Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020.

Recension par Sylvaine Landrivon

Combien d’analyses faudra-t-il pour percer les secrets de cette épître adressée aux Hébreux quelques années après la mort du Christ ? Sa conception du sacrifice du Christ en fait un texte à part de l’ensemble des écrits du Nouveau Testament ; comment dès lors revenir sur ses interprétations dont l’incomplétude nuit au partage de la Bonne Nouvelle ?

Après l’imposant commentaire de Jean Massonnet (494p) paru en 2016, Martin Pochon choisit un nouvel angle d’approche pour étudier la présentation sacerdotale du Christ et montrer que « loin d’être un terme théologique, [cette lettre] se révèle être l’approfondissement d’un préalable » (p.701). En effet, ce livre va mettre en évidence l’importance de confronter les enseignements de cette épître et ceux des Evangiles afin de ne pas suivre la Lettre jusque dans son incitation à « inverser le sens de la Cène comme l’a fait le concile de Trente » (p.700).

Le volume comporte 724 pages que l’auteur entame par une mise au point concernant le tournant pris par la théologie dogmatique à l’orée du concile Vatican II. On s’éloigne enfin d’une dérive valorisant l’obéissance et les souffrances du Christ comme prix de notre rachat pour mieux honorer la Cène et la résurrection. En ce sens, affirmer que « la mort n’est pas un châtiment mais un passage en Dieu » (p.14) viendra orienter différemment le concept de sacrifice du Christ et la façon dont il est vécu dans la liturgie. Il aura fallu près de quinze siècles pour y parvenir. Ce nouvel axe de compréhension entériné par le Concile renforce la position des Évangiles contre celle de la Lettre dont l’auteur connaît très peu la vie de Jésus, et permet de reposer à nouveaux frais la question qui sous-tend tout l’ouvrage : le Christ dans sa mort, nous obtient-il la faveur de Dieu ou nous manifeste-t-il sa miséricorde ?

L’analyse acérée de Martin Pochon va révéler comment comprendre qu’à distance des orientations développées dans l’épître, le processus de don doit s’inverser en comprenant que Dieu le Père n’exige rien ; Il nous donne son Fils qui se donne lui-même. Comme le développe le quatrième évangile, Jésus « pain vivant descendu du ciel », offre à tous ses disciples (y compris au traitre Judas ou au lâche Pierre) ce qu’il tient du Père. L’ouvrage va interroger sur ce point une possible conciliation entre ce que rapportent les évangiles et la Lettre aux Hébreux puisqu’avec le témoignages des apôtres, le sacrifice du Christ prend désormais une nouvelle dimension en s’ouvrant aux pécheurs et en s’exposant comme signe efficace de sa présence et de son amour.

Quid alors de la fonction sacerdotale orientée vers la purification et la rémission des péchés ? En quel sens Jésus est-il prêtre ? Fallait-il que son sang fût versé pour inaugurer l’alliance nouvelle ?

Six grands chapitres permettent de mieux cerner la figure du prêtre dans cette épître, de questionner la centralité accordée au devoir d’obéissance, et surtout de comprendre les conséquences théologiques du fait d’avoir privilégié le choix de la fête de Yom Kippour à celle de la Pâque.

Par une approche enracinée dans les évangiles, l’étude est serrée et ne quitte jamais le questionnement de cette épître résolument tournée vers le Lévitique et le Premier Testament pour encourager une théologie qui ne devrait plus avoir cours désormais.

Pour mieux explorer les intentions de la Lettre, Martin Pochon rappelle ce qui est admis concernant sa date de rédaction et son auteur. Plusieurs étapes d’élaboration semblent acquises dont une partie antérieure à l’année 55, et l’ensemble fut sans doute rédigé avant la chute du Temple en 70. L’auteur, issu des communautés pauliniennes, n’a pas connu directement Jésus et ignore les récits de la Résurrection. En outre, l’absence de prise en compte du baptême dans l’Esprit laisse penser qu’Apollos en est un ou le rédacteur, lui qui ne l’a découvert que par l’enseignement de Priscille et Aquilas. Cette ignorance d’un corpus évangélique, -qui n’est d’ailleurs pas encore fixé par écrit-, se traduit par exemple par l’absence de référence à l’amour des ennemis et surtout par le fait que les évangiles n’accordent pas une telle importance à la dimension sacerdotale mais valorisent plutôt l’identité filiale de Jésus, leur but étant d’engendrer une humanité fille de Dieu. Certes cette filiation divine est posée dès le début de la lettre, mais sous ce titre singulier de « prêtre pour l’éternité à la manière de Melchisédek » qui « nous place devant une nouvelle identité de Jésus qui est en quelque sorte pour lui l’accomplissement de sa filiation et de son itinéraire terrestre » (p. 60). Dans la Lettre, son élévation sacerdotale ne lui sera attribuée qu’au terme de sa mission et fait de lui le « prêtre, médiateur et intercesseur entre les hommes et Dieu » à l’instar des grands-prêtres de la première Alliance (p. 61).

Martin Pochon mettra en évidence trois lieux de rédaction et trois étapes dans la pensée théologique de l’auteur de la Lettre. La partie centrale, composée des chapitres 7 à 10, -sans doute la plus ancienne-, semble destinée à des auditeurs de Jérusalem : des juifs non convertis. Elle se fonde sur les rites de Kippour, sur le Lévitique.

Un deuxième temps semble correspondre à l’activité apostolique de l’auteur voyageant vers Corinthe ou Ephèse. Une nouvelle influence s’exprime dans la composition des cinq premiers chapitres et « dans cette phase d’élaboration théologique, l’auteur, qui pourrait être quelqu’un comme Apollos, a pu bénéficier d’apports de disciples » (p.496), dont Paul bien sûr. Mais contrairement à Paul, l’auteur privilégie en permanence la posture d’absolue soumission du Christ à son Père.

Ce n’est que dans un troisième temps que le texte adopte une tonalité nouvelle, s’enrichit des derniers chapitres et prend la forme d’une lettre dans laquelle le rédacteur invite ses lecteurs à la persévérance et à la foi dans les biens à venir.

Comment entrer dans la complexité d’un tel parcours ?

Avec pédagogie, Martin Pochon nous fait cheminer dans cette Lettre en pointant ses limites qu’un recours constant aux évangiles vient souligner afin de les corriger. Tout le travail théologique du bibliste jésuite va consister à démontrer que L’épître aux Hébreux inverse le sens de l’économie du salut en voulant obstinément affirmer que « le salut est accordé par Dieu en réponse à l’offrande de lui-même faite sur la croix » (p. 247). Or les évangiles en nous rendant témoins de la Cène, du lavement des pieds, nous enseignent l’inverse, à savoir que le don de Dieu en son Fils est premier ; ce qui change totalement notre manière de vivre notre foi. Ce « fil rouge » sera celui de toute cette étude.

Selon le texte de la Lettre, Jésus est prêtre par l’accomplissement obéissant de son titre de Fils. « Dieu fait vivre l’abaissement et l’humilité à son fils pour lui apprendre l’obéissance et c’est la perfection de son obéissance qui scelle sa perfection de fils » (p. 69). L’insistance sur ce thème imposera un examen approfondi durant tout un chapitre. Dans cette posture, quelques présentations de titulatures interpellent. Ainsi « très curieusement, l’auteur de la Lettre aux Hébreux ne choisit pas la figure messianique du Serviteur » (p. 68).Cette approche ambiguë des figures messianiques de Jésus nous ferait presque oublier que les évangiles ne donnent jamais le titre de prêtre à Jésus.

Pour honorer l’affirmation paulinienne d’un Christ mort pour nos péchés, l’auteur de la Lettre veut mettre en évidence la fonction de messie sacerdotal afin de le légitimer comme grand-prêtre dont l’œuvre principale sera de réaliser la purification des péchés. Or pour le dissocier de la tribu de Lévi, il recourt à la figure de Melchisédek, bien que l’offrande à la divinité ne soit pas la fonction première de celui-ci qui vient plutôt pour bénir Abram et offrir son ambassade de justice et de paix. De façon assez paradoxale, alors que la charge sacerdotale de Melchisédek se distingue nettement de celle des lévites dont n’est retenue que la bénédiction, la Lettre aux Hébreux tout en s’y référant, conservera le schématisme lévitique en présentant le Christ comme celui qui agit en pure obéissance et qui verse son sang en sacrifice. Ce qui incite Martin Pochon à remarquer que la conception de Dieu qui irrigue la Lettre est celle qui « conduit le lévite à mettre l’offrande avant la charité due au prochain, avant la réconciliation entre les frères, ce que ne fera pas le Christ » [cf Mt 5.23-24], (p. 90).

En outre, si l’auteur de la Lettre note une incomplétude que Jésus vient corriger, il ne pointe pas le rôle de médiation qui vient tisser des liens entre les humains, et entre le Dieu Très-Haut et l’ensemble des vivants. Rien n’est dit non plus du caractère strictement végétal de l’offrande partagée par Melchisédek. Ainsi faut-il convenir que le « à la manière de Melchisédek » de l’épître aux Hébreux ne respecte pas le texte de la Genèse et l’instrumentalise en l’interprétant pour servir sa propre théologie dont le but est d’attribuer au Christ une fonction sacerdotale selon le schéma du Lévitique, et de n’exploiter du personnage biblique que « son statut de prêtre non lévite [et non] l’originalité de son sacerdoce. » (p.101).

En se focalisant sur la soumission et l’obéissance du Christ qui l’élèvent au titre de Grand-Prêtre, l’auteur de la Lettre déplace déjà l’accent sur les souffrances et la mort du Christ ; parti pris à partir duquel il va déployer la symbolique du sang tout au long des chapitres 8 et 9 de l’épître au service de la purification des péchés.

Martin Pochon consacre son chapitre 2 à l’examen de ce que la Lettre expose comme la mission première de Jésus : purifier. L’exercice d’équilibriste du rédacteur consiste à reprendre l’esprit du Lévitique dans une démarche paulinienne, ce qui modifie les postures puisque d’un côté ce sont les hommes qui œuvrent à se rapprocher de Dieu alors qu’avec le Christ, c’est Dieu qui se fait proche des humains. La « prêtrise » de Jésus doit donc être entièrement réinterprétée. Parmi les huit déplacements relevés par Martin Pochon, le sixième concerne le fait que cette « fonction sacerdotale est accomplie une fois pour toutes » (p.118). Mais le schéma global du Lévitique est conservé en ce que le Christ accomplit la charge de médiateur en se faisant semblable aux hommes pour les conduire à Dieu et que par son sacrifice il vient libérer l’humanité. Le lien avec le jour des pardons : Yom Kippour devient patent, le Christ à l’instar du grand-prêtre entrant dans la « tente céleste » pour notre salut.

En développant les harmoniques de la symbolique du sang, nous explorons ce qui en est dit dans le Lévitique, puis la manière dont cette « effusion de sang » du Fils scelle une fois pour toutes la Nouvelle Alliance. Selon cette logique, elle ne peut s’accomplir que dans la mort du testateur puisque « l’ancienne [Alliance] conclue avec Moïse nécessitait déjà l’effusion de sang » (p.151). Cependant en Exode la mort ou la souffrance de Moïse n’est pas requise. Ce qui fait dire à Martin Pochon qu’« en considérant l’alliance sous le mode du testament et de la mort, l’auteur fait basculer les rituels de communion du côté des rituels d’expiation » (p. 153) et induit que la mort devient la condition de l’alliance.

Martin Pochon reviendra sur la symbolique du sang lors du chapitre 5 pour montrer comment un autre registre sacrificiel peut être ouvert. Mais son analyse aborde déjà cette même approche du sang à partir du quatrième évangile puis des synoptiques pour montrer la contradiction qui soudain saute aux yeux. L’évangile de Jean nous enseigne que « si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’Homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie » (Jn6.53) Jean poursuit ici la métaphore du pain qui rassasie car il ne s’agit pas de purifier mais de nourrir. Le but est d’accueillir en soi la vie du Christ, de communier à sa vie, comme les synoptiques l’exposeront lors de la Cène. Or, comme le note M. Pochon, « oser dire « celui qui boit mon sang vivra », c’était prendre le contrepied de la symbolique des prescriptions du Lévitique : « je tournerai ma face contre celui qui mange le sang et je le retrancherai du milieu de son peuple (Lv17.10) » (p.163). De ce fait, l’invitation à boire du sang qui est absolument irrecevable dans la culture juive qui entoure Jésus -mais qui symbolise le don de Dieu pour nous à incorporer à notre propre vie-, s’oppose au sang versé en sacrifice. « On comprend dès lors que le Christ ait choisi la fête de la Pâque et non celle du Kippour pour vivre sa passion ; il nous en a donné le sens dans un mémorial. La purification des péchés est la conséquence de la communion offerte, elle n’en est pas la condition. (p.168). Ainsi, là où la Lettre pointe un sacrifice de purification, les évangiles orientent vers un sacrifice de communion, car la mission du Christ est de faire découvrir aux hommes la manière dont ils sont aimés par le Père et non d’infléchir sa volonté par l’exécution d’un rite. « Ce ne sont plus les hommes qui offrent à Dieu une victime, c’est Dieu qui, en son Fils, victime des hommes, s’offre aux hommes. » (p.178). Notre action en retour consiste à accepter ce don du Père en son Fils.

Ce qu’omet la Lettre, c’est la centralité de la Cène qui récapitule tous les sacrifices de la première Alliance. Et « c’est parce que Jésus inverse le mouvement de l’offrande qu’il peut réunir en un seul acte la visée de tous les sacrifices de l’ancienne alliance » (p. 192). Ainsi, « les évangiles ne rapportent que deux rituels : celui de la Cène et celui du lavement des pieds ; tous deux hors du Temple ;  (…) hors du Temple car ce n’est pas l’homme qui tente de s’approcher de Dieu, c’est Dieu qui vient à la rencontre de l’homme, là où il demeure, dans l’état qui est le sien. » (p.193). Mais l’auteur de la Lettre ignore cette Bonne Nouvelle et demeure dans la problématique générale du Lévitique.

Le chapitre 3 va interroger le rôle du Psaume 39/40 dans le schéma sacrificiel de l’épître autour des termes de sacrifice, d’offrande et d’holocauste. La Lettre interprète toute la passion du Christ à la lumière d’un sacrifice pour les péchés ; « il a vécu son offrande en accomplissant totalement la volonté de Dieu. Dans sa mort, tout est accompli une fois pour toutes » (p.233). Mais au contraire de la problématique que déploie l’auteur de la Lettre, le psalmiste nous aide à nous demander si Dieu incite à changer la matière du sacrifice. Est-ce le dernier ou bien attend-il de nous que nous nous engagions pour la Vie, en aimant notre prochain, voire nos ennemis (ce que l’épître n’envisage jamais). Car le Psaume, contrairement à l’épître, rappelle que le don de Dieu est premier, sans attente de contrepartie. Dieu « sauve l’homme gratuitement et n’attend en reconnaissance que la louange de l’homme, l’annonce de son amour et de sa vérité, de sa justice, de sa tendresse et de sa fidélité ». (p. 240). La lecture des sacrifices d’expiation, tels qu’énoncés dans la Lettre fait, au contraire, de la croix, une offrande. « L’offrande, selon la Lettre, n’est donc pas une offrande de Dieu à l’homme ou du Christ aux hommes au nom de Dieu, c’est une offrande à Dieu » (p. 257), ce qui modifie à la fois le sens du psaume et celui de la Passion, en incitant les lecteurs de l’épître à contempler la croix comme une offrande au Père, ce qu’ont fait –dociles- la plupart des Pères de l’Eglise, oubliant que ce qui plaît à Dieu, ce n’est pas le sang versé mais que nous nous aimions et pratiquions la justice en son nom. En fait, l’auteur de la Lettre « donne au Christ le statut de grand-prêtre car, selon les Ecritures, il faut un prêtre pour exécuter les rites de purification des péchés et il n’attribue à ce grand prêtre qu’une médiation ascendante, alors que selon les évangiles, faisant la volonté du Père, Jésus est l’expression du Père, il exerce une médiation descendante. » (p.284).

L’approche des ennemis, contradicteurs et adversaires, objet du quatrième chapitre met en évidence l’intervention probable d’Apollos par sa prise en compte du couple obéissance/châtiments plus proche de l’enseignement de Jean le baptiste que de celui de Paul. Dans la Lettre, la conversion n’est jamais optionnelle ou suggérée ; « les interlocuteurs sont mis immédiatement devant l’alternative : se convertir ou le pire des châtiments est à craindre » (p. 438). Les lettres de Paul comme les Actes des apôtres font état de ces divergences théologiques qui créeront des dissensions dans les communautés naissantes. Elles ne font que préfigurer celles que l’Eglise connaît encore aujourd’hui notamment avec les lefebvristes : « la messe que nous célébrons est-elle d’abord un sacrifice propitiatoire, ou est-elle fondamentalement une eucharistie, c’est-à-dire une action de grâce pour l’offrande que Dieu nous fait gracieusement de sa vie ? » (p.439).

Il reste à comprendre la démarche de l’épître aux Hébreux et la notion de sacrifice accompli « une fois pour toutes ». C’est l’objet du chapitre 5. Le chapitre 13 de la Lettre introduit une théologie des sacrifices qui s’éloigne de celles des chapitres précédents. Nous parvenons « enfin » à une reconnaissance du don de Dieu mis en lien avec l’amour des frères et les sacrifices qui plaisent à Dieu sont désormais ceux de louange et d’entraide. Nous sortons du registre de la purification des péchés qui faisait écrire au chapitre 8.1 de l’épître que la transposition des rites du grand pardon est le point capital de l’enseignement du Christ.

Par diverses hypothèses, Martin Pochon examine la logique de ces variations théologiques. Il interroge l’influence de Paul, le souhait de s’éloigner peu à peu de la notion de sacrifice telle qu’elle apparaît dans le Premier Testament. En fait, l’auteur progresse en enseignant, notamment grâce à ses interlocuteurs et destinataires de ce qu’il transmet. C’est d’ailleurs en partie parce que ses auditeurs sont juifs non convertis qu’il n’évoque pas la Cène et se réfugie dans les références au Lévitique. Nous avons déjà repéré que sa pensée chemine en plusieurs temps pour se rapprocher imperceptiblement d’une théologie plus positive. Il demeure que dans l’ensemble, « la lettre aux Hébreux ne rend compte que d’une facette de la Passion du Christ (…) mais le fait d’éluder le versant descendant du sacrifice altère considérablement le visage du Père » (p.520).

Le chapitre 6 révèle le poids de l’obéissance et des châtiments dans la rédaction de l’épître. Impossible d’y dénicher l’amour en actes qui se décline dans chaque évangile. En outre toute l’herméneutique du rédacteur insiste sur le fait que « les souffrances et la mort de Jésus sont des épreuves par lesquelles Jésus apprend l’obéissance (…) comme si avant sa Passion, l’obéissance de Jésus au Père n’était pas déjà parfaite » (p. 568-569).

Face à ce tableau, Martin Pochon nous interpelle sur le danger qui consisterait à prendre la Lettre comme clé d’interprétation du Nouveau Testament puisque cela conduirait à un contresens théologique renversant le sens de la Cène, et celui de la croix. Ce n’est pas une vague alerte : le concile de Trente dans sa vingt-deuxième session n’a pas su éviter cet écueil ce qui donne alors à penser « les relations du Père à son fils comme celles d’un monarque soucieux de son autorité à un dauphin qui resterait à jamais le dauphin » (p.599) Exit la figure du serviteur. Grave dérive qui semble encore tenter les adeptes du repli identitaire clérical !

La conclusion de l’ouvrage nous montre où nous ont conduits ces mésinterprétations du texte dont nous subissons les effets aujourd’hui encore. Dès le quatrième siècle, dans la prédication et la liturgie, le Père est redevenu un Dieu redoutable, et les sacrifices doivent servir à redresser la « nature humaine ». Délaissant les enseignements de la Cène ou du lavement des pieds, l’ancien, le presbyteros, a repris les attributs du sacrificateur et troque la figure du frère contre celle du père telle qu’il la conçoit en Dieu. La première des vertus devient dès lors l’obéissance autre version de la soumission. La réforme liturgique de Vatican II tentera de redresser ces glissements de sens mais comme le constate Martin Pochon, elle nous laisse au milieu du gué.

Martin Pochon propose alors quelques pistes pour revisiter le rituel de la messe afin de restituer la priorité aux évangiles sur le contenu invasif de la lettre aux Hébreux car ils induisent une autre perception du Christ : « c’est en prenant conscience qu’il se donne aux pécheurs malgré leur indignité et qu’il se livre sans violence entre leurs mains que nous découvrons en quoi consiste la paix qu’il nous donne. » (p695-696).

Puisse la lecture de ce livre inciter à une meilleure compréhension de notre relation à Dieu et à une plus juste expression de l’annonce de la Bonne Nouvelle.

4 réponses pour “Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles”

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