Évangile de Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21

[…] Il se leva pour faire la lecture. On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté […] Alors il commença à leur dire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »

L’Esprit du Seigneur m’a envoyé

Jésus se fonde sur le livre d’Ésaïe pour expliquer à son auditoire quelles sont les trois charges dévolues à qui doit accompagner la communauté. L’évangéliste a toutefois pris soin d’indiquer dans l’épisode précédent comment Jésus s’est montré indifférent aux biens de ce monde, aux honneurs et au pouvoir que lui offrait Satan, signifiant ainsi que la vie n’a de sens qu’orientée vers et pour les autres. Ce contexte donné, la première indication de Jésus pointe l’importance de bien lire la Bible, pour lui qui est venu parmi nous, non pas abolir la loi qu’elle transmet, mais l’accomplir. Sa charge d’enseignement semble primordiale pour ne pas désunir. Vient ensuite la mention de l’office de sanctification. Celui ou celle qui veut annoncer la joie du salut a conscience d’avoir reçu cette mission de l’Esprit. Chaque « envoyé » devient comme Marie lors de la Visitation : tellement enthousiaste de porter le Christ en soi, qu’Il interagit aussitôt en chaque « Élisabeth » saluée. Jésus éclaire enfin le service de gouvernance selon le principe déjà énoncé prophétiquement dans le Magnificat : se mettre au service des faibles, libérer les captifs et rendre la liberté aux opprimés.

C’est un programme qui engage : gouverner à la suite du Christ exige de croire en un Dieu qui souffre avec les victimes de tous les excès du monde. Comme l’écrit Jürgen Moltmann dans Le Dieu crucifié, « si les Églises, les théologies et les manières de croire en appellent à Lui […], alors elles en appellent […] à leur libérateur le plus radical du mensonge et de la vanité, de la volonté de puissance et de l’angoisse* ». En ce sens, celui ou celle qui accepte la charge d’encadrer sa communauté ne peut pas s’extraire de la réalité sociale et politique de son milieu. Ainsi, loin de prôner une attitude de résignation et d’obéissance, suivre les pas du Christ fait entrer dans une religion qui « produit le scandale », « mais par ce scandale elle apporte la libération à un monde aliéné ».

Ces paroles de Jésus rapportées par Luc consonent avec les propos de Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Co 12, 12-30). Mais une question affleure : les fonctions décrites par Jésus ne seraient-elles pas trop lourdes pour un seul individu ? Paul nous rappelle que « nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps », et énumère les divers charismes sans que ne s’introduise de préséance entre l’envoyé (l’apôtre), la personne qui enseigne, celle qui prophétise, celle qui organise… et l’ensemble de l’auditoire. Chaque individu est indispensable à la bonne santé du corps chrétien. C’est alors qu’un détail du verset 28 de la lettre retient notre attention : « Et ceux que Dieu a disposés dans l’Église sont premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des hommes chargés de l’enseignement. » Or, le texte grec ne contient pas le terme « hommes », lequel serait d’ailleurs paradoxal dans la bouche de Paul, lui qui a choisi Junia – une femme donc – pour enseigner Apollos. Mesurons alors que l’Évangile ne fait acception de qui que ce soit au service de la Bonne Nouvelle si nous le lisons sans les biais de l’androcentrisme…

Sylvaine Landrivon

* Jürgen Moltmann, Le Dieu crucifié. La croix du Christ, fondement et critique de la théologie chrétienne, Les éditions du Cerf, 1974, éd. 1978, p. 8.

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