HOMMAGE à Joseph MOINGT
Né en 1915, le célèbre jésuite vient de rejoindre le Père. Grand philosophe et théologien souvent clivant, Joseph Moingt est celui qui, « mû par le désir d’exprimer la vraie foi, la vraie tradition évangélique » a su affirmer que « le souci de la vérité, ne se réduit pas à des affirmations juridiques et officielles ».
Retour sur un article paru dans la revue Études : Joseph MOINGT s.j., « Les femmes et l’avenir de l’Église », Études N° 4141, Paris, SER. SA, (Janvier 2011), [p 67-76].
Dans cet article, Joseph Moingt met en parallèle l’émancipation des femmes et le déclin de l’Église catholique. Il suspecte une probable corrélation entre ces deux aspects de l’évolution sociale contemporaine et se demande « si c’est le cas, quelle devrait être la condition de la femme dans l’Église pour enrayer son déclin et redonner espoir en son avenir.[1] ».
Certes l’Église a revendiqué la reconnaissance d’une égale dignité entre hommes et femmes, l’une et l’autre appelés à la même sainteté. Mais Jean-Paul II définit la dignité de « la » femme dans la conjugalité, centrée sur la chasteté et la maternité.
Joseph Moingt rappelle que l’Église a longtemps donné pour « modèle Marie, mère de Jésus, qui a concilié en elle, à un degré suréminent, chasteté et maternité, et dont la destinée a illustré la dignité dans laquelle le christianisme tient la condition féminine.[2] » Mais le Père Moingt montre qu’il s’agit là d’un modèle façonné par la société traditionnelle patriarcale que l’Église n’a cherché à aucun moment à transformer, sans s’apercevoir que ce schéma « limitait étroitement leurs horizons de vie et leurs ambitions les plus légitimes et les maintenait en nette situation d’infériorité par rapport aux hommes.[3] ».
Un point de dissension majeure entre les femmes et l’institution ecclésiale a été celui de la contraception, sur lequel les femmes ont perçu à quel point elles étaient incomprises. (Voir dans la rubrique « Bibliographie » de ce site, le livre de Loïc Berge sur la contraception). Comme le rappelle C. Grémion dans la revue Esprit[4], les prises de position des trois papes précédant François ont eu un très fâcheux retentissement sur l’exode croissant des fidèles et les femmes ont commencé à quitter massivement l’Église. Or comme le constate Joseph Moingt, « depuis qu’elle [l’Église] avait établi la règle de baptiser les enfants dès la naissance, c’était le rôle des femmes de les éveiller à la foi et à la piété, puis de les éduquer dans l’obéissance aux règles de moralité et aux pratiques de la religion.[5] ». Si l’Église refuse de les entendre, de les comprendre, elles s’éloignent. Et cette tendance à s’opposer à l’émancipation des femmes provoque, selon le théologien jésuite, une « hostilité réciproque [qui] compromet gravement l’avenir du catholicisme[6]. »
Le danger lui semble d’autant plus sérieux qu’il a parfaitement conscience du rôle des femmes sur tous les terrains de l’activité pastorale où « les femmes laïques sont de loin les principales auxiliaires du clergé.[7] ». L’ouverture de Vatican II leur avait permis d’accéder à de nombreuses responsabilités au niveau paroissial, diocésain, que le revirement amorcé dans les années quatre-vingts leur a à nouveau confisqué. On attend désormais des femmes dans l’Église « qu’elles restent à leur place de servantes dociles, bien encadrées par des équipes « pastorales » sous responsabilité « sacerdotale » (…) [afin] de « restaurer « l’identité » des prêtres[8] ».
« La volonté de la hiérarchie se manifesta cependant d’éloigner les femmes (…) de tout ce qui touche au service de l’autel et des sacrements, au point, un peu risible, d’interdire de choisir les enfants de chœur parmi les filles.[9] »
Il rappelle que « Des ordinations de femmes au presbytérat avaient eu lieu, en effet, très officiellement dans plusieurs Églises anglicanes qui se flattaient auparavant de rester fidèles au rituel romain, et des femmes catholiques avaient aussi réussi à se faire ordonner prêtres de façon « sauvage» en plusieurs pays ; la question préoccupait l’opinion publique catholique et des théologiens sérieux soutenaient la possibilité de procéder à de telles ordinations. Le pape Jean Paul II avait cru clore le débat par un refus « définitif »[10], son successeur vient de le rappeler, preuve que le débat n’est pas effectivement clos. [11]»
« La plupart des femmes dévouées à l’Églises sont loin d’ambitionner le presbytérat ou de revendiquer du pouvoir ; cela ne les empêche pas d’être blessées par la méfiance dont elles se sentent l’objet (…) Ces femmes, qui ont pu être ou sont encore en poste de responsabilité également dans la vie civique ou professionnelle, voient bien que l’Église n’est pas prête à leur concéder les droits et compétences équivalents à ceux qu’elles ont acquis dans la société. Plusieurs, découragées, s’en vont ; beaucoup d’autres, qui fréquentaient l’Église sans s’être mises à son service, humiliées des interdits et des exclusions qui frappent leur sexe, la quittent, et son refus de leur reconnaître une « citoyenneté » de plein exercice ne fait qu’accroître l’hémorragie dont elle risque de mourir. [12]»
Concernant les choix éthiques liés à la sexualité, au mariage, à la famille, J. Moingt pense que l’Église « pourrait faire confiance à ses théologiens et aux fidèles instruits eux aussi par le Saint-Esprit, avant tout aux femmes, les premières concernées, dont la conscience et l’expérience mériteraient d’être écoutées avant qu’il en soit décidé de leur sort par des mâles célibataires. « L’Église aurait-elle peur de perdre du pouvoir en consultant ses fidèles ? L’alternative est de les perdre. [13]»
« C’est encore une question de pouvoir qui la retient de faire une place dans ses instances dirigeantes aux femmes qui travaillent pour elle. Si sa tradition s’en était abstenue, c’est pour le même motif que d’autres sociétés qui ont mis du temps à se débarrasser de leur esprit patriarcal, féodal ou corporatiste. Il ne s’agit pas ici de la seule ordination des femmes au presbytérat. Sans y être du tout hostile, je n’ai jamais plaidé en ce sens, non plus que pour l’ordination d’hommes mariés ou la levée de la loi du célibat sacerdotal, pour l’unique et simple raison que le pouvoir dans l’Église est lié au sacré et que l’intérêt de la foi n’est pas d’étendre le domaine du sacré mais de tempérer le pouvoir et, pour cela, de le partager en dehors du sacré. En effet, dans notre monde laïcisé et sécularisé, c’est-à-dire démocratique, la foi ne peut que dépérir si elle est privée de la liberté à laquelle le Christ appelle tous les chrétiens au dire de st Paul (Ga 5,1), – qui se souvenait sans doute que la seule fois où Jésus avait parlé de pouvoir, c’était pour interdire à ses apôtres d’en user à la façon des puissants qui aiment imposer leur domination et la faire voir et sentir (Lc 22,24-25) . [16]»
Rappelant les femmes qui ont entouré Jésus, le jésuite montre que ces exemples fournissent« la claire indication qu’il a cru en elles, qu’il s’est confié à elles, qu’il leur a confié son Évangile, comme à ses apôtres, différemment peut-être : il ne les envoie pas parcourir le monde, mais non moins authentiquement : il en fait des relais de la mission qu’il avait reçue du Père de répandre la Vie dans le monde. Bref, « aucun principe d’exclusion ne peut être tiré des paroles ou des exemples de Jésus, rien d’autre qu’une pressante exhortation à ne pas craindre de charger du ministère de l’Évangile quiconque, homme ou femme, a assez de foi en lui pour s’offrir à cette charge : car lui seul donne la force de la porter et lui fait porter du fruit.[17] »
« La seule appartenance au “sexe faible”, ainsi que le dénomme une tradition fièrement “machiste”, pourrait-elle être motif de discrimination et d’élimination dans une Église qui tire sa fierté et sa force de la faiblesse de la Croix ? [18]»
« Il s’agit d’abord de restaurer le sol des communautés chrétiennes, d’y instaurer liberté, altérité, égalité, coresponsabilité, cogestion, d’y laisser pénétrer les soucis du monde extérieur, de rendre ses célébrations plus conviviales.[19] »
«On se souviendra que le “presbytérat” des premiers siècles, dont le nom a été remis à l’honneur, n’avait pas grand-chose de sacerdotal, le sacerdoce étant alors réservé à l’évêque, et l’on sera capable de le réinventer, de dénouer le lien redoutable du pouvoir, du sexe mâle et du sacré.[20] »
Merci Joseph Moingt ! Requiescat in pace !
[1] Joseph MOINGT s.j., « Les femmes et l’avenir de l’Église », Études N° 4141, Paris, SER. SA, (Janvier 2011), [p 67-76], p 67.
[2] Id., p 68.
[3][3] Id., p 68.
[4] Catherine GREMION, « La décision dans l’Église. Contraception , procréation assistée, avortement : trois moments clés », in Esprit, (février 2010), [p122-133].
[5] Joseph MOINGT s.j., « Les femmes et l’avenir de l’Église », , p 69.
[6] Id., p 69.
[7] Id.p 69.
[8] Id.p 70
[9] Id.p 70
[10] Cf Lettre ordinatio sacerdotalis de 1994
[11] Joseph MOINGT s.j., « Les femmes et l’avenir de l’Église », Études N° 4141, loc. cit., p 70-71
[12] Id.., p. 71.
[13] Id., p. 72.
[16] Id., p. 72.
[17] Id., p. 75.
[18] Id., p. 75.
[19] Id., p. 76.
[20] Id.,p. 76.