Commentaire du film Magnificat pour la revue Golias Hebdo N° 776 par Sylvaine Landrivon

Ce film adapté du livre Des femmes en noir d’Anne-Isabelle Lacassagne nous raconte qu’à la mort d’un prêtre les responsables du diocèse découvrent qu’il s’agissait d’une femme! Sous le choc, ils vont enquêter sur cette usurpation de fonction. Partant de cette intrigue la réalisatrice décrit ce qu’il faudrait endurer pour une femme afin de répondre à sa vocation à la prêtrise. Sur le fond, le film convoque plusieurs références bibliques comme l’indique notamment son titre : Magnificat.

Au début de la Bible, le Seigneur s’adresse à celui qui s’appelle encore Abram. Il lui tient ce propos souvent mal traduit : « Va vers toi » (Gn 12,1) et il lui promet que par lui «  se béniront tous les clans de la terre ». Comment comprendre l’injonction divine qu’adresse Dieu à cet individu, autrement que comme une exigence de respect de son identité profonde et de l’honorer quoi qu’il en coûte ? Au XIe siècle, le grand rabbin Rachi de Troyes l’a bien mis en évidence lorsqu’il traduit ce passage par : « va pour toi, pour ton bonheur. » C’est que pour rencontrer Dieu et en transmettre sa splendeur, il faut d’abord advenir à ce que nous sommes, et non se dissimuler derrière des règles de convenance ou de subordination.

Pour aller vers son destin, vers son « bonheur », un prêtre a troqué son avenir contre celui de son ami. Soumis à l’obligation de dissimuler sa véritable identité dans une institution qui dénie aux femmes le droit de célébrer l’eucharistie, il a accepté une vie difficile. Son chemin abrahamique est à ce prix. Cette référence au premier des Patriarches est suggérée en filigrane sans aucune allusion à ce rapprochement. Mais plus directement, quel lien existe-t-il entre le chant programmatique de Marie rapporté au premier chapitre de Luc et cette histoire ?

Contrairement à la précédente, la référence au Magnificat devient vite évidente. D’abord parce que ce chant est prononcé par Marie dont la figure accompagne discrètement mais constamment les personnages masculins du film : l’évêque dans les tableaux de son bureau, le prêtre par ses disques, jusqu’à l’adolescent qui la rend partenaire de sa guérison. Ensuite, ce texte du Magnificat met à l’honneur le rôle du féminin. Il est « le plus long mis sur les lèvres de n’importe quelle femme qui parle dans le Nouveau Testament, le maximum de ce qui a été permis à une femme de dire [1]» commente E. Johnson. Surtout, il explique par la voix de Marie qui est le Dieu auquel il convient de croire, en énonçant sans erreur chacun des titres divins « Seigneur », « Sauveur », « Tout-puissant », « Saint », sans idolâtrie. Marie sait que la force du bras de Dieu bouleverse l’ordre terrestre : « Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles » (Lc1.52). Autrement dit, ce chant met en évidence que la logique de Dieu n’est pas la logique humaine. L’Écriture en appelle donc à la foi car « rien n’est impossible à Dieu », comme Marie l’a confessé en réponse à l’annonce de l’ange. Le film ne dira pas autre chose et l’Eglise ne l’a pas compris. Pourtant, si l’évangile de Luc, malgré ce chant puissant, demeure timoré sur la place des femmes, celui de Jean va au-delà et montre à quel point elles sont des disciples et des envoyées aussi éminentes que les hommes. Pas question donc de mettre le propos de ce film à distance de la Parole divine.

Dans le respect de l’Évangile, certes, mais est-ce le sens impulsé par l’institution catholique ? Toute la trame de l’histoire repose sur ce hiatus.

Bien sûr le scénario n’échappe pas à quelques clichés, et au souci de vouloir trop dire en peu de temps au point d’entremêler les conséquences personnelles et collatérales du refus du mariage des prêtres, avec l’interdit définitif de l’ordination sacerdotale des femmes. Mais peut-on reprocher ce travers formel à un ouvrage dans lequel aucun personnage ne tombe dans la caricature et où les questions de fond sont posées ?

Culture du silence, de la dissimulation, du mensonge pour sauver les apparences. Structure arc-boutée sur la tradition jusqu’au mépris du message christique qui fait dire à l’évêque qu’on est bien dans l’ombre, quand tout l’Evangile exige de s’ouvrir à la lumière de la vérité et de la foi… Nous retrouvons bien là les travers d’une institution que la commission Sauvé a dénoncés. L’évêque auxiliaire est plus vrai que nature dans sa volonté forcenée de repli identitaire sur une tradition qui a perdu ses racines scripturaires, le sait et la préfère à sa mission d’enseignement de la Parole. Ce goût du pouvoir s’insinue jusque dans la façon de maintenir des individus sous emprise. Charlotte, la chancelière du diocèse est condamnée à la soumission et au silence par son évêque qui détient le secret de la naissance de son fils. Ce rapport de domination n’est hélas pas sans précédents récents, et un autre événement artistique, la pièce de François Hien : La peur, illustre également ce douloureux et honteux travers.

Les reproches adressés à l’institution ecclésiale sonnent donc juste aux oreilles de celles et ceux qui les dénoncent depuis des décennies. Quant à la question de la place des femmes … Aucune personne, ayant fait quelques études théologiques, ne peut honnêtement confondre l’incarnation de Jésus avec une exigence de masculinité. Pas davantage référer les apôtres à un critère biologique. Car, si Jésus a nommé chemin faisant Douze « apôtres », ce n’est pas pour établir spécifiquement ces individus dans un rôle prédéfini, mais pour évoquer symboliquement l’ensemble du peuple élu, en référence aux douze tribus d’Israël du Premier Testament. Et l’institution omet le rôle dont est investi Marie Madeleine appelée « apôtre des apôtres » depuis le IIIe siècle par Hippolyte de Rome  et confirmée dans ce rôle par Thomas d’Aquin. Sans démonstration théologique qui n’atteindrait pas sa cible, ce film met en évidence que le bourrage de crâne patriarcal a désormais fait long feu. Par l’illustration, il expose qu’agir « in persona Christi » ne signifie pas devenir le Christ lui-même ce qui serait reproduire la faute première de toute la Bible : vouloir être « comme Dieu ». Il s’agit de faire mémoire de son action de salut pour l’humanité. Et cela, bien évidemment tout être humain se sentant appelé à le célébrer peut l’accomplir. Le « peuple de Dieu » représenté par les paroissiens du prêtre « usurpateur » Pascal Foucher, l’a parfaitement senti et reçu. Sauf que cela signifie dans l’esprit clérical, s’emparer du pouvoir que confère le sacerdoce depuis bientôt deux mille ans. Et cette puissance, il n’est pas question de la partager dans l’Église catholique romaine.

Que dire aussi du rapport au corps que le film suggère ? Dans une religion de l’incarnation, qui plus que d’autres devrait valoriser la corporéité, il est finalement toujours question de sexe pour le dénigrer. Pas de vie conjugale pour les prêtres, pas d’enfant hors mariage, pas de femmes ordonnées… La réalisatrice Virginie Sauveur, au risque de surcharger son message, pointe cette contradiction dans toutes ses facettes. Et elle montre que bien souvent, c’est l’Eglise qui crucifie les humains de bonne volonté, en refusant d’entendre leur appel et en dissimulant la vérité de la Parole qu’elle détourne en se l’appropriant, et ses exactions qui finissent dans des coffres d’archives secrètes, quand elles ne sont pas nombreuses au point de déborder…

Un seul personnage sauve la maison Eglise : c’est un théologien. Ce professeur de séminaire du nom de Lataste réussit à ne trahir ni ses engagements, ni la confiance de son élève. Il parvient à ne pas léser le secret de la confession, ce qui prouve l’immense respect de son rôle de ministre de la miséricorde tel que voulu par l’institution. D’ailleurs ses propos à la fin de l’aventure montrent qu’il respecte le choix du séminariste qu’il n’a pas dénoncé, convaincu sans doute qu’aucun argument théologique ne devrait pouvoir empêcher sa réalisation. Sa probité s’exerce in fine au prix de sa réalisation personnelle puisqu’il décide de mettre un terme à sa carrière afin de ne pas se trouver en conflit avec son devoir de discernement.

Il demeure cependant une question qui est celle de la cible de ce poignant plaidoyer. Les catholiques progressistes, aussi conscients que « le bateau coule », que le sont la chancelière portée par Karin Viard, ou le médecin ami du prêtre Foucher, s’époumonent à alerter depuis plusieurs décennies sur les sujets traités. En voyant ce film, ils seront seulement confortés dans leurs positions. Les catholiques traditionalistes entonneront leurs habituels cris d’orfraie devant l’idée d’un changement sans aller voir le film, quand au reste du public… quels aspects des questions abordées pourraient retenir leur attention ? Il y a hélas longtemps que les errances du catholicisme ne les intéressent plus. Et pourtant… Virginie Sauveur a raison. Il faut utiliser tous les moyens, toutes nos armes, cinématographiques, littéraires, pour montrer que la Bonne Nouvelle du salut doit être transmise telle qu’elle a été annoncée par le Christ et rapportée par l’Ecriture ; c’est-à-dire, sans discrimination de quelque type que ce soit entre les femmes et les hommes. La force de ce film est de communiquer ce message dans une atmosphère qui ne pontifie pas et sur un ton qui ne tombe jamais dans la revendication militante.

On mesure simplement l’aberration des règles du Magistère Romain : elles ne correspondent ni aux critères de respect, d’amour et d’accueil du Christ, ni à la réalité sociétale dans laquelle cette religion prétend témoigner de sa charité. Comme le recommande la CIASE, comme y invite ce scénario servi par de brillants acteurs, il est urgent que l’Église se réforme, sous peine de sombrer, risquant d’entraîner avec elle, ce qui est pire, le plus beau des messages de joie et d’amour. Les femmes ne contribueront à sauver ce « bateau qui coule » que si, à égalité avec les hommes pour former ensemble tout le Peuple de Dieu, chacune et chacun prend conscience qu’il s’agit de servir un Dieu d’amour qui se dit dans la singularité de la personne jusqu’à transmettre le message à l’assemblée qu’il est question d’instruire. En ce sens, le prêtre du film dont le sexe n’importe plus, a rempli sa mission, ce que ne font pas les représentants de l’institution.

[1]Elisabeth A. Johnson, Truly Our Sister: A Theology of Mary in the Communion of Saints.

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