholique, quelque chose d’incompréhensible. Cela ne peut s’expliquer que par l’usage intempestif dune idéologie différentialiste destinée à préserver la masculinité des prêtres en donnant et en accentuant une soi- disant vocation féminine.

Non, la Bible nous prouve que Marie est la figure de tout Israël, auquel sont donnés des attributs dits « féminins », virginité et maternité. Mais la féminité n’est là que pour soutenir une autre thèse, celle de la visitation de l’élection et de l’alliance offertes aux hommes comme aux femmes. Marie n’est pas le modèle de « la femme ». Mais Marie est le modèle du croyant de toujours, puisque les chrétiens se placent dans la continuité d’Israël.

Un modèle d’accueil et de portance de Dieu

Vous constatez avec moi que, grâce à cette libération que je viens d’évoquer, nous est ici donné un modèle d’accueil de Dieu : le croyant peut porter en lui le Seigneur, comme les grands priants de notre tradition spirituelle. Luc nous montre ce qu’est accueillir Dieu en son sein, dans n’importe quel contexte que ce soit, sans grossesse ni ange, mais selon ce double schéma,

-que le divin peut habiter en votre sein, c’est-à-dire en votre intime,

-et qu’une voix intérieure vous en avise, c’est-à-dire tout simplement que cette conviction accède à une conscience qui sait donner du sens à ce qui se passe.

Ces chemins ont été explorés, mais peu proposés de manière simple et nourrissante aux fidèles. Ce sont les mystiques, femmes et hommes – du moins ceux qui ont laissé parler en eux la part féminine – qui s’y sont aventurés, eux qui, à la suite des Pères grecs du 4e siècle, ont développé ce thème de l’habitation divine en l’être humain, comme une variation libre sur le mode – et seulement sur le mode- d’une grossesse. Des mystiques encore qui ont accepté d’entendre des voix intérieures sans pour autant se croire fous.

Qui peut-on citer comme étant de ce monde des mystiques ? Par exemple Saint Augustin, Saint Bernard, Thérèse d’ Avila (Les sept demeures de Dieu dans l’âme), tout le mouvement mystique féminin, les Béguines, femmes mystiques médiévales, contre lequel l’Église a tant lutté….

Quel est le moyen de cette rencontre de Dieu en soi ? Une réponse unanime : Etre à l’écoute de soi-même, se connaître, s’aimer. A cette fin, le modèle marial est extraordinaire, car elle, elle a vraiment porté l’enfant. L’image de la grossesse est très riche : un enfant en votre sein, cela ne se voit pas, cela se « sent », cela s’éprouve, cela s’imagine. Luc joue de la différence féminine, la maternité, mais non pour en faire une prison, comme le fait le magistère, mais une illustration d’une offrande faite à tous.

[1]. Mary Daly, « Feminist Post-Christian Introduction », in The Church and the Second Sex, With the Feminist Postchristian Introduction and New Archaïc. Afterwords by the Author, Boston, Beacon Press, 1986, p. 38.

[2] dont J.-L. Ska, Marie de Mérode …

[3] A. Wénin, Pas seulement de pain…, p. 48.

[4] D. Bonhoeffer, Création et chute, p. 76.

[5]. Maria Teresa Porcile Santiso, La femme espace de salut, Paris, Éditions du Cerf, 1999, p. 187.

[6] P. Beauchamp, L’un et l’autre testament,  p. 153.

[7] C’est bien ainsi que le comprend Lytta Basset dans Guérir du malheur, Paris, Albin Michel, Éditions Labor et Fides, 1999, p. 266, en signalant l’insistance sur le fait d’enfanter des « fils ».

[8]. P. Beauchamp, L’un et l’autre testament, p. 154.

[9] Le verbe hébreu utilisé dans ce verset est shouwph qui ne possède que 3 occurrences dans la Bible : ici en Gn3,15 ; en Job9,17 : « Lui qui dans l’ouragan m’écrase… » et dans le Psaume 139,11 : » que les ténèbres m’engloutissent, »

[10]. E.A. Johnson, Dieu au-delà du masculin et du féminin, p. 59-60.

[11] Dans le chapitre 11 du livre d’Osée, il est question de faire triompher l’amour. Dieu retient sa colère et s’ouvre à la compassion « car je suis Dieu et non pas homme[11] » traduit Émile Osty. Or le texte hébreu dit : « anôri… velô ‘ish », c’est-à-dire ; « car je suis Dieu et non pas “mâleˮ ». Il est donc évident ici que viennent cohabiter dans la réaction divine, l’autorité connotée virile et la tendresse secourable de la féminité : « Comment t’abandonnerais-je Ephraïm ? ». Certes traiter de la maternité de Dieu selon l’Écriture peut apparaître comme une provocation ou un paradoxe, car jamais Dieu n’y est directement appelé “mèreˮ[11] ».

[12] Elizabeth Moltmann-Wendel in Elizabeth et Jürgen Moltmann, Dieu, Homme et femme, (Théologies), Trad. De l’américain  par Marcelline Brun-Reyniers, Paris, Éditions du Cerf, 1984, 148p.

[13] Lappidoth en hébreu, signifie « torches » et en effet, le mari de Débora semble être un homme bien éclairé puisque il accepte d’être le conjoint d’une femme investie de grandes responsabilités.

[14] Paul Beauchamp, Cinquante portraits bibliques. Paris, Seuil, 2000, p. 239.

[15]Judith et tant d’autres ont prouvé « que l’égalité des sexes n’était pas qu’une utopie décrite dans quelques textes de la Bible, mais qu’elle faisait partie intégrante du mouvement de libération religieux, social, économique et politique connu sous le nom d’Israël ». Voir André Lacocque, Subversives ou un pentateuque de femmes,  p. 30.

[16] Luca Castiglioni , Filles et fils de Dieu. Égalité baptismale et différence sexuelle, Préface Chr. Théobald, (Cogitatio fidei 309), Paris, Cerf, 2020, 688p., p. 468.

4 réponses pour “Marie telle que vous ne l’avez jamais vue -Séquence 3 : Déconstruire le modèle féminin biblique”

  • Bonsoir
    merci à toutes 2 pour vos conférences tellement riches que c’est à la fois passionnant et difficile de vous suivre quand on a une culture biblique très insuffisante ce qui est mon cas. A l’approche de Noël , auriez vous un ou 2 livres à me conseiller pour tenir correctement ma mission de grand mère qui aimerait tant transmettre la foi chrétienne avec la plus grande ouverture possible ?
    avec tout mon soutien admiratif
    Béatrice

    • Bonjour et merci pour ce commentaire. J’ai conscience de vouloir transmettre trop d’informations, trop vite, dans ce type d’exercice qu’est une conférence. A l’inverse, le manque de fond risque de nous être imputé à charge… Pas simple. D’où notre choix de vous emmener loin en s’appuyant sérieusement sur les textes bibliques. Mais je comprends que cela soit parfois un peu “raide” (plus de mon côté que de la part d’Anne Soupa d’ailleurs, je pense). C’est pourquoi nous mettons les textes et videos en ligne.
      Pour les conseils relatifs aux livres, il nous faudrait quelques informations complémentaires: est-ce pour vous, pour enseigner aux enfants, ou pour eux, à lire tous ensemble ?
      En tout cas, merci pour votre soutien ! A très bientôt j’espère

      • Merci encore , j ‘aimerais donc des conseils de livres pour lire ensemble, mes petits enfants ont entre 5 et 8 ans et ne suivent pour l’instant aucun éveil à la foi.
        A jeudi avec Joie
        Béatrice

  • Quel bonheur de relire ceci et vos angles d’interprétation si loin de ceux par exemple de Gertrude Von le For (« théologie de la femme » telle que je la découvre en lisant Filles et fils de Dieu de Luca Castiglioni actuellement)
    Merci de dire que Marie est le modèle du croyant et non de la femme !

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