Présentation du livre Les leçons de Béthanie

(un lien vidéo sera prochainement disponible)

Depuis la fin des premières communautés pauliniennes, la place des femmes dans l’Église a rompu avec sa conformité à l’enseignement de Jésus. Certes au milieu du XXe siècle, Vatican II a ouvert quelques portes mais… Inter insigniores, puis Jean Paul II avec Mulieris Dignitatem et tant d’autres interventions, ont eu tôt fait de ramener les femmes dans l’espace domestique. Pour la hiérarchie catholique, la « dignité de la femme » réside dans sa maternité, dans sa cuisine, et si possible dans son silence. Alors, comme l’institution persiste dans son refus d’accorder aux femmes (et aux laïcs en général) des responsabilités égales à celles des clercs, j’ai choisi de changer mon approche et j’ai rejoint le mouvement suscité par la candidature d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon en mai 2020. Déjà membre du Comité de la Jupe, je me suis présentée à sa suite, comme évêque laïque d’un diocèse virtuel[1], et j’ai intégré l’équipe de Toutes Apôtres !. Comme certains s’en souviennent, cela m’a valu une menace de mort, qui n’a fait que me conforter dans l’urgence d’agir.

Mais j’avais besoin d’expliquer ce nouvel engagement pour notre Église. J’ai donc décidé de reprendre le texte du Nouveau Testament et d’étudier de plus près, les échanges de Jésus avec ses amies femmes ; c’est pourquoi j’ai écrit ce livre moins universitaire mais plus incisif peut-être que les précédents.

Trois grands axes structurent ma démarche.

1/ J’ai voulu d’abord de montrer qu’en dépit d’un discours formaté, les femmes sont de solides alliées de Jésus dans la transmission de son message. Et je me consacre dans ce livre à ce que j’appelle Les leçons de Béthanie.

A Béthanie nous sommes chez Marthe, dans une famille composée de deux sœurs et de leur frère. Jésus, leur ami,  a été appelé car Lazare malade a besoin de ses dons de thaumaturge. Bien que, le temps passant, Lazare soit soumis à la mort, Marthe et Marie espèrent encore, et tandis que Marie respecte les lois du deuil et se tient à la maison, Marthe, plus énergique part à la rencontre de son ami Jésus, qu’elle est certaine de trouver cheminant vers elles. Elle entreprend une grande conversation avec son ami.

2/ Dans cet exposé de la compréhension de QUI est Jésus, mon travail révèle d’abord la finesse d’analyse de Marthe. Dans son échange avec Jésus, elle structure toute notre perception christologique. Autrement dit, en suivant leur conversation, nous comprenons qui est le Christ pour elle, et donc, pour nous.

Et puis nous découvrons sa sœur, Marie : cette jeune femme qui attend, qui écoute, qui apprend. Elle est celle qui répand du parfum sur les pieds de Jésus dans l’évangile de Jean.

Bien sûr, il n’est pas question de l’assimiler à la prostituée décrite par Luc, qui –elle aussi- répand du parfum sur les pieds de Jésus. Le texte des chapitres 7 et 8 de Luc est assez éloquent, pour qu’il ne soit pas nécessaire de revenir sur cette superposition de Marie avec une “pécheresse”, instrumentalisée à des fins moralisatrices visant à sexualiser les femmes. Je l’ai dénoncé dans plusieurs livres précédents dont Marie Madeleine la fin de la nuit.

Mais le piège dans lequel beaucoup sont tombés -dont moi- est là. Dans la terreur d’amalgamer indûment la pécheresse décrite par Luc avec d’autres amies de Jésus, nous nous laissons emporter par des traductions qui nous font dissocier, peut-être trop vite, deux femmes nommées Marie : celle qui vient de Béthanie et celle nommée la Magdaléenne, expression traduite à tort par « de Magdala ».

Cette dissociation entre la prostituée décrite par Luc et Marie peinte par Jean, est essentielle, et c’est un immense travail de déconstruction de 15 siècles d’exploitation d’une certaine vision des femmes. Mais je vais au-delà dans ce livre, et je cherche à mettre en évidence, le lien entre la sœur de Marthe et l’autre Marie qui apparaît plus loin dans l’évangile de Jean. Il se pourrait que ce soit la même et cela expliquerait la proximité de Jésus avec cette famille de Béthanie. En effet, nous savons par les évangiles que Marie la Magdaléenne a été guérie d’une possession. Cela justifierait la reconnaissance de tous les membres de cette famille, les liens d’amitié, voire les affinités particulières entre Jésus et elle.

Mais s’il ne s’agit que d’une seule et même femme, il faut montrer l’intérêt de cette hypothèse.

Nous découvrons alors, que l’expression « è Magdalènè », qui suit le nom de Marie dans tous les évangiles, ne fait pas référence à une ville : aucune n’existait encore sous ce nom de Magdala du temps de Jésus.

Des raisons grammaticales dans le texte grec appuient cette hypothèse. Marie n’est jamais dite « de Magdala » avec la préposition grecque apo, comme quand il s’agit d’indiquer une provenance, (ce que d’autres exemples illustrent : Joseph d’Arimathie, Lazare de Béthanie…) mais toujours nommée « la Magdaléenne ». L’expression Magdalènè, qui désigne cette femme, est un qualificatif substantivé pour la définir.

Magdalènè, par son étymologie : migdal, en hébreu, veut dire « la tour ». Le mot fait signe vers une élévation, vers un rôle de « gardienne », et c’est ce qu’expliquaient déjà saint Jérôme (IVe s.) ou saint Thomas, (XIIIe s.). Dès lors on comprend que Marie est distinguée comme la Magdaléenne : « la tour », celle qui veille, qui domine peut-être, comme Judas sera nommé l’Iscariote (le sicaire, le tueur à gages), ou Céphas qui devient, le roc, Pierre.

Par conséquent, s’il s’agit bien de sa qualification, elle peut tout à fait résider à Béthanie et être cette amie particulière de Jésus qui sera présente tout au long de son parcours.

Luc précise dans son chapitre 8 que « Les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens. ». Cette information ne contrevient pas à l’hypothèse que je suggère, puisqu’il est assez peu probable que les femmes mentionnées par Luc, dont l’épouse de l’intendant d’Hérode, aient choisi une vie d’itinérance. Tout laisse au contraire penser, que ces femmes sont des notables, amies entre elles, que Jésus a guéries et converties.

Dès lors, voici qu’une femme appelée Marie, vivant chez sa sœur Marthe, avec son frère Lazare, se trouve impliquée dans l’annonce de la Passion, et que la même, devient dépositaire de la Résurrection… Cela justifierait cent fois que Jésus la choisisse comme première apôtre et qu’elle obtienne son titre « d’apôtre des apôtres » pour toujours.

Il nous faut alors aborder l’intérêt de cette proposition avec une illustration et son enseignement.

2.1/ Marie, lors de la scène de Béthanie est à genoux aux pieds de Jésus, comme un élève devant son maître. Elle n’a pas encore verbalisé tout ce que dit sa sœur, et cependant, une affinité spécifique la relie à Jésus qui s’enquiert d’elle auprès de Marthe. : « elle s’en alla appeler sa sœur Marie, lui disant en secret : “Le Maître est là et il t’appelle.”Celle-ci, à cette nouvelle, se leva bien vite et alla vers lui. » (Jn 11.28-29)

Sa sensibilité même émeut Jésus comme si une relation particulière les unissait : « Lorsqu’il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l’avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit, et se troubla. » Cette relation d’intimité permet peut-être à Marie d’aller plus loin encore que sa sœur sur le chemin de la rencontre. Parce qu’elle comprend le message de manière holistique, intellect, âme, corps et sensibilité, elle est apte à devenir « la tour », « la gardienne », la Magdaléenne. C’est elle qui se tiendra debout au tombeau face au Ressuscité.

Le Christ l’appellera par son nom, comme il l’a fait pour Moïse, comme il le fera pour Paul, et pour chacun de nous ; et puis il l’enverra en mission avec un message doublement profond : « va vers mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père, qui est votre Père » Non seulement le Messie attendu est venu nous sauver, mais Dieu, son Père, est NOTRE Père ; autrement dit, nous sommes toutes et tous, frères et sœurs, dans une horizontalité de filiation qui abolit toute hiérarchie.

Enfin chez Jean, on remarque que Marie va au tombeau les mains vides ; comme si le parfum de l’ensevelissement n’était plus nécessaire à celle qui a déjà embaumé son ami en lui déposant le nard précieux sur les pieds. (Le choix de l’onction sur les pieds et non sur la tête n’est pas neutre. Il dit déjà la claire compréhension de l’inversion d’une royauté qui n’est pas de type politique). Plus besoin d’onguents, donc ; et de fait, c’est vivant qu’elle le retrouve pour un face à face qui est l’illustration suprême de la rencontre.

2.2/ Ainsi relu, l’enseignement de ce récit devient limpide pour nous montrer ce que le Verbe de Dieu fait pour nous et ce qu’il attend de nous.

Dans un chapitre un peu aride, j’explique comment Jésus vient à notre rencontre en acceptant tous les affronts. Lui seul sait que nous sauver va l’obliger à affronter la mort. Marie, assise à ses pieds l’a perçu. Mais Jésus ne nous veut pas à genoux ; il nous veut debout et dignes. C’est pourquoi il vient nous « relever », comme il relève Marie à Béthanie. C’est ce mouvement de redressement, qu’illustre le comportement de Marie. Comme pour Marie, Jésus nous invite à notre divinisation jusqu’au moment où il nous appelle par notre nom.

Donna Singles, spécialiste de st Irénée, a écrit un fameux livre qui explique l’importance de croire en étant debout, parce que nous sommes toutes et tous « image et ressemblance » d’un Dieu qui nous aime assez pour nous vouloir libres et prêts à grandir jusqu’à lui. Le livre de Donna Singles s’intitule L’homme debout. Le credo de saint Irénée[2].

DONC, si Marie de Béthanie EST Marie la Magdaléenne, ce constat est lourd de conséquences, dans le regard à porter sur cette apôtre et sur les femmes à sa suite.

Cette figure n’est cependant pas une découverte. Elle avait été bien décrite dans un évangile apocryphe, L’évangile selon Marie, rédigé probablement au IIe siècle. Mais celui-ci, bien que vraisemblablement diffusé très tôt en Orient (Romanos s’en inspire sans doute pour parler très joliment de Marie-Madeleine) a mis plus de 1500 ans pour réapparaître au début du XXe siècle, et encore : bien amputé.

Sans le valoriser plus que nécessaire, remarquons tout de même que ce texte enseigne une intéressante posture de supériorité de l’amie de Jésus. (« Dans cet évangile, le Sauveur transmet d’abord ouvertement son enseignement à ses disciples, puis il les quitte. Les disciples étant dans l’angoisse, Marie-Madeleine se lève pour prendre la parole et les consoler. Elle leur fait part d’un enseignement secret qu’elle seule a reçu du Maître. Ceci provoque une réaction violente de Pierre, qui refuse de croire que le Sauveur ait pu transmettre un enseignement à une femme à l’insu de ses disciples. »)

3/ Et c’est là qu’apparaît le troisième axe de mon étude. Les relations des femmes avec Jésus, fondent ma conviction que leur collaboration est nécessaire à la transmission de l’Évangile. Elles sont également indispensables contre le cléricalisme qui détruit le christianisme depuis des siècles. Inutile de rappeler les constats dramatiques que la commission dirigée par Jean-Marc Sauvé a mis au grand jour. En sortir, exige une implication égalitaire de femmes et d’hommes laïcs dans toutes les instances religieuses.

Pourquoi ne l’avoir pas mis en évidence auparavant ? Parce que nous lisons l’Écriture en étant formaté.e.s par les biais masculinisants de l’institution.

Plus de 10 années d’études de théologie m’ont appris qu’à de rarissimes exceptions près, on n’étudie pas les personnages féminins de la Bible. Seules Esther et Judith ont échappé à la néantisation, grâce à un seul exégète durant un enseignement de second cycle.

Pour mettre en évidence l’apport des femmes dans l’Évangile, leur nécessaire présence dans notre Église, il m’a donc fallu travailler en empruntant d’autres chemins qui se défrichent lentement.

Or, si Jésus transmet le cœur du kérygme (= ce qui constitue l’essentiel de ce qu’il convient de croire pour être chrétien), à Marthe, puis « l’apôtre des apôtres » autrement dit Marie-Madeleine, aussi bien qu’à Pierre ou à Paul, doit-on être tellement surpris que l’institution catholique en acquérant du pouvoir ait éliminé ces femmes des postures éminentes qui leur sont données par Jésus ? La tradition n’a-t-elle pas très vite masculinisé le nom de la collaboratrice de Paul -mentionnée dans sa lettre aux Romains-, de Junia en Junius, du seul fait que Paul la nommait « apôtre » [3]?…

Forte de ce travail sur l’Évangile, et aiguillonnée par mon engagement, j’ai alors cherché quelques propositions pour aujourd’hui.

De grands exégètes, philosophes, théologiens, historiens, hommes et femmes, travaillent aujourd’hui à reconstruire le message de l’Évangile, que l’institution a souvent broyé dans un orgueil qui, depuis des siècles, confond service et pouvoir, humilité et humiliation… En m’appuyant sur ces études récentes, en les rejoignant parfois dans ma propre recherche, je dénonce les dérives cléricales qui ont confondu sainteté et sacralité pour ne réserver qu’à quelques élus, le droit d’enseigner, de gouverner l’assemblée ecclésiale.

Mais dénoncer est assez facile. Encore faut-il proposer de nouvelles voies. Marie-Françoise Baslez a publié un dernier livre qui décrit les Églises à la maison au cours des premiers siècles[4]. Nos réflexions se rencontrent. Car c’est peut-être bien de ces tout premiers moments, durant lesquels le message de Jésus gardait encore sa puissance, qu’il nous faut repartir… En ce temps où personne n’était laissé à la porte, où nul ne s’arrogeait le droit de se prendre pour le Christ lui-même, mais où chacune, chacun, avait vocation à transmettre sa Parole, toute sa Parole, dans une assemblée où seul l’amour du prochain avait un sens, où il n’y avait pas de hiérarchie, et où Paul précisait qu’il n’y a « ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus ». (Ga 3,28).

C’est pour retrouver cette Église, que je me suis engagée dans les interventions militantes au sein du Comité de la Jupe, de Toutes apôtres !,… pour demander à notre institution dans ce temps synodal, de reconsidérer ses choix en matière de transmission, de gouvernance, puisque par le baptême, chacune, chacun devient prêtre, prophète et roi ou reine.

J’espère que ce livre saura porter mes convictions et les faire partager. Je suis prête, pour cela, à en débattre.

Voir la recension proposée par Anne Soupa sur la newsletter de mars du Comité de la Jupe au moyen du lien ci-dessous :

https://sh1.sendinblue.com/algrn6ro1xpfe.html?t=1648540617

[1] D’où la création du site e-diocese.fr

[2] Donna Singles, L’homme debout : le credo de saint Irénée. Paris, éditions du Cerf, 2008, 159p.

[3] Voir sur ce sujet, le livre de Michel Quesnel, Paul et les femmes. Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire, Paris, Médiaspaul, 2021.

[4] Marie-Françoise Baslez, l’Église à la maison. Histoire des premières communautés chrétiennes. Ier-IIIe siècle, Paris, Salvator, 2021, 203p.

2 réponses pour “La Procure le 24/03/2022 Les leçons de Béthanie”

  • Vous écrivez : « Nous découvrons alors, que l’expression « è Magdalènè », qui suit le nom de Marie dans tous les évangiles, ne fait pas référence à une ville : aucune n’existait encore sous ce nom de Magdala du temps de Jésus. »
    A propos de la ville de Magdala, j’ai deux questions à vous poser :
    1. Puisque la ville de Magdala n’existait pas « encore », cela signifie qu’elle existait à une date ultérieure. Pouvez-vous expliquer, preuves à l’appui, à partir de quand a commencé à exister cette ville ?
    2. Quelles preuves pouvez-vous fournir que le territoire de Magadan, dont il est question au verset 39 du chapitre 15 de l’Evangile selon saint Matthieu, n’a rien à voir avec la ville de Magdala alors que certains biblistes conjecturent le contraire ?
    Merci.

    • Bonjour et merci de votre intérêt pour ce sujet. Vous trouverez les réponses à vos questions aux pages 87 et 88 de mon livre. J’évoque bien sûr Mt 15,39 mais je ne me fonde évidemment pas sur des “preuves”.J’étudie cette hypothèse et j’explique pourquoi elle me semble aller dans le sens de mon étude. Si vous ne pouvez pas vous procurer le livre, je vous transmettrai en MP les pages concernées. Bien à vous, sylvaine

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