Par Sylvaine Landrivon
Le pape François vient de modifier un article du code de droit canonique afin d’officialiser la possibilité accordée aux femmes d’exercer les services du lectorat et de l’acolytat. Qu’est-ce que cela modifie ? Est-ce un progrès et faut-il s’en réjouir ?
Il aura fallu un demi-siècle pour régulariser ce qui semblait acquis, et en cela, cette décision est une bonne nouvelle. En revanche, si cette déclaration vise une décléricalisation, il va falloir assez vite la prolonger jusqu’à la pleine reconnaissance de la dignité des femmes en leur proposant d’autres charges que celles annoncées.
Beaucoup d’articles ont été écrits depuis la publication de Spiritus Domini. Les commentaires, parfois hâtifs ou peu informés, comportent souvent des imprécisions voire des inexactitudes.
L’institution ecclésiale catholique romaine est régie par le code de Droit canonique dont la dernière version date de 1983. Dans la rubrique « Obligations et droits de tous les fideles », le canon n° 208 précise que « du fait de leur régénération dans le Christ, il existe quant à la dignité et à l’activité, une véritable égalité » entre tous les fidèles. Pourtant jusqu’à ces derniers jours, le canon n° 230 §1 stipulait : « les laïcs hommes qui ont l’âge et les qualités requises établies par décret de la conférence des Évêques, peuvent être admis (…) aux ministères de lecteur et d’acolyte ». Pas les femmes. Or la question avait été abordée dès le Concile Vatican II et plusieurs constitutions et décrets semblaient entrouvrir la porte de certains ministères, aux « laïcs » sans distinction de sexe.
C’est d’ailleurs ainsi que des femmes se sont retrouvées en charge de ces attributions, le plus souvent par manque de clercs ou de laïcs masculins pour les exercer, instituées par des accords locaux. Mais sous l’impulsion récente d’un ultra cléricalisme délétère, lié aux effets du repli identitaire, dans certains diocèses, y compris en France, les femmes ont été rejetées de ces responsabilités.
Le pape François a choisi de modifier cette situation. Désormais, grâce au Motu proprio Spiritus Domini, publié le 11/01/2021, la « qualité » masculine n’est plus nécessaire. L’égalité de tous les laïcs est enfin reconnue.
Que sont ces fonctions auxquelles les femmes accèdent enfin « officiellement » ?
Selon Ministeria quaedam qui date de Paul VI : « Le lecteur est chargé (…) de lire la parole divine devant l’assemblée. Il proclame les saintes Écritures à l’exception de l’Évangile ; (…) en l’absence de diacre, il présente les intentions pour les intercessions générales ; il dirige les chants et la participation des fidèles…». Les acolytes sont institués pour servir à l’autel et aider le prêtre et le diacre. Dans ces fonctions, ils sont revêtus de l’aube.
Les femmes peuvent donc aujourd’hui servir dans le chœur, sous certaines conditions. Celles-ci sont précisées par décret de la Conférence des Évêques. Celui en cours précise que l’âge minimum requis est de 25 ans et exige une « bonne réputation » et les compétences nécessaires. (Il est donc clair, au premier regard, que Spiritus Domini ne changera rien sur l’accueil ou le refus de fillettes comme « enfants de chœur »).
La situation ainsi cadrée, la question se pose alors : ce motu proprio est-il un progrès dont il faut se réjouir ?
Si l’on examine l’assemblée ecclésiale dans son universalité, il faut évidemment s’en réjouir. Cette décision abolit la discrimination dont les femmes étaient l’objet et affirme la reconnaissance de leur présence jusqu’au lieu le plus sacré de la célébration liturgique. Bonne Nouvelle !
Mais faut-il fêter ce motu proprio au champagne ? Je ne le crois pas. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que, s’il est sain de réparer une injustice, revenir sur une faute n’est pas une occasion de fête en soi.
Ensuite, cette reconnaissance nécessaire n’est pas suffisante, loin s’en faut, et, sans développements, elle risque de rater son but.
Le chœur et le cœur des célébrations deviennent accessibles aux laïc.ques, en pleine cohérence avec la démarche du pape François qui veut décléricaliser notre Église.
C’est précisément ce pour quoi je milite au sein du collectif Toutes Apôtres ! créé, à la suite d’Anne Soupa, en juillet 2020.
Il ne s’agit pas de se tromper de projet : la participation des femmes doit permettre d’ouvrir le partage des charges à tous les baptisés ; pas forcément de cléricaliser toutes les fonctions.
Or pour décléricaliser l’Église, il n’est pas suffisant de pallier l’absence de « main d’œuvre de base ». Comme au milieu du XXe siècle dans l’enseignement public, les femmes vont être désormais admises à des postes qui n’attirent plus les hommes. Cela ne suffira pas.
Le pape veut à juste titre remobiliser les troupes… Il fait un appel officiel aux femmes. Soit ! Mais alors suivons ses suggestions et décléricalisons jusqu’au bout.
L’Église catholique manque cruellement de personnes en charge de paître les brebis du Seigneur. Des laïcs, hommes et femmes, formés à la théologie, disposant de charismes réels, pourraient enseigner la Parole, pourraient assurer la gouvernance d’une paroisse, d’un diocèse. Des initiatives, des propositions, fleurissent avec Toutes Apôtres !, Oh my Goddess, Voices of faith, Donne per la Chiesa, Maria2.0,… Quelle réponse donne l’institution autre que celle de son silence effarouché ?
La désertification de l’encadrement est sans doute liée à la perte de pouvoir social, mais aussi aux nombreuses erreurs et fautes commises par l’institution. De plus, elle entre en résonance avec ce qui a fait fuir une immense partie du Peuple de Dieu, écœuré par trop de discriminations, d’entre-soi, sans parler des horreurs de la pédocriminalité et autres abus sexuels, spirituels, que la hiérarchie ne peut plus taire.
Enfin, l’épidémie de Covid 19 a entrainé une chute considérable de la pratique dominicale. Cette désagrégation du tissu ecclésial ne se restaurera pas d’un coup de baguette magique car elle vient s’appuyer sur une tendance déjà enclenchée.
Il va falloir trouver une autre manière de « faire Église », plus vivante, plus solidaire, plus ouverte. Et pour cela, la seule issue sera sans doute un retour au modèle des communautés primitives. Or dans ces premières assemblées : pas de prêtres, mais des gens pleins de foi et d’enthousiasme qui se réunissaient et partageaient l’enseignement de foi, le pain, l’entre-aide. Les presbytres étaient simplement des « anciens » ; les femmes -comme le montre st Paul- avaient toute leur place, y compris à la tête d’une communauté comme Phoébé à Cenchrée.
La nomination des femmes aux postes de lectorat et d’acolytat est un acte symbolique fort s’il montre que l’Église est prête à abandonner ses vieilles recettes hiérarchiques sclérosées. Ainsi reçu, ce motu proprio est un encouragement. Il devient la petite larme qui fait déborder le lit du fleuve et permet de rompre les amarres pour découvrir le grand large. Sinon, il reste la sucette que l’on donne à l’enfant qui pleure de faim. Elle le fait taire ; elle ne le nourrit pas.
Sylvaine Landrivon
Théologienne, docteure en théologie
Membre de Toutes apôtres !
La problématique reste entière, comme vous le formulez dans votre conclusion “ce motu proprio est un encouragement. Il devient la petite larme qui fait déborder le lit du fleuve et permet de rompre les amarres pour découvrir le grand large. Sinon, il reste la sucette que l’on donne à l’enfant qui pleure de faim. Elle le fait taire ; elle ne le nourrit pas.” Vous parlez, en invoquant le droit canon de 1983, de l’égalité hommes-femmes. Mais il y en a qui sont plus égaux que d’autres. Toutes et tous sont appelés à la mission, mais chacun à sa place. Ils sont au pouvoir, elles sont au service.