Les légendes sont tenaces. Mais quand elles se substituent à la vérité des Écritures, il faut intervenir et expliquer.
C’est pourquoi, après avoir publié un ouvrage « universitaire » sur Marie de Magdala, j’ai répondu favorablement à la proposition des Éditions du Cerf d’en rédiger une version plus aisément accessible. C’est ainsi qu’est paru Marie-Madeleine. La fin de la nuit, qui développe ce que je résume ici.
Nous avons tous en tête une certaine représentation de Marie Madeleine et chacun connaît l’expression « pleurer comme une Madeleine ». Or nous allons découvrir que l’image que nous nous en faisons est « pipée » et n’a, le plus souvent, que très peu de liens avec les textes du canon biblique.
D’autre part, même quand nos repères se fondent sur les évangiles, ils mélangent : ce que nous dit Luc au chapitre 7 sur une « femme pécheresse », les diverses scènes d’onctions, et ce qui se passe au moment de la résurrection, notamment en Jean 20.
Cet amalgame se produit parce qu’il est porté par notre culture, mais il n’est ni neutre, ni innocent.
Observons dans un premier temps comment s’élabore ce personnage à partir des évangiles. Et d’abord : de quelle Marie parle-t-on ?
Quelques femmes traversent les évangiles. Comme plusieurs se prénomment Marie, et que d’autres ne sont pas nommées du tout, cela va entrainer des risques de confusion, et même donner l’occasion à des fusions volontaires entre les divers personnages.
Des fusions et confusions tentantes
Il faut d’abord bien dissocier les scènes d’onction (c’est-à-dire les passages où une femme va se pencher sur Jésus pour répandre de l’huile parfumée sur lui), des épisodes en lien avec la Passion et la Résurrection. Pour mémoire, le nom de Magdala n’est jamais mentionné dans les scènes d’onction auxquelles elle va pourtant être associée.
Ces épisodes sont semblables chez Marc (14,3-9) et chez Matthieu (26,6-13) : la scène se passe chez Simon le lépreux à Béthanie ; il s’agit d’une femme anonyme, et l’onction sur la tête de Jésus illustre une préparation de la Passion qui approche.
Tout change avec Luc 7, 36-50. La scène se déroule bien chez un personnage nommé Simon, mais il est appelé Simon le Pharisien et il n’y a aucune mention géographique. La femme est qualifiée de pécheresse et l’onction a lieu sur les pieds et non pas sur la tête. Mais comme chez Marc et Matthieu elle n’est pas nommée.
Or il faut noter que Marie de Magdala apparaîtra sous son propre nom quelques versets plus loin (s’il s’agissait d’elle, pourquoi ne l’aurait-il pas nommée dès cette scène ?). D’autre part, par la position de ce récit, à distance de la scène de la Passion, ce n’est plus une reconnaissance de Jésus comme « Messie » (ce lui qui est oint). Ici, Luc veut plutôt mettre en évidence une explication du thème rétribution-conversion (péché-contrition-rédemption).
Enfin, Jean va se ressaisir à son tour de ces scènes, mais tout autrement et en 2 temps. D’abord au chapitre 11, Jean évoque une onction sur les pieds de Jésus (comme Luc) mais l’attribue à Marie de Béthanie, la sœur de Lazare. Ce qui est plus surprenant encore c’est que Jean reprend cette scène au chapitre suivant (en Jn 12,1-8) et, loin de réutiliser le schéma décrit par Luc, c’est bien à une préparation de la Passion que nous assistons.
Donc, si on se fonde uniquement sur les évangiles, on peut se demander comment il a été pensable de mélanger : une femme anonyme pécheresse, Marie de Béthanie, (une amie de Jésus chez qui il logeait volontiers), et Marie dite de Magdala que nous rencontrons dans de nombreux autres passages des évangiles, mais jamais dans ces épisodes.
À ce stade, impossible d’unir Marie de Magdala et la « pécheresse » mentionnée chez Luc. D’ailleurs, l’évangile de Jean ne laisse aucune place à la possibilité d’un tel lien. Au contraire, le narrateur va faire d’elle une disciple comparable à la Vierge Marie, dans sa fidélité et dans sa foi, en élaborant des comparaisons qui plaident en faveur d’une dimension suréminente de Marie de Magdala.
Étudiée sous cet angle, la cause paraît donc entendue, quant à la noblesse et à l’importance théologique et ecclésiologique de Marie de Magdala et c’est bien ainsi que tout l’Orient va l’honorer.
Pourtant de nombreux Pères, parmi les théologiens occidentaux, bien que lui reconnaissant très vite le titre « d’Apôtre des Apôtres » vont chercher d’autres pistes pour présenter Marie-Madeleine et c’est son assimilation à la pécheresse décrite par Luc qui va être la plus fructueuse.
Nous allons vite repérer que le grand responsable de cette représentation s’appelle Grégoire le grand.
Que fait Grégoire le grand ?
Grégoire le grand vit au VIe siècle. Il est élu pape en 590 ; il sera nommé 4ème Docteur de l’Église, après Ambroise, Augustin, et Jérôme, et son influence sera considérable.
Rome à cette époque traverse une crise terrible et Grégoire veut remettre de l’ordre, redonner des règles. Il va alors utiliser ses talents et son pouvoir, pour réaliser ce que les théologiens nommeront un « tour de force » exégétique, afin de mettre en place une théologie de la repentance. Deux homélies vont exposer son programme : les homélies XXV et XXXIII.
Il va rassembler tous les passages des évangiles où apparaissent des femmes autres que la vierge Marie, et réunir en une seule femme, la pécheresse décrite par Luc, et les différentes Maries autour de celle qui est « remplie de tous les vices » ; traduction un peu rapide du texte qui dit que Jésus avait chassé de cette femme « 7 démons ». Avec cette illustration qui sert si opportunément une théologie de la pénitence, il crée un nouveau personnage totalement inconnu des évangiles, qui va symboliser l’humanité sauvée du péché : c’est Marie Madeleine.
Il n’est désormais plus possible de voir dans ce portrait, une disciple à l’égal des Douze.
Mais cette composition aboutit à une magnifique figure de pécheresse pardonnée, suffisamment imagée pour servir de guide à tous les débauchés de son époque.
D’ailleurs si nous poursuivons son homélie 33, elle est éloquente :
« Elle trouve en elle autant d’holocaustes qu’elle avait eu de jouissances. Elle convertit en autant de vertus ses nombreux vices, afin de mettre au service de Dieu dans la pénitence tout ce par quoi elle avait méprisé Dieu dans le péché. »
Tout est ainsi axé sur le péché ; le repentir signifié par la profusion de larmes, attire la miséricorde, la miséricorde permet la conversion puis le rachat dans l’amour éperdu.
Très loin de saint Irénée ou des Pères orientaux, il ne pointe que l’urgence de la conversion et utilise cette nouvelle figure pour exhorter son auditoire à changer de vie et à purifier ses mœurs. Mais outre sa défiguration de l’amie de Jésus, que d’importance donnée à la faute ! Il faudra attendre le XIIe siècle, pour que Pierre Abélard restitue la priorité à l’homme sur le péché.
En effet, Grégoire nous a fait passer par une théologie de la pénitence, jusqu’à masquer le sens et la puissance de l’amour parfait que l’on nomme agapè.
Car l’agapè n’est certainement pas la récompense de la faute confessée et pardonnée, pas davantage qu’une effusion sentimentale. L’agapè c’est une relation qui révèle qui est Jésus, qui nous sommes pour Lui. Et c’est ce qu’illustre le lien de Jésus avec Marie de Magdala ; mais pour le découvrir, il faut s’adresser à d’autres interprètes. Heureusement, il en existe, même en Occident.
Marie de Magdala femme éplorée versus témoin privilégié de la résurrection.
En effet, un autre visage de Marie peut être aperçu : celui de témoin privilégié de la résurrection mais les portraits vont varier avec les auteurs.
Thomas d’Aquin va ouvrir deux pistes.
Il nous montre la relation entre Jésus et Marie de Magdala comme une réponse de l’amour à l’amour qui sert de guide. Certes pour cela il reprend le schéma de Grégoire mais en mettant l’accent sur l’amour et non sur le péché. L’amour humain devient amour spirituel afin de comprendre QUI est Jésus.
St Thomas illustre aussi à travers elle, la manière de chercher le Christ
Mais pour retrouver une image conforme aux évangiles, c’est surtout en Orient qu’il faut chercher et notamment avec l’apport de Romanos le Mélode.
L’apport de Romanos le Mélode
Romanos est né en Phénicie à la fin du cinquième siècle donc presque à la même époque que Grégoire. C’est un moine qui sera canonisé et qui restera très présent, surtout en Orient grâce à ses homélies en forme de poèmes (hymnes). Benoît XVI parle de lui comme théologien, poète et compositeur. (Audience générale du 21/05/2008). Un thème fondamental de sa prédication est l’unité de l’action de Dieu dans l’histoire, l’unité entre création et histoire du salut, l’unité entre Ancien et Nouveau Testament.
Il va consacrer plusieurs de ses hymnes à Marie de Magdala et pour lui, il n’existe AUCUN LIEN entre la pécheresse de Luc et Marie de Magdala, ni entre Marie de Magdala et les femmes des scènes d’onction.
Il s’appuie essentiellement sur l’évangile de Jean mais connaît probablement les évangiles apocryphes dont la Pistis Sophia et l’Évangile selon Marie redécouverts au milieu du XXe (en 1930 dans le Fayoum égyptien puis à Nad Hammadi en 1945 et un autre document plus complet en 1983). Ces documents donnent un rôle majeur à Marie de Magdala et dans l’Évangile selon Marie elle est placée à la tête du groupe des apôtres. Cela va colorer l’image qu’en donne Romanos. Ainsi, Romanos redistribue les rôles et les explique.
Dans son hymne N° 1 sur la résurrection il admet que les femmes pleurant devant le tombeau vide évoquent la possible résurrection du Christ. Au paragraphe 2, il nomme ces femmes aï théophoroï que l’on pourrait traduire comme « soutien du Seigneur » terme généralement réservé aux prophètes ou aux Pères apostoliques. Attribué à Marie, objet des vers suivants, le qualificatif met en valeur l’anticipation de sa foi en la résurrection du Christ.
Pour Romanos, Marie de Magdala est consolatrice, enseignante Il s’opère donc pour nous un changement total d’orientation : sa mission est dirigée vers l’extérieur : elle « publie », « explique »….
« Que ta langue désormais publie ces choses, femme, et les explique aux fils du royaume qui attendent que je m’éveille, moi, le Vivant. Va vite, Marie, rassembler mes disciples. J’ai en toi une trompette à la voix puissante : sonne un chant de paix aux craintives oreilles de mes amis cachés, éveille-les tous comme d’un sommeil, afin qu’ils viennent à ma rencontre. » Hymnes, 4 § 12
Et non seulement elle enseigne mais elle rassemble… Si c’est elle qui rassemble le troupeau, elle devient non seulement le premier témoin de la résurrection mais aussi le premier maillon de l’assemblée qui formera l’Église.
Elle possède donc ce qui constitue les trois piliers ou charges du sacerdoce (que l’on nomme les tria munera) : la sanctification à travers l’idée de « publier » la parole de Jésus, le rôle d’enseignement avec « explique » et celui de gouvernement avec « rassemble ».
Nous sommes donc très loin de l’image donnée par Grégoire le grand mais quelque chose de cette figure parvient jusqu’à nous quand nous la voyons prêcher à Marseille sur un tableau datant du XVIe siècle qui reprend la scène décrite dans La légende dorée. Et cette nouvelle figure nous permet de regarder Marie Madeleine tout autrement, au point de percevoir qu’elle possède des ressemblances avec d’autres acteurs bibliques.
Des similitudes avec d’autres personnages de l’Écriture
- Comme Moïse : Dieu ne s’adresse-t-il pas à Marie comme il le fait au premier chapitre du Lévitique quand il interpelle Moïse ? Le parallèle est assez saisissant :
D’un côté nous lisons : « YHWH appela Moïse et, lui parla et lui dit : Parle aux Israélites ; tu leur diras : » (Lv 1,1-2).
De l’autre : « elle ne savait pas que c’était Jésus » (« Jn 20,14b ) ; « Jésus lui dit : “Marie !” » (16a ) et « Jésus lui dit : “Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur :… » (Jn 20,17).
- dans les deux cas, le Seigneur n’est pas d’abord clairement objectivé. Le texte hébreu pour dire l’appel : « vahiqra » n’a pas de sujet nommé ; Moïse ne sait pas qui appelle, de même que Marie ne sait pas immédiatement qu’elle a affaire à Jésus.
- ensuite vient le contenu religieux destiné à un interlocuteur précis, quand le Seigneur oriente le dire vers celui ou celle qu’il s’est choisi. Il appelle l’individu « Moïse » de la même manière qu’il s’adresse à Marie par son nom. De cet appel divin, provient un « me voici », celui-là même que prononce Samuel à l’appel de son nom en 1S 3,4-8
- Il est donc bien question de l’émergence d’une disponibilité dans le faire, qui, dans tous ces cas, va consister à se tourner vers la communauté pour transmettre le message reçu.
- Dans le cas de Moïse comme dans celui de Marie de Magdala, le Seigneur commande : « parle », « va trouver… », « dis-leur ».
- En outre, il faut noter que dans les deux scènes, le message peut ne pas être cru : il ne repose sur aucune preuve tangible. Pour Moïse, les tables de la loi ont été brisées ; quant à Jésus : qui croira sur le champ qu’il est vraiment ressuscité ?…
Remarquons au passage que dans toute l’histoire biblique, ceux que Dieu convoque pour témoigner, transmettre son message ou sa Parole, ne sont jamais ceux qui semblent d’emblée adaptés à cette fonction ! Moïse avoue dès le début qu’il est incapable de parler, ce qui l’obligera à recourir à l’aide de son frère ; et Jérémie est un tout jeune homme (naar), si jeune que nul ne l’inviterait à parler en public. La méthode changerait-elle dans le Nouveau Testament ? Il n’en est rien. C’est à Marie de Magdala, une femme, qu’il est demandé d’aller annoncer la résurrection ; or chacun sait, qu’au temps de Jésus, son témoignage est administrativement, socialement, nul, et qu’il devra être relayé par d’autres, s’il veut être entendu.
Et pourtant, tous ces envoyés sont dans leur rôle sans erreur possible : Jérémie est choisi « dès le sein de sa mère », et Marie, quelque embarras qu’elle donne aux commentateurs, est bien la seule mandatée pour annoncer l’incroyable nouvelle d’un acte qui révèle le salut de tous.
Donc Marie de Magdala possède des points communs avec Moïse. Elle en a aussi avec le disciple bien aimé.
- Comme Jean, le « disciple que Jésus aimait » : même proximité, même amour d’agapè. Voir le développement de ce thème dans Les femmes dans l’évangile de Jean, livre numérique : https://www.mondedelabible.com/les-femmes-dans-levangile-de-jean/
- Comme Paul: Le rapprochement semble plus étonnant. Pourtant : l’un et l’autre ont des modes d’entrée en scène identiques : Marie guérie de maladie ; Paul est guéri de son aversion pour les chrétiens. Ils bénéficient tous deux d’une rencontre personnelle avec le ressuscité qui les appelle par leur nom. Ni l’un ni l’autre n’appartient au groupe des 12 et l’un et l’autre peuvent paraître suspects (Marie = femme et Paul = citoyen romain qui pourchassait les chrétiens). Enfin, tous deux sont envoyés en mission.
- Comparaison avec la Vierge Marie
- Même acquiescement à la subversion : le « oui » de Marie est aussi subversif que le compagnonnage de Marie de Magdala avec Jésus qui sera dévoyé et instrumentalisé jusque dans les romans contemporains (Da Vinci code)
- Même don total, même fidélité, même amour
- Même présence aux moments essentiels : L’une à l’Incarnation, l’autre à la Résurrection, les deux au pied de la Croix.
Mais la Mère de Dieu, mère toujours vierge est INIMITABLE pour nous ! Marie de Magdala nous offre une voie de disciple, d’envoyée, de témoin, plus humainement accessible et pourrait peut-être être considérée comme « apôtre »…
Une nouvelle approche de Marie de Magdala
Pour savoir si Marie de Magdala peut être dite « apôtre », observons la définition de la fonction. Apôtre, selon le P. Yves Congar, signifie avoir vu le ressuscité ; avoir reçu de lui une mission (« Va trouver mes frères… dis-leur »). Sic ! …
En plus nous savons qu’elle est nommée régulièrement « Apôtre des Apôtres ».
Cette expression au Superlatif absolu vient d’Hippolyte de Rome au IIIe siècle. Cette itération élogieuse trouvera un sérieux appui chez saint Thomas d’Aquin. Il sera confirmé par de nombreux papes, y compris Benoît XVI (audience du 14/02/2017) qui dans son Commentaire sur l’Évangile de saint Jean de saint Thomas d’Aquin cite quelques lignes du § 2519 dans lesquelles le Docteur angélique est très clair : « elle [Marie de Magdala] a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue Apôtre des Apôtres en ceci qu’il lui fut confié d’annoncer aux disciples la Résurrection du Seigneur. »
Mais l’importance de son rôle peut se lire aussi dans son nom. Déjà st Jérôme écrivait à sa disciple Principia : « c’est vraiment une gardienne de tour ou plutôt une tour blanche » et Thomas d’Aquin fait le même rapprochement entre son nom et l’idée de tour.
Dans son Explication suivie de l’Évangile de Jean, Thomas d’Aquin écrit :
« Dans le sens allégorique, Marie qui signifie maîtresse, illuminée, illuminatrice, étoile de la mer, est la figure de l’Église. Elle s’appelle aussi Madeleine, c’est-à-dire, élevée comme une tour, car le mot Magdal, en hébreu, a la même signification que le mot turris en latin. Or, ce nom qui est dérivé du mot tour, convient parfaitement à l’Église, dont il est dit dans le Psaume 60 : ” Vous êtes devenu pour moi une forte tour contre l’ennemi. ” »
Alors question : Si Marie était dite « magdal » comme Simon est appelé « Pierre », ou Judas « l’Iscariote » ?…
Par elle, sortir les femmes de l’obscurité
Par ces quelques suggestions, nous avons découvert une nouvelle image de Marie de Magdala : faite de fidélité, de confiance, d’autorité même qui pourrait faire retour vers un autre regard sur les femmes, regard finalement plus conforme à ce qui est suggéré dans les Écritures :
Nous pourrions à partir des relations entre Jésus et Marie Madeleine, bien aussi riches que celles avec Pierre, ou Jacques, etc…, reconsidérer les rôles d’hommes et femmes en vis-à-vis, dans une complémentarité sans subordination, comme nous y invitent les termes de l’annonce de Genèse 2,18 : ezer kenegdô…
Paul lui-même nous y encourage dans beaucoup de ses épîtres : en Ga 3,28 quand il explique qu’en Christ il n’y a ni hommes ni femmes ; ou bien quand il écrit aux Corinthiens à propos des femmes qui prophétisent voilées, et encore dans de nombreuses lettres, quand il recommande Phoébé, diaconesse de l’église de Cenchrée, et quand il salue Priscille, Marie, Triphène et autres femmes qui l’assistent dans ses missions…
Les appuis ne manquent pas pour revaloriser la place des femmes mais bien entendu il faut sortir du modèle qui fait fi du rôle de Marie Madeleine auprès de Jésus pour ne montrer que la pécheresse.
Nous voici donc avec deux représentations bien différentes de Marie de Magdala dite Marie-Madeleine. L’une a la faveur de l’Orient et de la plupart des théologiens ; elle valorise une femme amie de Jésus, témoin de sa Résurrection et première envoyée ; l’autre nous montre une prostituée repentie absorbée dans son élan mystique, pleine d’amour éperdu pour son Sauveur et se repentant dans les larmes de ses nombreux péchés sexuels. Après Grégoire le grand, des rois dont François Ier ont beaucoup encouragé cette version qui leur permettait de donner de « l’avenir » à leurs maitresses. Et l’art a le plus souvent choisi aussi ce camp.
Il n’empêche que revenir à la source biblique de ce personnage est réconfortant pour tous ceux, toutes celles qui veulent voir un peuple de Dieu dans lequel hommes et femmes sont également image et ressemblance de Dieu, égaux en dignité et en potentialité de responsabilités.
C’est ce qu’a bien montré le pape François en modifiant la liturgie concernant celle qu’il nomme « Apôtre des Apôtres et témoin de la miséricorde » dès le début de son pontificat. Prenant acte de cette décision, la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements a alors rendu public le décret, daté du 3 juin 2016, par lequel la célébration de Sainte Marie Madeleine, passe du statut de « mémoire » obligatoire au rang de « fête ».
Bibliographie sommaire sur Marie de Magdala dans cet article :
Grégoire le grand, Homélies sur l’Évangile. Livre II, Homélies XXI-XL, Texte latin, introd., trad. et notes par Raymond étaix †, Georges blanc, s.j. et Bruno judic, Paris, Éd. du Cerf, Coll. « Sources Chrétiennes 522 », 2008.
Landrivon Sylvaine, Marie de Madgala « apôtre » ? Vers une ré interrogation du rôle des femmes dans l’Église, Paris, Éditions du Cerf, 2017, 208p.
Landrivon Sylvaine, Marie-Madeleine. La fin de la nuit, Paris, Éditions du Cerf, 2017, 230p.
Landrivon Sylvaine, Les femmes dans l’évangile de Jean, Livre numérique sur https://www.mondedelabible.com/les-femmes-dans-levangile-de-jean/
Martini Carlo Maria, Marie-Madeleine. L’enthousiaste, traduit de l’italien par Sylvie Garoche, Paris, Salvator, 2019.
Romanos le Mélode, Hymnes, Tome 4, introd., texte critique, trad. et notes par José grosdidier de matons, Paris, Éd. du Cerf, Coll. « Sources Chrétiennes 128 », 1967.
Merci beaucoup Sylvaine .
C’est bon d’être enseigner par toi et cela me conforte dans cette égalité entre les hommes et les femmes dans la gouvernance de notre église catholique patriarcale.
Oui chère Loan, cette égalité est d’autant plus indispensable désormais que l’entre-soi masculin a montré combien il a mis en danger -jusqu’à souvent les trahir par des crimes-les fondements mêmes de l’Évangile. Notre parole doit être entendue ! Nous allons y parvenir avec l’aide de l’Esprit. J’ai confiance.
Merci pour cette étude si riche et éclairante
Un article passionnant et très bien écrit, d’une grande clarté et plein d’espoir !
Il donne envie de se plonger dans la théologie…
Mon père était théologien et prof de philo, et en bonne ado rebelle, je suis toujours restée très à l’écart de ses lectures… la donne a changé et tu me donnes envie d’explorer…
Très émue par ton message ! Tu n’imagines pas à quel point ton avis m’importe. Il me motive à poursuivre dans cette voie de la transmission