Dans le cadre du premier anniversaire de la dénonciation des exactions de Louis Ribes, et suite à l’acceptation de la ville de Charly de faire déposer 11 vitraux réalisés par ce prêtre présumé coupable de pédocriminalité contre plus d’une cinquantaine de victimes, BFM TV Lyon a réuni autour d’Hugo Francés, sur le plateau de son émission Lyon Politiques, Lionel Favrot, directeur de Mag2Lyon, Luc Gemet, victime de Louis Ribes, et Sylvaine Landrivon. Personne hélas, de la hiérarchie ecclésiale des diocèses impliqués dans le dossier, n’aurait accepté d’être présent.

Le thème de l’échange de ce jeudi 25 janvier 2023 était le suivant : Violences sexuelles : l’Église est-elle à la hauteur ?

Voir le replay de l’émission sur le lien :https://www.bfmtv.com/lyon/replay-emissions/lyon-politiques/violences-sexuelles-l-eglise-est-elle-a-la-hauteur_VN-202301260747.html

Sylvaine Landrivon, bouleversée par le témoignage de Luc Gemet, demande pardon pour ce que la religion à laquelle elle appartient fait subir aux victimes. Et cette demande de pardon n’attend pas d’acquiescement car elle ne peut être audible que dans un processus déjà engagé de reconnaissance du mal qui a été commis, de sa réparation,- dans ce qu’il est possible de guérir-, et d’une volonté sincère de réformer le système qui est à l’origine de ces drames. Comme l’a dénoncé J.-M. Sauvé dans son rapport pour la CIASE, il faut admettre « la responsabilité de l’Église » dans les défaillances, les biais, la couverture institutionnelle, qui n’a pas su voir, entendre, capter les signaux faibles.

L’institution catholique qui peinait à croire le bilan terrifiant de la CIASE, n’en finit plus de voir grandir les listes : celle des coupables et celle des victimes[1]. Alors, on fait des effets d’annonces. On se désole…On joue sur les mots : « comportement déplacé », « attitude répréhensible »… quand il s’agit d’abus, voire de crimes.

Véronique Margron le disait récemment dans L’Obs : « Les victimes et le peuple de Dieu peuvent se sentir légitimement trahis », parce qu’au fond rien n’avance vraiment.

Mais, on ne peut pas trop incriminer les commissions. On a déjà oublié l’horrible « grâce à Dieu, c’est prescrit », or aujourd’hui ces commissions reviennent sur des dossiers qui ont dépassé les délais officiels. Certes on ne pourra pas rendre aux victimes leur pleine sérénité ni leur rendre leur état d’avant, cependant deux commissions ont été mises en place.

Pour les victimes de religieux : la commission de reconnaissance et de réparation (CRR) a reçu environ 1550 dossiers. Pourquoi si peu ? se demande Antoine Garapon.

Pour les victimes de prêtres diocésains : c’est l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation  (INIRR) qui a déjà pris en charge environ 1100 dossiers .

Les délais sont très longs (20 à 25 décisions par mois). C’est, hélas, un lourd parcours du combattant pour obtenir réparation. Il FAUDRAIT ALLER VERS LES VICTIMES dit Marie Derain de Vaucresson, ce que confirme Luc Gemet, qui se désole du manque de moyens mis en œuvre.

Il ne faut cependant pas se tromper de cible en incriminant ces commissions qui font ce qu’elles peuvent, même si ce ne sera jamais suffisant. Car rien ne pourra changer tant que la cause majeure de toutes ces monstruosités ne sera pas remise en question. C’est la notion de sacralité du prêtre qui est le lieu où se nouent toutes les dérives[2].

Pourquoi le sacré est-il le lieu systémique des drames ?

Proposition d’explication  :

Les prêtres sont des individus mis à part (kleros « part » de Dieu) : par une ordination qui les distingue du reste de l’humanité, soulignée par le célibat, surlignée parfois par une tenue vestimentaire spéciale, et tout cela ancre certains dans une puissance qui ne leur appartient pas. Rappelons que cette mise à part n’existait pas du temps de Jésus avec Marthe et Marie ; et du temps de Paul et des premiers disciples : Paul avec Junia, Prisca…

Cela produit chez certains, un sentiment de domination et de toute puissance qui permet tous les abus : abus de confiance, abus de pouvoir, abus sexuels…(cf CIASE)

(Ne pas oublier, toutefois, que dans cette institution en crise, de nombreux prêtres parviennent à témoigner de la fraternité et de l’amour du Christ, tout en portant -en plus- le fait d’être assimilés à leurs frères prédateurs.)

Or la notion de sacré est étrangère à l’Évangile.

Par l’incarnation, Jésus unit le divin et l’humain. Dans toute sa vie terrestre, il ne se met pas à part. Il se mélange à ses amis avec lesquels il mange, il fait la fête. Il s’habille comme eux. Et il a lutté contre les prêtres dont il a lui-même été la victime.

Surtout, il choisit de devenir notre frère. Il abolit toute notion de hiérarchie et il le confirme en rappelant qu’il n’y a qu’un seul Père qui est aux cieux : « N’appelez personne votre Père sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père céleste. » (Mt 23,9)

Ce nom de Père est très dangereux parce qu’il oriente simultanément vers des concepts d’autorité, et de proximité à la source de terribles risques d’abus.

Le rapport de la CIASE a repéré « le charisme de l’autorité personnelle du prêtre qui est ici au cœur du dispositif d’abus », et note que « le cumul des légitimités conférées à la domination du prêtre rencontre la vulnérabilité de jeunes filles et jeunes gens ».

D’ailleurs la CEF admet dans une Lettre aux catholiques de mars 2021 : « Nous, prêtres et évêques, ordonnés, nous recevons du Christ Pasteur et Serviteur un “pouvoir sacré”. […] De ce pouvoir, il est possible d’abuser. Comme tout pouvoir, celui-ci peut servir à exercer une emprise et à établir un rapport de domination. »

Le drame vient d’une image idéalisée du prêtre trop et mal identifié au Christ. Et le rapport de la CIASE suggère comme fondé théologiquement que l’identification du prêtre au Christ ne s’étende pas à l’ensemble des sphères de la vie ecclésiale et, moins encore, à l’ensemble des relations interpersonnelles qu’un prêtre entretient.

La présence de femmes changerait-elle quelque chose ?

La présence de femmes ordonnées modifierait globalement la structure de l’Église mais ne changerait pas directement la situation, car les femmes sont soumises aux mêmes pulsions que les hommes. La prêtrise des femmes vise un partage égalitaire des charges ecclésiales et une transmission moins biaisée, du contenu de l’Écriture. Toutefois, dans ce domaine particulier des violences sexuelles, la mixité permettrait la reconnaissance visible de la fin de cette fausse et dangereuse sacralité, et l’ouverture à une authentique reconnaissance de l’altérité.

Quel statut pour une œuvre d’art réalisée par un coupable de crime ?

Une piste possible :

S’il n’existe pas de lien direct entre la victime et l’œuvre, on peut reconnaître la qualité artistique et dénoncer le coupable. Ex : Polanski et ses films comme J’accuse ; ou Louis Ferdinand Céline et Voyage au bout de la nuit

Mais si un lien direct est établi entre la victime et l’œuvre, il devient hors de question de conserver l’œuvre ! Ce serait un acte de complicité avec le coupable. Cf : G Matzneff avec Les moins de 16 ans ou Louis Ribes avec ses vitraux … Et cela sans chercher à savoir quelle est la valeur artistique des œuvres.

Dans ce cas, la parole ultime devrait toujours revenir aux victimes impliquées dans la réalisation de la production exposée au public.

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[1] En vérité toutes les digues sautent, et c’est tantôt un abbé à Tarbes, puis l’évêque émérite de Cayenne (Emmanuel Lafont), le peintre Rupnik, les « strip confessions » de Santier, le terrible dossier de la communauté des Béatitudes, Rivoire au Canada, ou le cardinal Ricard… C’est interminable !

[2] Ces dérives sont liées à la sacralité du prêtre, laquelle porte un épineux sujet de théologie et d’ecclésiologie bien perçu par la Commission Sauvé. « La domination réside généralement dans la relation hiérarchique, mais aussi dans le statut sacré de la figure du prêtre. L’aura dont l’agresseur peut jouir dans la communauté renforce l’image positive que la victime a de l’agresseur, mais aussi la pression du groupe à laquelle elle se heurterait en cas de révélation des faits. »

2 réponses pour “Violences sexuelles : l’Église est-elle à la hauteur ?”

  • Je le redis comme je l’ai dit et écrit partout partout au journal La Croix,à pour notre église ,au journal la vie ,à aides aux victimes, au curé de la paroisse ,à Monseigneur Ulrich Archevêque de Paris,au Père Thomasset président du centre de Sevrés ,à sœur Margron ,le seul problème est la gouvernance de l’Eglise Catholique reposant sur un « Pouvoir patriarcal sacré ,de droit divin ,centralisé,secret, exercé par un très petit nombre » avec sa justice propre le droit canonique trop souvent en surplomb de la justice civile ,tant que l’on ne modifiera pas ,que l’on ne corrigera pas ,que l’on n’adaptera pas ce pouvoir par une gouvernance partagée entre les clercs et des laïcs hommes ,jeunes et surtout des femmes avec des responsabilités décisionnelles ci possible non triés sur le volets toutes les les turpitudes de la hiérarchie catholique continuent
    Voilà pour moi ou est le véritable problème et le seul problème mais il est énorme car quant on touche à la tradition,la réaction est immédiate vous voulez détruire l’église

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