LES QUATRE SENS DE L’ÉCRITURE
par sylvaine Landrivon
Analyse à partir de la Somme théologique Ia,Q1, art. 10 de Thomas d’Aquin:
« Est-ce que la ” lettre ” de l’Écriture sainte peut revêtir plusieurs sens? »
« Réponse : « L’auteur de l’Écriture sainte est Dieu. Or, il est au pouvoir de Dieu d’employer, pour signifier quelque chose, non seulement des mots, ce que peut faire aussi l’homme, mais également les choses elles-mêmes. Pour cette raison, alors que dans toutes les sciences ce sont les mots qui ont valeur significative, celle-ci a en propre que les choses mêmes signifiées par les mots employés signifient à leur tour quelque chose.
La première signification, celle par laquelle les mots signifient certaines choses, correspond au premier sens, qui est le sens historique ou littéral. La signification par laquelle les choses signifiées par les mots signifient encore d’autres choses, c’est ce qu’on appelle le sens spirituel, qui est fondé sur le sens littéral et le suppose. A son tour, le sens spirituel se divise en trois sens distincts. (…) Donc, lorsque les réalités de la loi ancienne signifient celles de la loi nouvelle, on a le sens allégorique; quand les choses réalisées dans le Christ, ou dans ce qui signifie le Christ, sont le signe de ce que nous devons faire, on a le sens moral ; pour autant, enfin que ces mêmes choses signifient ce qui existe dans la gloire éternelle, on a le sens anagogique.
Comme, d’autre part, le sens littéral est celui que l’auteur entend signifier, et comme l’auteur de l’Écriture sainte est Dieu, qui comprend simultanément toutes choses dans la simple saisie de son intelligence, il n’y a pas d’obstacle à dire, à la suite de S. Augustin, que selon le sens littéral, même dans une seule ” lettre ” de l’Écriture, il y a plusieurs sens.»
4 niveaux de lecture apparaissent donc :
Littéral : c’est celui que l’auteur entend signifier. Le travail d’exégèse est donc essentiel.
Et un niveau spirituel subdivisé en 3 :
Allégorique : qui permet d’interpréter le Nouveau Testament par rapport à l’ancien, ex : le lépreux qui dans le Nouveau Testament représente celui qui est exclu de la société
Moral (ou tropologique)
Anagogique qui vise les fins dernières, ce vers quoi il faut tendre.
On retiendra cette décomposition jusqu’à aujourd’hui : voir le Catéchisme de l’Église Catholique (N° 115-118)
Selon Henri de Lubac[1], les quatre sens ont été formalisés au XIIIè siècle par le dominicain Augustin de Dacie : « Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia. » = La lettre enseigne des faits qui se sont déroulés, l’allégorie ce que l’on doit croire, Le sens moral ce que l’on a à faire, l’anagogie ce vers quoi il faut tendre. »
Saint Bonaventure (+ 1274) les commente ainsi : « Dans tous les livres de l’Écriture sainte, on saisit, outre le sens littéral, celui qu’expriment les mots mêmes du texte, un triple sens spirituel: l’allégorique nous enseigne ce qu’il faut croire de la divinité et de l’humanité du Seigneur, le moral nous enseigne cornment vivre, l’anagogique comment nous attacher à Dieu. Le premier concerne la foi, le second la conduite, la troisième leur fin commune ».
Pour le dire de façon plus « contemporaine », on peut se référer à U. Von Balthasar : « Les quatre sens de l’Écriture célèbrent leur résurrection cachée dans la théologie d’aujourd’hui : en effet le sens littéral apparaît comme celui qu’il faut faire émerger en tant qu’historico-critique ; le sens spirituel en tant que kérygmatique, le sens tropologique en tant qu’essentiel et le sens anagogique en tant qu’eschatologique »
[1] In Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Paris, Cerf/DDB, 1959, vol. 1, p. 23