De la distorsion aberrante à laquelle conduit le célibat des prêtres. Ou, comment le film Paternel de Ronan Tronchot interroge bien au-delà de ce qu’il veut dévoiler.
La première impression que laisse ce film met en lumière la qualité des acteurs et une figure positive de la paternité dans un bel exemple de cheminement psychologique. L’image de l’institution catholique correspond à ce qu’elle renvoie à tout observateur extérieur : un monde fermé, globalement étanche aux soucis des individus qui la composent, une structure incapable de se réformer, et pour cela prête à toutes les hypocrisies, à toutes les dissimulations.
Dans Paternel, le réalisateur met en scène le Père Simon, un prêtre ouvert et consciencieux, qui va se trouver bloqué par la rigidité de son Église. Tout est axé sur le conflit intérieur qui le traverse en se découvrant père d’un enfant de 11 ans élevé jusque-là par sa mère. Comment concilier ses responsabilités nouvelles et son service pastoral dans lequel il est apprécié ? « Tous les gens t’appellent Mon Père et moi je ne peux pas te dire papa » se désole l’enfant. Qui l’interdit ? Pourquoi ?
En fait, au-delà du problème de ce prêtre et de son fils, les questions que soulève cette histoire s’enracinent dans une institution qui croûle sous ses contradictions internes, notamment en matière de sexualité mais également de reconnaissance de l’existence des femmes. Voyons comment et pourquoi.
Dans le domaine de la sexualité, le Catéchisme de l’Église catholique détaille ses recommandations et ses interdits dans la rubrique traitant du « sixième commandement ». Ce code de bonne conduite relationnelle est introduit dans le § 2331 par ce qui sert de fondement à toute la foi : « Dieu est amour. Il vit en lui-même un mystère de communion et d’amour. (…) Dieu inscrit en elle [l’humanité] la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondantes, à l’amour et à la communion ». Aucune ambiguïté dans ce rappel : Dieu a créé l’humanité par surabondance d’amour et l’appelle à la relation pour partager ce don d’amour. Est-ce que ce lien interhumain connaît des limites et des interdits ? Sans doute, si on se réfère non plus à la Bible mais à la Tradition catholique. Et dans ce domaine, l’Église professe un enseignement à la fois complexe et paradoxal. D’abord, bien qu’invitant toutes et tous à vivre dans une religion de l’incarnation, par conséquent, en assumant sa corporéité, l’Église pose des bornes et suggère des exceptions, mais tout semble bien commencer dans ce guide de morale pratique. « La sexualité affecte tous les aspects de la personne humaine, dans l’unité de son corps et de son âme. Elle concerne particulièrement l’affectivité, la capacité d’aimer et de procréer, et, d’une manière plus générale, l’aptitude à nouer des liens de communion avec autrui §2332 ». Malheureusement la suite du texte situe très étrangement sur un même plan de son « catalogue » ce qu’elle considère comme des péchés : l’adultère, la prostitution, le viol… la masturbation et l’homosexualité ! On met sans état d’âme à égalité les deux dernières situations citées, et des crimes comme le viol. Pour entretenir encore davantage cette incroyable absence de gradation, le catéchisme se fait précis : « Dans la ligne d’une tradition constante, tant le magistère de l’Église que le sens moral des fidèles ont affirmé sans hésitation que la masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné. Quel qu’en soit le motif, l’usage délibéré de la faculté sexuelle en dehors des rapports conjugaux normaux en contredit la finalité. La jouissance sexuelle y est recherchée en dehors de ” la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise, dans le contexte d’un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine ” §2352. »
En résumé, ce qui constitue la faute dans les actes décrits, c’est l’absence « d’amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine. » Retenons pour la suite de notre analyse, cette justification qui devient fort intéressante quand elle croise un autre diktat de l’Institution catholique.
En effet, ce qui est condamné semble être la dissociation d’un acte vécu pour le seul plaisir alors qu’il est censé être orienté vers l’amour et la perspective d’un avenir procréatif. C’est ainsi que l’Église ne cesse d’expliquer que le mariage est l’union de deux êtres qui s’aiment en vue de fonder une famille, liant totalement l’acte sexuel à un devenir au sein d’une relation authentique. C’est à ce titre, suppose-t-on, qu’elle justifie son refus du mariage homosexuel.
Et cependant, en n’exigeant pas des prêtres, le vœu de chasteté demandé aux moines, elle dissocie elle-même, la sexualité et l’amour puisque dans l’Église latine, « les clercs (…) sont astreints au célibat », comme le stipule le Code de Droit canonique de 1983.
On passera sur l’absence de justification théologique de ce célibat (Pierre et d’autres disciples étaient mariés), sur l’incohérence éthique (comme si l’engagement auprès d’une paroisse demandait davantage d’implication personnelle que celui des médecins, des enseignants, …) et sur l’incroyable exigence de mise à distance du corps dans une religion qui s’enracine en lui. On oubliera aussi que cet impératif de célibat est relativement récent dans l’Église Catholique (XIe siècle), et absent dans les autres religions monothéistes comme le rappelle le Père Simon à ses supérieurs.
Or, quoi qu’impose cette loi, tout être humain est traversé de pulsions, appelé à vivre de plaisir et de joie, y compris jusqu’à s’offrir en toute sérénité à autrui, dans une relation harmonieuse. Les prêtres sont privés de cette union intime par la décision d’une hiérarchie tout humaine à laquelle ils s’engagent à demeurer fidèles sous peine de ne pas -ou plus-, pouvoir vivre leur sacerdoce. Écartèlement qui rend évidemment certains d’entre eux vulnérables à la désobéissance. Le film de Ronan Tronchot décrit comment ce conflit met en danger les individus, mais aussi la structure cléricale elle-même, condamnée à mentir ou à fermer les yeux.
Hélas, dans un environnement où tous les péchés de chair sont décrétés équivalents, pourquoi préférer la masturbation à une relation sexuelle plus riche de son altérité ? Pourquoi se priver d’un plaisir partagé ? Si la relation est homosexuelle : pas de danger majeur pour l’institution. Le risque de procréation est écarté et la relation peut évoluer sans souci aussi longtemps qu’elle reste dissimulée.
Qu’advient-il si le prêtre est hétérosexuel ? Ce type de relations, sauf sous contraceptif (interdit par l’Eglise catholique), aboutit assez logiquement à la procréation. Qui va assurer la suite de l’aventure ? Le prêtre, pour sa part, n’a commis qu’un péché, dont il se dédouane dans la contrition, avant sans doute de recommencer. En revanche, quelle considération va être accordée à la femme si elle n’est pas incluse dans une relation d’amour, mais n’est pour son partenaire qu’un « produit de consommation » lui permettant d’assouvir une pulsion ? La question de l’instrumentalisation de l’autre peut, bien entendu, se poser dans une relation homosexuelle, mais le risque de l’enfant possible modifie les enjeux. Le film le montre : l’intérêt pour Louise est si faible que Simon le prêtre ignore même sa paternité jusqu’à ce que la jeune femme vienne lui annoncer que, de leur relation, est né un petit Aloé.
La fiction rejoint alors l’actualité dans laquelle nous sommes abreuvés, ad nauseam, d’histoires parfois beaucoup plus sordides que celle du film. Il arrive qu’un prêtre se sentant en détresse psychologique « utilise » une femme vulnérable de son entourage pour assouvir ses besoins sexuels, sans que chez lui, l’amour ait la moindre part à l’affaire. Son pouvoir clérical ne facilite-t-il pas cette forme d’emprise ? Assuré de sa toute-puissance, ou par désintérêt pour les risques, utilise-t-il alors un moyen de contraception ? Certainement pas, car ce serait officialiser son désir. Mais qu’arrive-t-il quand la femme, désemparée, se trouve enceinte ?
Le prêtre peut se tourner vers ses supérieurs. Il sait qu’il n’est pas le seul dans son cas, et l’institution a prévu le problème. Au canon 277.3, le Code de Droit Canonique dit de manière sibylline qu’il « revient à l’évêque diocésain d’édicter des règles plus précises en la matière et, dans des cas particuliers, de porter un jugement sur l’observation de cette obligation. » Et là, l’imagination patriarcale cléricale atteint ses limites. L’avortement, strictement interdit par l’Église, serait malgré tout une porte de sortie si on pouvait faire définitivement taire la femme enceinte ; la solution fut proposée voire imposée à certaines religieuses abusées par des prêtres. L’histoire récente n’est pas avare en illustrations de ce type. L’Église peut également suggérer qu’on « cache la situation aux fidèles, en aidant discrètement à financer les conséquences de la faute ». Le film évoque cette possibilité. Une autre option apparaît : on invite le prêtre à quitter la prêtrise pour « assumer sa paternité » sic ! C’est, bien entendu, le choix que va faire Simon en désespoir de cause. Mais il s’y résout en tentant de faire prendre conscience à ses paroissiens d’une vérité vis-à-vis de laquelle ils restent encore trop naïfs face à l’institution : « l’Église vous appartient ! » Le prêtre aurait pu développer et poursuivre avec ce verset de Marc : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2,28) … La paroisse aurait alors pu conserver son pasteur et, lui, une vie plus harmonieuse.
C’est alors que le film entrouvre une fenêtre sur un pan de l’histoire qui n’est qu’esquissé. Où est passée la mère d’Aloé ? Elle a élevé seule, au loin, cet enfant de prêtre ; et quand elle les présente l’un à l’autre, elle disparaît. Où ? Le film nous murmure qu’elle a « craqué », qu’elle est en soin pour dépression… Nul ne s’en soucie. Les femmes ne sont pas le sujet. Pas davantage elle qui a choisi de garder cet enfant, que la jeune fille livrée à elle-même, laquelle, du haut de ses seize ans devrait accepter de vivre une grossesse non désirée. La mère d’Aloé accompagne l’adolescente dans son IVG. Est-ce en se demandant si elle aurait dû suivre elle-même ce parcours ? Rien n’est dit. On comprend simplement que ce qui concerne les femmes n’est pas la priorité du catholicisme.
C’est sur ce seuil qu’il faut d’urgence revenir à la loi cléricale elle-même : quid de l’histoire conjugale qui doit entourer la naissance d’un enfant ? Au chapitre de la masturbation, nous avons lu qu’elle serait condamnable parce qu’elle contrevient au fait que « la relation sexuelle requise par l’ordre moral, [est] celle qui réalise, dans le contexte d’un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine ».
Or dans le fait « d’assumer sa paternité », n’aurait-on pas oublié un DÉTAIL ? Et la femme, la mère dans ce programme ?? Quand et comment est-elle prise en compte ? Nous avons vu que le film le dessine en filigrane sans trop oser forcer le trait. C’est encore pire dans la réalité.
Récemment un prêtre pensait justifier un collègue sur le point de devenir père sans le moindre amour pour sa compagne. Au reproche de n’avoir parlé que de devoir et non d’amour, il s’est enfermé dans une explication sidérante : « oui, mais il ne l’aime pas ; va-t-il passer sa vie avec elle, juste parce qu’elle est enceinte ? » On découvre à cette réponse que même un « homme de Dieu » peut parfois se perdre sous l’emprise d’une simple loi à laquelle on tente de se soumettre sans réflexion ni spiritualité. Comment ne pas réaliser que l’absence d’amour était le pire facteur aggravant de l’aventure ?!
Certes, le Catéchisme nivelle tous les actes sexuels, mais le règlement a pris la précaution (mal lue par certains semble-t-il) de mettre l’amour en tête de l’histoire. Or à amalgamer la masturbation et l’acte sexuel on oublie que ce dernier prend en compte un autre sujet, un être humain égal en dignité même à un prêtre, et que cet humain, en l’occurrence une femme, doit impérativement être respecté.
Quand un individu fait l’amour, fût-il prêtre, il n’est pas dispensé de tout ce qui fait la beauté d’un acte qui se dit d’abord et surtout dans l’amour de deux corps qui s’offrent l’un à l’autre.
Et s’il ne s’agit que de se servir du corps de l’autre, qu’au moins il assume l’usage d’un préservatif. Seulement dans ce cas, il faudrait objectiver sa pulsion et ne pas laisser supposer -à soi, à son entourage, à ses paroissiens ensuite…- qu’on a été séduit par une Eve tentatrice. On sait pour quelle tranquillité, et quelle hypocrisie, l’institution exigeait des « bonnes de curé » qu’elles soient d’âge canonique (traduire : ménopausées).
Combien de femmes vivent et ont vécu dans l’ombre d’un homme qui a privilégié sa vie à la leur, son « sacerdoce » à ses responsabilités conjugales ? Dans les siècles passés, peut-être ces femmes se sentaient-elles moins seules tant il était courant dans la bourgeoisie d’entretenir plusieurs ménages : l’un à la ville auprès des gens de son milieu, l’autre dissimulé avec une inavouable maîtresse. Les confesseurs étaient souvent indulgents pour ces hommes aux doubles vies, et on invitait les maîtresses à prier Marie-Madeleine, qu’on avait pris soin d’amalgamer à la pécheresse de Luc pour montrer la miséricorde divine face au péché de chair. Tartuffes tricheurs, détenteurs de tout pouvoir dans un univers patriarcal, les femmes ne pouvaient que se soumettre à eux et se taire.
Aujourd’hui cette hypocrisie n’est plus tolérable et pose sur ce plan comme sur d’autres, la question du bienfondé d’une structure qui prend l’eau de toutes parts tant ses règles sont devenues obsolètes et éloignées du cœur de l’Evangile.
Ce qui est premier dans la Bible c’est l’amour de l’autre dans une relation qui témoigne de la justesse de cet amour.
Le Christ n’a pas exigé le célibat mais il demande d’aimer son prochain. Et il faut apprendre à lire en sens inverse ce verset 40 de Mt 25 : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Le bien que nous faisons atteint le Christ ; le mal aussi.
Alors avant d’entraîner une femme dans une aventure qui peut nuire, à elle et à un éventuel enfant à venir, prêtres demandez-vous si l’institution vous respecte dans l’exigence d’un vœu qui peut prendre sens pour certains, mais qui n’est pas inéluctablement lié au presbytérat ; et pensez à ce qu’il peut advenir de celle que vous entrainez dans votre dérive, si vous l’instrumentalisez sans l’aimer. Car in fine, là se situe la faute : non dans l’infraction au sixième commandement que serait un acte sexuel, mais dans l’absence d’amour qui risque d’être bien plus grave au regard de Dieu. Le choix d’axer l’intrigue sur le seul thème de la paternité escamote cet aspect. Il en est pourtant le cœur.
Toutefois, si le film Paternel, en salles depuis le 27 mars, aboutit à ces questionnements, alors le réalisateur aura pointé un vrai sujet de société.
Mais qui s’intéresse aujourd’hui à la paternité des prêtres, à la situation des femmes et des enfants de clercs, dans un environnement où la parentalité pose cruellement question ? Au cœur d’un monde qui se perd dans les dérives totalitaires et dans l’aveuglement face au réchauffement climatique, faire des enfants autrement que par « accident » demande beaucoup de foi, d’amour et d’espérance en l’humanité … Alors pourquoi pas les prêtres, me souffle un petit lutin qui fredonne une vieille chanson de Jean Ferrat : « Mis à part les curés, … »
Pour la question du célibat, sans doute faudra-t-il simplement attendre que le problème de la pénurie de vocations posé récemment par l’Amazonie devienne encore plus vif dans notre vieille Europe… Alors on s’apercevra qu’au fond cette règle n’est pas théologique ; et plutôt que de laisser prêcher des femmes, on abolira la loi qui refuse le mariage des clercs.