Première réaction sur le pouvoir de domination dans la présentation du rapport de la CIASE
Si, comme le dit François Devaux, « c’est de l’enfer » que reviennent les membres de la Commission Sauvé, c’est aussi à un aperçu de cette abomination que nous a convié.e.s l’exposé de ce rapport. Face à des centaines de milliers de victimes et à leurs milliers de prédateurs, l’analyse des faits a conduit les membres de la CIASE à proposer 45 recommandations dont certaines pointent l’entre-soi clérical masculin. Avant celles-ci, J.-M. Sauvé dénonce « la responsabilité de l’Église » dans les défaillances, les biais, la couverture institutionnelle, qui n’a pas su voir, entendre, capter les signaux faibles. Il s’agit de réparer puis de « réformer le droit de l’Église » jusqu’à distinguer le pouvoir d’ordre de celui de gouvernance, et pour cela impliquer des laïcs notamment des femmes.
Dans les logiques institutionnelles, s’est fait jour « l’autorité des agresseurs difficile à remettre en cause », car dans cette autorité convergent « la domination masculine, l’autorité spirituelle et l’autorité qualifiée de mentorale par l’équipe de l’Inserm. Le rapport a repéré « le charisme de l’autorité personnelle du prêtre qui est ici au cœur du dispositif d’abus », et note que « le cumul des légitimités conférées à la domination du prêtre rencontre la vulnérabilité de jeunes filles et jeunes gens ».
Ces dérives sont liées à la sacralité du prêtre, laquelle porte un épineux sujet de théologie et d’ecclésiologie bien perçu par la Commission. « La domination réside généralement dans la relation hiérarchique, mais aussi dans le statut sacré de la figure du prêtre. L’aura dont l’agresseur peut jouir dans la communauté renforce l’image positive que la victime a de l’agresseur, mais aussi la pression du groupe à laquelle elle se heurterait en cas de révélation des faits. » D’ailleurs la CEF admet dans une Lettre aux catholiques de mars 2021 : « Nous, prêtres et évêques, ordonnés, nous recevons du Christ Pasteur et Serviteur un “pouvoir sacré”. […] De ce pouvoir, il est possible d’abuser. Comme tout pouvoir, celui-ci peut servir à exercer une emprise et à établir un rapport de domination. »
Le drame vient d’une image idéalisée du prêtre trop et mal identifié au Christ. Et le rapport suggère comme fondé théologiquement que l’identification du prêtre au Christ ne s’étende pas à l’ensemble des sphères de la vie ecclésiale et, moins encore, à l’ensemble des relations interpersonnelles qu’un prêtre entretient.
Ces réflexions sont importantes car, selon la doctrine cléricale, le « sacrement de l’ordre est voulu par le Christ pour ses apôtres et leurs successeurs en vue de permettre à l’Église de poursuivre son œuvre de salut ». Mais ne faut-il pas beaucoup d’imagination pour référer au Christ la volonté de recréer une caste sacerdotale qu’il a toujours combattue ? Quels rôles, surtout quels pouvoirs cette définition donne-t-elle à celui qui se croit investi d’une telle mission ? Cette posture masculine officialisée par le titre de « père » entre d’ailleurs en infraction avec l’injonction de Jésus : « Et n’appelez personne sur la terre votre père; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. » (Mt 23.9). De cette position d’autorité entretenue par l’institution, découle l’argument d’un prêtre agissant in persona Christi. Mais est-ce qu’il « re-présente » le Christ en faisant mémoire de son enseignement, ou est-ce qu’il « devient » lui-même le Christ en célébrant ? Le souci vient de cet amalgame qui laisse penser aux fidèles, et à certains prêtres eux-mêmes, que les clercs seraient constamment dépositaires d’un pouvoir divin. C’est oublier trop vite que Jésus a rompu ces règles de sacralité au profit de la loi de sainteté qui s’expose dans l’amour. C’est, de plus, conférer à des humains un pouvoir exorbitant sur d’autres, au risque des exactions dont nous recevons la terrible souffrance dans les pages de ce rapport.
Alice Casagrande a pointé l’importance de « l’être avec » : non pas « vous parlez – nous pensons », mais choisir de travailler, de penser avec toutes et tous. L’Église souffre de son patriarcat et a suffisamment fait souffrir par lui. Il convient donc, comme le suggère la CIASE, de repenser la gouvernance de l’Église. Et cette restructuration exige une importante présence de femmes laïques. Sans réforme, notre Église continuera à dévoyer le message de l’Évangile.